4 mai 2011 3 04 /05 /mai /2011 06:00

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Tous les hommes veulent vivre, mais aucun ne sait pourquoi...


 

Hystérie sur les ondes. À l'évidence, on se réjouit du côté de la radio :

 

Ça y est ! La barre des sept milliards d'individus est quasiment franchie !

 

Sur l'une des plus belles places au monde, le taxi qui m'emporte chez des amis pour le déjeuner est à présent pris dans un embouteillage du diable. Coups de gueules de tous côtés. Oui, la vie de l'homme, comme on dit, est un perpétuel combat orchestré, tiens, par le Diable...

 

Sept milliards ! Ils, elles, sont devenus fous et folles. Non, ils sont, à la lettre, fous à lier.

 

On n'avance plus. Le ton monte. Le speaker émet un son aigrelet. Il fait ce qu'il peut au bord de l'abîme.

 

Zoo humain. J'y participe à mes heures. Le moins possible. Le gigôt d'agneau s'éloigne de mon palais, je le sens bien. Pour ainsi dire. Et le vin de Bordeaux aussi. Allons, allons, chins up !

 

Quelle bonne idée d'avoir fourré les Aphorismes sur la sagesse dans la vie, Die Aphorismen zur Lebensweisheit, dans mon sac ! Bréviaire occidental-oriental parfait dans l'adversité -Dans ma dix-septième année, dénué de toute éducation classique (homme de bonnes moeurs, you see ?), je fus aussi fortement saisi par la misère de la vie que Bouddha dans sa jeunesse, quand il vit la maladie, la vieillesse, la douleur et la mort.

 

Vrai, drôle (souvent très drôle), imparable.

 

Paris, boulevard Saint-Germain : Le seul bonheur est de ne pas naître. Ça commence bien !

 

Devant l'Old Navy (salut Debord !) : Je dois l'avouer sincèrement : la vue de tout animal me réjouit immédiatement et m'épanouit le cœur -avant tout la vue des chiens, et puis celle de tous les animaux en liberté, des oiseaux, des insectes, etc. Au contraire, la vue des hommes provoque presque toujours en moi une aversion prononcée, car il m'offre, à peu d'exceptions près, le spectacle des difformités les plus repoussantes et de toute nature : laideur physique, expression morales de passions basses et d'ambition méprisable, symptômes de folie -qu'est-ce que je disais ?-, de perversités et de sottises intellectuelles de toutes sortes et de toutes grandeurs, enfin l'ignominie, par suite d'habitudes répugnantes. 

 

Rue Monsieur-le-Prince : Entrer à l'âge de cinq ans dans une filature ou toute autre fabrique et, à compter de ce jour, rester là assis chaque jour, dix heures d'abord, puis douze, puis quatorze à exécuter le même travail mécanique, voilà qui s'appelle acheter cher le plaisir de respirer. Aujourd'hui, autre contexte, mais semblables exténuations.

 

Rue de Vaugirard : Des mondes possibles, notre monde est le plus mauvais. Et toc ! Quand on songe, deux minutes, aux dégâts, visiblement irréversibles, causés par notre empreinte écologique...

 

Jardin du Luxembourg : La misanthropie et l'amour de la solitude sont des concepts convertibles et, au moment où le taxi finit par se frayer une courte sortie, J'ai soulevé le voile de la vérité beaucoup plus qu'aucun mortel avant moi. Mais je voudrais les voir, ceux qui peuvent se vanter d'avoir eu de plus misérables contemporains que moi.

 

Boulevard du Montparnasse : On peut considérer le rêve comme une courte folie et la folie comme un long rêve.

 

Enfin, le taxi se met à tracer. À moi, à nous, ail, thym, laurier, origan !

 

Place Denfert : L'Homme est le seul animal qui en fait souffrir d'autres sans autre but que celui-là.

 

Boulevard Saint-Jacques : les agapes vont pouvoir commencer.

 

Juste avant de régler la course : Ma philosophie ne m'a rien apporté, mais elle m'a beaucoup épargné.

 

 

Sept milliards, je vous dis - A knavish speech sleeps in a fool's ear...

 

 

(Arthur Schopenhauer, Aphorismes sur la sagesse dans la vie, traduction Cantacuzène et Roos, Presses Universitaires de France, 2004 / Didier Raymond et Frédéric Pajak : Schopenhauer dans tous ses états, Une anthologie inédite, L'Arbalète-Gallimard, 2009)

1 mai 2011 7 01 /05 /mai /2011 06:00

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Jour de fête en bleu solaire.

 

De passage dans la grande ville, un ami m'invite à une virée sur la côte normande. Les joies de l'amitié.

 

- Une belle voiture de collection comme tu les aimes, allez, on va voir le bord de mer, les peintres et les crustacés dans nos assiettes !

 

Demain est férié selon le calendrier de l'orthodoxie sociale, le manuscrit se repose sur la table en merisier du studio, et mon humeur s'affiche vagabonde.

 

Rutilante, l'auto de l'ami véloce l'est sous toutes ses facettes : une Jaguar MK2, 1967, d'un vert anglais plus royaliste que la reine. Tant qu'à fabriquer des machines pour aller d'un point à un autre, autant qu'elles soient esthétiques. Bois, cuir, métal poli rivalisent en l'occurrence de profondeur pour nous offrir un lounge sur moelleuses roulettes.

 

Portes de l'Ouest via le tunnel de Saint-Cloud. Ah !, ce tunnel, part insondable de l'imagerie franco-française depuis les années 1950. La campagne normande se dévoile peu à peu sous nos roues. Tous ces noms de bourgs qui se terminent en -ville : Bourgtheroulde-Infreville, Honguemare-Guenouville, Saint-Marts-de-Blacarville, Bosgérard-Marcouville, Maneville-la-Raoult, Fatouville-Greslain, Beuzeville, Bourneville et même Tocqueville...La Seine, les ponts, les usines, les barges, les péniches, puis les champs de haies à perte de vue, bonjour pommeraies, bonjour crème fraîche, bonjour Calvados !

 

- Savais-tu , dis-je à l'ami, ses mains à 10 heures 10 sur le volant en bakélite du fauve tranquille, que Roger Vailland, le romancier communiste, enfin, dit communiste, en tous cas jusqu'en 1956, au moment de l'invasion de la Hongrie, était un Jaguar aficionado ?

 

- Vailland ?

 

- Oui, avec l'argent de la vente de ses romans à succès, La Loi ou La Fête, il s'en était offert une au début des années 1960 qu'il pilotait à toute allure entre Paris et le pays bressan où il résidait. Pas mal, non ?, comme exemple de "désobéissance" au politically correct de l'époque partisane et formidable pied de nez aux conventions de tous poils.

 

- C'est assez gonflé. Je me souviens, j'avais lu, il y a longtemps, hum..., oui, Drôle de jeu, un roman sur la résistance en France juste avant le Débarquement, ceux qui résistent vraiment, et d'autres qui vont finir par trahir leurs camarades et collaborer. Finalement, ça n'a pas tellement changé, ça continue...

 

La berline s'engage sur la route du port. Devant nous, Honfleur, ses pavois en pâmoison.

 

Table, nappe, vin blanc. Au spectacle, sur les quais du vieux bassin, venues de bonne heure, des familles débonnaires. Eugène Boudin revisité ? Sauf que l'incarnation picturale de la bourgeoisie en tant que classe sociale du XIXe siècle finissant à la découverte des plages, des bigornes et des embruns curateurs a disparu du champ visuel : à la place, une bruyante masse informe aux couleurs criardes. Retour de manif ? Retour de manivelle...Totale indifférence. Concentration sur le muscadet et les huîtres.

 

- L'Homme nouveau, ce n'est pas pour demain, lance à la cantonade l'ami que le vin a remonté. 

 

- Accommodement et complaisance sont larrons en foire, tu le sais bien...Un autre verre ?

 

Relire Vailland ? Pourquoi pas ? All in all...Son Laclos par lui-même était plutôt réussi. Sa présentation des Pages immortelles de Suétone et Le Regard froid, intéressants.

 

Cette note aussi, évangile, entre les lignes, de l'homme libre : Quand j’écris un livre, je fais chaque jour ma course, j’accomplis mon parcours : un certain nombre de pages. Il arrive un moment, une page, où, dans ma manière de travailler, je décèle – l’expérience me l’a enseigné – que mon parcours de la journée est achevé. Je pourrais par décision prolonger le parcours, me contraindre à écrire quelques pages de plus. Ce serait fâcheux. Je devrais le lendemain réécrire les pages rédigées dans la contrainte et elles n’auraient pas la verdeur d’un premier jet : la chance dans l’écriture se changerait en malchance, la grâce en disgrâce. Il est temps d’aller au sommeil. Tout état vécu – forme, chance, grâce et l’extrême éveil qui est la pointe de la grâce – tend à mesure que s’épuisent les possibilités qu’il contient à se transformer en son contraire… Je me suis toujours appliqué à distinguer le moment où s’achève le bonheur d’une saison, l’instant où la grâce va se changer en disgrâce. Il faut dégager à temps. C’est l’art de vivre. 

 

Après le déjeuner, nous fumons des cigarillos et repartons à pied en direction de la pointe. À l'Est, Dieppe, le monde anglais; à l'Ouest, Trouville, le fantôme de Marcel Proust.

 

J'aime les photographies d'écrivains au travail. Celles, par exemple, où l'on voit Hemingway le coude sur une table d'occasion à peine plus grande qu'un cahier, la tête penchée, sont émouvantes dans leur apparent dénuement.

 

Marc Garanger qui a beaucoup fréquenté Roger Vailland un an avant sa disparition en 1965 a réalisé, parmi d'autres, un portrait de l'écrivain en noir et blanc, janséniste de sobriété. Cette photographie a été prise dans la partie la plus reculée de sa maison, son repaire, à Meillonnas, dans l'Ain (Jane Fonda y est venue...), au moment où l'auteur de La Truite, le regard vers les mots, met un point final à ce qui sera son ultime manuscrit, une pointe Bic, parce que c'est plus chic, à la main...

 

 

 

(Roger Vailland, Drôle de jeu, Prix Interallié, Éditions Corrêa, 1945 / Laclos par lui-même, Seuil, 1953 / La Loi, Prix Goncourt, 1957 / La Fête, Gallimard, 1960 / Les Pages immortelles de Suétone, Buchet-Chastel, 1962 / Le Regard froid, Grasset, 1963 / La Truite, Gallimard, 1964)

27 avril 2011 3 27 /04 /avril /2011 06:00

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Blanc tourbillon dans le studio.

 

Oui, on le sait depuis longtemps, le nucléaire, c'est dangereux. 

 

Japon, Japon, entre tradition et ultra modernité...Tout ça pour ça...

 

Les premières fleurs du rosier écloses dans le jardinet. Primum tempus. Comme souvent lorsque je me trouve ici, dès le lever, j'enfile mon vieux kimono de soie bleue au grand dragon. Chaleur en hiver, fraîcheur en juin. Mien vêtement parfait pour travailler - paletot idéal.

 

À tâtons, mes mains se promènent sur les étagères. Tiens, Le Recueil de la falaise verte, kôans et poésies du bouddhisme zen. Voyage transculturel à travers les paysages mentaux extrêmes de la Chine vers le Japon. C'est exactement ce qu'il me faut à l'instant.

 

Ah ! Toujours je vais seul, toujours je marche seul.

 

D'accord.

 

Tout passe, tout ne lasse pas obligatoirement, tout est éphémère.

 

OK.

 

Un petit tour du côté du Néant.

 

Mais non, point de vue, le monde n'est pas lamentable et mélancolique.

 

Question de méthode.

 

Longévité. Au début de chaque année, je me félicite longuement jusqu'au sommet de la tête. Je me félicite, je me félicite de cet état.

 

Allez !

 

Comme vastes et étendues sont les eaux du fleuve Jaune !

 

Ce matin, je suis ce fleuve qui jaillit de la falaise.

 

 

(Maryse et Masumi Shibata, Le Recueil de la falaise verte, Albin Michel, collection Spiritualités vivantes, 2000)

24 avril 2011 7 24 /04 /avril /2011 06:00

 

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A blackbird is a black bird, indeed...


 

J'aime le merle. Merles et merlettes dans mon jardin, le matin, le soir. Tu te souviens, ce beau merle dans le jardin de Iaisnaïa Poliana, Ясная Поляна, littéralement la clairière lumineuse, le domaine de Tolstoï au sud de Toula ? Noir sur vert sur champ de pivoines rouges.

 

J'ai cette vision en tête ce matin en revenant dans l'amphi A1 pour m'entretenir avec mes étudiants de Wallace Stevens. Je dis deux ou trois choses, et m'empresse de faire entendre ces treize façons de considérer un merle :

 

 

 

Thirteen Ways of Looking at a Blackbird

 

 I
 Among twenty snowy mountains,
 The only moving thing
 Was the eye of the blackbird.

 

 II
 I was of three minds,
 Like a tree
 In which there are three blackbirds.

 

 III
 The blackbird whirled in the autumn winds.
 It was a small part of the pantomime.

 

 IV
 A man and a woman
 Are one.
 A man and a woman and a blackbird
 Are one.

 

 V
 I do not know which to prefer,
 The beauty of inflections
 Or the beauty of innuendoes,
 The blackbird whistling
 Or just after.

 

 VI
 Icicles filled the long window
 With barbaric glass.
 The shadow of the blackbird
 Crossed it, to and fro.
 The mood
 Traced in the shadow
 An indecipherable cause.

 

 VII
 O thin men of Haddam,
 Why do you imagine golden birds ?
 Do you not see how the blackbird
 Walks around the feet
 Of the women about you ?

 

 VIII
 I know noble accents
 And lucid, inescapable rhythms;
 But I know, too,
 That the blackbird is involved
 In what I know.

 

 IX
 When the blackbird flew out of sight,
 It marked the edge
 Of one of many circles.

 

 X
 At the sight of blackbirds
 Flying in a green light,
 Even the bawds of euphony
 Would cry out sharply.

 

 XI
 He rode over Connecticut
 In a glass coach.
 Once, a fear pierced him,
 In that he mistook
 The shadow of his equipage
 For blackbirds.

 

 XII
 The river is moving.
 The blackbird must be flying.

 

 XIII
 It was evening all afternoon.
 It was snowing
 And it was going to snow.
 The blackbird sat
 In the cedar-limbs.

 

 

 

 

Haïku du jour en prolongations épiphaniques.

 

Bye-bye Blackbird, see you soon.


 

(Wallace Stevens, Thirteen Ways of Looking at a Blackbird, Harmonium, Alfred A. Knopf, New York, 1923)

20 avril 2011 3 20 /04 /avril /2011 06:00

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La nouvelle aristocratie est composée pour la plus grande part de bureaucrates, de savants, de techniciens, de leaders syndicaux, d’experts en publicités, de sociologues, d’enseignants et de politiciens professionnels.


 

C'est le printemps en général, mon calendrier zodiacal est fiable, et celui de certains peuples en particulier, si j'en crois la profusion de déclarations, d'images et de commentaires en provenance de la galaxie Gutenberg.

 

Dans l'atelier des quatre vents, autour d'un pot de masala chai, spiced tea ou thé indien, celui-ci des meilleures plantations de Nilgiri, le jeune journaliste berlinois est venu aujourd'hui s'entretenir avec moi de quelques sujets d'actualité.


 

- Lors d'un précédent entretien, nous avons évoqué vos longues journées studieuses dans votre atelier, vos nombreuses activités extérieures, notamment pédagogiques, vos voyages multiples et lointains. Est-ce qu'il vous reste du temps pour suivre ce qui se passe dans le monde, de capter les informations à la télévision, à la radio, par l'Internet ?

 

- Oui, bien sûr ! Même si je pense, contrairement à Hegel, que la meilleure chose à faire quand on se lève n'est pas de se jeter sur le quotidien matinal ! Bon. En tant que citoyen d'une part et démocrate d'autre part, mais démocrate qui a des exigences fortes, je dispose de toutes sortes de viatiques pour obtenir des informations de qualité, précises et transférables au besoin sur ce qui est en train d'advenir ou de se passer ici et là sur cette planète globalisée, et dans des domaines très divers qui étonneraient sans doute ceux qui pensent me connaître. Ces moyens d'écoute ont des longueurs d'ondes et des vitesses variées. Si je suis concentré sur mon travail intellectuel multiforme, je n'y suis pas reclus. En arrivant ce matin avec votre équipe, vous m'avez d'ailleurs trouvé en grand jardinage de plein air ! Je plaisante !

 

(...)

 

- Que vous inspire la lutte actuelle des peuples pour s'affranchir de régimes autoritaires ?

 

- La construction psychique et très concrète des régimes autoritaires, et dans certains cas très clairement dictatoriaux, auxquels vous faites référence m'intéresse de près. Que des aspirations démocratiques voient le jour me réjouit. Ces constructions ont une longue histoire qui est aussi la nôtre quand on connaît le passé, ses nuances et ses conséquences contemporaines. De toutes les façons, il y a toujours quelque chose à faire du côté du social, en termes de médecine urgentiste. C'est, avec plus ou moins d'intelligence, la plupart du temps, ce que l'on peut observer dans l'action politique, syndicale, associative. L'action aussi des social networks, les réseaux sociaux. Si un horizon des possibles se dégage, on peut envisager de sortir d'un état d'urgence pour aller vers un terme plus long. Tout ceci, très bien, mais pour quoi faire ? Et avec quelles perspectives ouvrantes en tête ? Élargissant tout de suite le propos, les questions radicales aujourd'hui tournent à l'évidence autour des conditions d'une existence humaine écologiquement viable sur une terre qui va bientôt dépasser les sept milliards d'individus. C'est là où le local rencontre le global. Que faire ? Quelles sont les vraies valeurs ? Pour qui voyage, et sait voyager, notre monde diversicolore est une splendeur encore méconnue par beaucoup de ses aspects. Mais il présente aussi des caractères passablement immondes dont l'homme, apparemment, s'accommode. Quelquefois, je me dis, et je ne suis pas le seul, que l'humanité emprunte, disons depuis la première révolution industrielle, des routes, et maintenant, par uniformisation presque généralisée, la puissance de la Technique, si l'on veut, une route si funeste qu'elle prend le risque d'aller droit dans le mur. Les décennies, au-delà du fantasme ou du déni de la réalité, sont comptées. Cet état de fait peut engendrer et engendre, en effet, peur, frustration, colère et violence polymorphe, inévitablement. Et parfois aussi demandes insistantes et croissantes de solutions "musclées" pour, croit-on, "régler" une foultitude de nœuds existentiels à la va-vite. C'est de plus en plus le règne de l'opinion publique -mal informée, peu cultivée, et j'ajoute, paresseuse à se cultiver valablement et durablement. Or, vous le savez, les prétendues solutions, ultra démagogiques, qui utilisent, via d'innombrables processus manipulatoires de la psyché, les gros bras et, accessoirement, montrent du doigt des boucs émissaires, n'ont jamais été historiquement la réponse à quoi que ce soit. Vous qui venez d'Allemagne, regardez la construction de la dictature de nature nationale-socialiste et son effondrement entre 1933 et 1945. Elle n'est en rien le fruit du hasard.

 

(...)

 

- À propos de dictature, sur votre table de travail je remarque plusieurs livres de George Orwell.

 

- Oui, depuis un moment, je voulais me replonger dans son propre travail qui est allé dans plusieurs directions. Et aussi dans l'excellente biographie que lui consacre Bernard Crick (George Orwell, a life, Secker & Warburg, London, 1980), sans doute l'une des plus fouillées et des plus intelligentes consacrées à l'auteur du célèbre 1984.

 

- Ce roman est toujours un best-seller en Allemagne. On l'étudie dans les lycées et à l'université en relation avec notre histoire proche.

 

- C'est très bien. Tenez, je vais vous lire ce que George Orwell écrit en 1938 sur les régimes de surveillance générale. C'est un texte un peu connu. Pour une communication immédiate, je vais utiliser la version française (éditions André Balland, 1982, dans la traduction de Jean Clem) :

 

La chose terrifiante avec les dictatures modernes est qu'elles n'ont aucun précédent. On ne peut en prévoir la fin. Par le passé, toutes les tyrannies étaient tôt ou tard renversées, ou au moins combattues, en raison de la "nature humaine" qui en toute logique désirait la liberté. Mais nous ne pouvons pas être certains que la "nature humaine" ne varie pas. Il est peut-être tout aussi possible de fabriquer une espèce d'hommes qui ne désirent pas la liberté qu'une espèce de vaches sans cornes. L'Inquisition a échoué, mais l'Inquisition n'avait pas les ressources de l'Etat moderne. La radio, la censure de la presse, l'éducation normalisée et la police secrète ont tout modifié. La propagande de masse est une science des vingt dernières années, et nous ne savons pas encore quelle sera l'étendue de son succès. Et Orwell ajoute : la vérité finit toujours par l'emporter tient plus de la prière que de l'axiome.

 

En un sens, Big Brother est déjà derrière nous. L'organisation sociale totalitaire à l'œuvre dans tous les moments ou presque de la vie quotidienne que décrit Orwell dans son roman-essai pour la dénoncer n'a pas eu lieu conformément aux plus sombres prémonitions. Le Wir-Gefühl, pour prendre cette formule néfaste d'une époque délétère que vous connaissez, le sentiment identitaire-communautaire, Nous et Eux, voire Nous ou Eux, a pris de nos jours une autre tournure. Non, ce que nous avons aujourd'hui opère sur des modes coercitifs beaucoup plus insidieux. L'hypnotisme qu'accompagne la perte du sens agit, dans certains cas, très loin, sur les individus considérés en masse. Ce que je constate surtout est un affaissement net de la pensée et une perte de la sensibilité, des capacités à sentir. On le remarque déjà chez de jeunes enfants -et pas spécifiquement sous nos climats...

 

- Chez les enfants ?

 

- Oui. L'autre jour, j'en parlais avec un parent médecin, on observe cet engourdissement ou cette hyperexcitation, ce qui est, au total, de même nature, chez les plus jeunes, dans la famille, à l'école, dans l'organisation de la vie sociale, par exemple en biologie, dans les domaine de la proprioception et de l'haptique : les centres nerveux de la sensibilité profonde sont dégradés. On peut invoquer, et on ne s'en prive pas, un cortège de facteurs, l'alimentation moderne, ce qui n'est pas faux, le stress, les conditions du travail, et j'en passe. A ceci, corrélativement, en interaction, l'effondrement du vocabulaire et de la grammaire. Je l'ai déjà souligné, c'est l'acte de lecture lui-même qui est à présent en danger. On me dit que les gens lisent. Vraiment ? Je vois des individus s'emparer de livres, mais que se passe-t-il réellement pour eux ? Qu'est-ce que ça change pour eux en profondeur ? La novlangue, nous y sommes. C'est à la fois saisissant si l'on tend l'oreille et, pour moi, inquiétant. Je le dis avec une pointe de sel, je n'aime pas jouer les provocateurs de service, mais mes activités, par exemple, au contact d'étudiants de tous âges m'en offrent une démonstration journalière.

 

 

Après un autre tour d'horizon, j'invite le journaliste et ses assistants à faire cette fois le tour du jardin pour admirer les beautés du monde immédiat.

17 avril 2011 7 17 /04 /avril /2011 06:00

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Ciel d'huître, vent de houle.

 

L'amphi A1 est bondé quand j'arrive ce matin pour donner a lecture, une conférence sur William Blake. Le cadre, institutionnel, est formalisé; ma démarche, elle, est un mixte de balises intellectuelles précises et d'improvisations au gré du courant. Trois cents étudiants bien compactés, cela fait du monde. J'ai connu des espaces publics encore plus remplis, universitaires et autres, mais c'est déjà bien pour commencer, douces manettes (expression provençale), cette semaine entre fin d'hiver, chandails, cache-nez, velours, et regain printanier - tiens, les mocassins sont de retour.

 

Blake, do you remember ? Tiger Tiger. burning bright in the forests of the night, what immortal hand or eye could frame thy fearful symmetry ? Pour la petite histoire, un peu d'érudition légère ne fait pas de mal, notre tigre fascinant s'orthographiait avec un y en place du i dans l'édition princeps de 1794.

 

Je déroule les contours, les lignes générales, la portée de l'œuvre. Des citations, comme celle-ci : Je fus dans une imprimerie aux Enfers et je vis la façon dont se transmettait le savoir de génération en génération. J'insiste, en passant, sur l'influence de Blake, pensant au surréalisme. Vers la fin, l'idée en tête de donner le goût aux étudiants d'aller voir plus loin, j'utilise un artefact pédagogique, citant le film de Jim Jarmusch, Dead Man, 1995, interprété par Johnny Depp : I am William Blake, don't you know my poetry ?

 

- Et on les trouve où, les poèmes de Blake ?

- Vous les trouverez, par exemple, à la bibliothèque universitaire. J'ai vérifié pour vous avant notre rencontre, vous avez de quoi faire !

- Et si on veut les télécharger ?

- Les télécharger ?

- Oui, pour pouvoir les lire sur un e-Reader...

 

Je m'aperçois, ce n'est pas la première fois, en France et un peu partout en Europe, que les plus fortunés (tout de même...) des étudiants - et d'étudiants en lettres -, peuvent s'offrir le nec plus ultra de la technologie en la matière. Une dizaine de mains d'heureux propriétaires de ce type de machines se lèvent.

 

- Vous trouverez sans doute votre bonheur du côté du projet Gutenberg, de Wikisource, d'ebooks et d'autres sources...

 

La question n'est pas la disparition sacrilège du livre et son remplacement par des livrels en liseuses. Des livres, il y en aura toujours. Non, la question est qui saura, que dis-je ?, qui sait encore lire, tout simplement. Capacité neurologique de lire avec un esprit critique aiguisé. Quoi qu'on pense, quoi qu'on dise, le livre reste la voie royale de l'esprit. Il ouvre sur tous les chemins de traverse. Et si c'est un vrai, bon livre, il peut entraîner une échappée belle hors de la norme, du formatage, du conformisme béat et permettre, si le terrain s'y prête et s'il est un tant soit peu préparé à cela, la construction d'un soi sensible. La cause est entendue.

 

Invitant les étudiants à nous retrouver dans un mois autour de Wallace Stevens, je repense au mot décisif de Thoreau à l'époque de la pose du premier câble transatlantique en 1858 :

 

Nous sommes pressés de creuser un tunnel sous l’Atlantique pour rapprocher de quelques semaines le Vieux Monde du Nouveau ; mais il se peut que les premières nouvelles qui pénétreront dans la large oreille flottante de l’Amérique seront que la princesse Adélaïde à la coqueluche. (...) Des moyens de communication, je veux bien, mais si les gens n'ont rien à se dire ?

 

L'essentiel est là, devant nous.

14 avril 2011 4 14 /04 /avril /2011 06:00

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La première fois où je suis arrivé à Venise-la-subtile, au futur pour moi à jamais immédiat de la ville flottante, une brume de mer avait enveloppé le Rio Ognissanti d'un voile de mystère.

 

Mon père avait fait la surprise au jeune adolescent que j'étais dans ce temps d'avant de lui faire découvrir un monde de beauté incarnée. Ce premier séjour, succession de chocs esthétiques, allait durer une dizaine de journées emblématiques. Quand, devant les tribunaux vertueux de l'histoire, à commencer par l'histoire littéraire, entreprise pas très pertinente, au fond, Venezia est systématiquement associée à la maladie - forcément romantique ! -, aux miasmes, à la mort, La Mort à Venise, Der Tod in Venedig, vous voyez de qui je veux parler, bref, au malheur, je dis foutaises, foutaises...

 

Je me revois encore à la sortie de la stazione centrale, la vivacité des idiomes locaux tout de suite dans l'oreille, le vaporetto qui nous emporte sur le Grand Canal, mon père déroulant les noms des palais, à droite, à gauche, d'un large geste de la main, l'arrivée au Ponte dell'Accademia sous les particules d'eau en émulsion, le studio loué, nous posons notre bagage, les deux fenêtres donnent sur le canal faiblement éclairé, nous ressortons allegro, et là...Ah ! Effacement des lignes nettes, fluidité joyeuse des corps, les premières Vénitiennes croisées, très belles, sol de soie, le la est donné pour toujours.

 

Mon père avait conçu un stratagème pour que j'aille par moi-même déambuler au hasard des via, vicolo ou plazza du quartier immédiat et au-delà. Sur un carnet bleu, il avait tracé una cartina, un plan sommaire, les grandes directions, indiqué le chemin exact du retour au studio et le numéro de téléphone des secours, mais en chiffres à peine lisibles.

 

Le lendemain d'une nuit durant laquelle je n'ai pas fermé les yeux, mon père m'a dit :

 

Vas-y mon fils ! Retrouvons-nous vers quatre heures à la Dogana, la pointe de la douane maritime, tu ne peux pas te tromper. Moi, je vais rester un peu, faire quelques emplettes dans le Dorsoduro, vas-y !

 

Le carnet bleu en poche, une poignée de lires en sus, chemise blanche, pantalon blanc, un parfait communiant, je suis parti fièrement dans le matin clair et en même temps...

 

Je me suis perdu, j'ai aimé comme une passion sensuelle mes pas perdus.

 

Sur le carnet, deux ou trois phrases de circonstance au cas où : Per favore (s'il vous plaît), Non capisco (je ne comprends pas -je comprenais -naturellement- bien !), Dov'è ? (à quel endroit ?), A sinistra (à gauche), A destra (à droite), Sempre dritto (tout droit).

 

Pourtant, au fil des heures, plus j'avançais en reculant et l'inverse, plus j'avais la sensation d'être suivi. Près de la Punta della Dogana, ce manège étrange s'est dissipé lorsqu'enfin j'ai aperçu la silhouette de mon père à quelques mètres de moi, un gazzettino à la main. J'ai soudain compris qu'il n'avait pas cessé ou presque de veiller que rien de fâcheux ne vienne gâcher ma découverte. Ce n'était le premier exercice de déchirement temporaire au réciproque consenti, mais celui-là, dans le genre, était magistral !

 

Aujourd'hui, de retour, once again, à Venise, dans l'altra Venezia, je pense à mon père. Un père à éclipses. 

 

Bon déjeuner au Caffè dei Frari, cigare, grappa. La brume est revenue, les cloches sonnent en échos distanciés, je me dirige comme un grand vers le Rio de San Trovaso. J'ai rendez-vous avec Jacopo Robusti, dit Le Tintoret. Mon fantôme là, là et encore là.

 

Dans le clair-obscur, une mouette blanche me lance un kri-kri de reconnaissance.

10 avril 2011 7 10 /04 /avril /2011 06:00

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La journaliste canadienne de Montréal est brune, chaleureuse, plutôt futée, et...buveuse de bière.

 

Il y a celles qui aiment la lager au pub et celles qui apprécient le frascati sous la tonnelle. Ce sont des femmes, mais ce ne sont pas les mêmes.

 

Bon, celle-ci est vraiment intéressée par mon travail, ça ira.

 

Pour notre second entretien, en souvenir, qui sait ?, de Virginia Woolf, je lui ai donné rendez-vous à l'entrée de la pagode des Royal Botanic Gardens of Kew que tous les Anglais appellent simplement Kew Gardens depuis 1850, ces jardins d'exception situés au sud de Londres, près de Richmond, sur la Tamise.

 

- Vous me disiez ce matin que cette place a une signification particulière dans votre biographie.

 

- Oui, j'y suis venu la première fois il y a longtemps grâce à l'un de mes grands-parents qui avait une véritable passion pour la beauté et l'exactitude des sciences naturelles.Vous avez là sous les yeux sans aucun doute, pour qui voyage, le plus bel herbarium au monde. J'y reviens autant que je le peux. Nous sommes bien en Angleterre et en même temps en pleine jungle ou dans une forêt subtropicale d'Amérique du Sud. Au passage, si vous aimez les arbres, dans le Gloucestershire, vous avez l'arboretum de Westonbirt, une splendeur. 

 

- Et que faisait votre parent avec vous ?

 

- Comme il avait vite compris que mon énergie d'enfant se déployait vers l'étude au sens large, tant dans les livres que sur le terrain, des gais savoirs et des savoir-faire réjouissants, si vous voulez, ce parent qui était lui-même un esprit à la fois curieux et singulier ne manquait pas une occasion de me faire découvrir toutes sortes de choses qu'ensuite je ne demandais qu'à approfondir. C'est comme ça qu'aujourd'hui je retrouve aisément mes pas dans les magnifiques serres aux palmiers, sur les berges de l'étang aux nénuphars, ou ici dans ce jardin japonais de rocaille, regardez ces cactus étonnants, ces fleurs inouïes. Et il m'arrivait aussi de l'épater du haut de mes dix ans...

 

- Que voulez-vous dire ?

 

- Well, de retour à la maison, champêtre dans son urbanité, qui disposait d'une vaste véranda propice au travail et au songe, tout aussi curieux et, à l'évidence, aussi singulier que cet ancêtre, je pouvais sortir des dictionnaires, des encyclopédies de botanique des listes entières de plantes, de fleurs, d'arbres ainsi que les noms des prestigieux explorateurs qui ont introduit cette foison tout à fait remarquable en Europe. Je pense notamment à Linné, bien sûr, le prince en cette matière, mais aussi à Humboldt, son travail énorme dans un sens perspectiviste. J'ai gardé ces listes et certains herbiers qui vont avec que j'ai confectionnés en herborisant à mon tour dans les campagnes avoisinantes. Ce grand-père me contemplait et me faisait comprendre alors : Tu as gagné !

 

J'entraîne à présent la Canadienne de journaliste vers un gazebo, en français, une gloriette, couvert du nouveau chèvrefeuille odorant.

 

Noms de personnes, noms de choses, improvisations...

 

Kidnap dans un jardin anglais ?

6 avril 2011 3 06 /04 /avril /2011 06:00

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Ma pseudonymie ou polynimie n'a pas eu de cause fortuite dans ma personne.


 

Je fais souvent ce rêve étrange et pénétrant : je suis assis à une table de baccara dans un casino nordique. Plus je joue, plus je gagne. J'ai déjà amassé une fortune, un véritable veau d'or, lorsqu'un tapis volant m'emporte aux abords du château d'Elseneur. Atmosphère hamletienne crépusculaire. Les billets s'échappent de mes mains et se transforment en oiseaux multicolores qui s'en vont tournoyer au-dessus des pierres noires. Je suis attristé, je suis réjouis.

 

Une chambre métaphysique de quatre mètres sur trois avec vue sur le large. Me voici depuis plusieurs jours dans une Copenhague enneigée. Tour ce matin du côté de Nyhavn, ses façades de soleil, en quête d'un café. Comme j'ai de la chance, j'en trouve justement un en face d'une féline frégate à l'ancre reconstituée, me dit la plaque, dans les années 70. Le beau bois d'acajou lance des étincelles sur le ponton. À l'intérieur du troquet propret, ambiance très bord de mer : une foultitude d'objets de marine en cuivre et des gravures qui rappellent le passé commerçant de la ville entre mer du Nord et mer Baltique. Deux ou trois étudiants attablés, des netbooks en action et un vieux monsieur près de la fenêtre qui fait semblant de tirer sur une splendide pipe courbe, semblant, puisque presque partout aujourd'hui sur cette terre il est interdit de fumer, n'est-ce pas ?, dans les espaces publics (sic). Je commande ce que je peux trouver de plus chaud à cette heure et note certains détails de mon rêve quasi éveillé qui avaient tout d'abord échappé à mon attention.

 

Je voulais revenir ici. Le ciel, très haut, la musique singulière de la langue, les quais, les canaux, la vieille ville, des configurations érotiques inattendues, Christiana aussi - tout ça, lointain, lointain...

 

J'ai changé, je n'ai pas changé.

 

Au bout d'un moment, mes capillaires s'animant, je décide de reprendre mon chemin into the cold. À la devanture d'un bouquiniste, les Miettes philosophiques, Philosophiske Smuler, de l'ironique et attachant Søren. Oui, le Journal du séducteur, lu autrefois. Cet intersigne m'invite à pousser la porte. Les livres de la belle occasion sont bien rangés. Odeur de cire. Sourire aimable de l'hôte. Section philosophie, je tombe sur Le vrai visage de Kierkegaard (Pierre Mesnard, Professeur à la Faculté des Lettres d'Alger, Editions Beauchêne et Ses Fils, 1948, majuscules partout), Beau Chesne Croit dit fièrement le blason sur la première de couverture - oui, je me souviens. Ah ! Ce passage qui dit tout de Søren :

 

Après moi, on ne trouvera pas dans mes papiers -c'est là ma consolation-, un seul éclaircissement sur ce qui au fond a rempli ma vie; on ne trouvera pas en mon tréfonds ce texte qui explique tout et qui souvent, de ce que le le monde traiterait de bagatelles, fait pour moi des évènements d'énorme importance, et qu'à mon tour, je tiens pour une futilité, dès que j'enlève la note secrète qui en est la clef.

 

Mais ce qui m'attire chez Kierkegaard (jardin de presbytère, tout un programme !) est son goût des identités multiples. Victor Eremita, scripteur de Ou bien...ou bien, Nicolaus Notabene, auteur des Préfaces, Constantin Constantius, auteur de la première moitié de La Répétition ou encore Inter et inter, auteur de La Crise et une crise dans la vie d'une actrice. Mes deux préférés sont H.H., auteur de Deux essais éthico-religieux (il n'y a pas de fumée sans feu...) et surtout Hilarius le Relieur, auteur des Étapes sur le chemin de la vie.

 

La note secrète, une étape sur le chemin de ma vie. Et je repars dans le vent d'hiver, anonyme de toutes mes identités, le sourire aux lèvres.

3 avril 2011 7 03 /04 /avril /2011 06:00

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April in Paris, chestnuts in blossom, holiday tables under the trees, doux vent bleu.

 

Debout à six heures. Studio et jardin en éveil. Douche. Café. Tempo.

 

La radio diffuse des complaintes blues chantonnées, et parfois, psalmodiées, par les journaliers noirs au travail dans les plantations cotonnières du grand Sud.

 

J'entends encore la belle voix grave de Paul Robeson, Ol' Man River, Song of Freedom : les bateliers de la Volga sur les rives du Mississippi... 

 

On quitte soudain les années 30 pour foncer vers le milieu des années 50 : bascule du temps, changement de rythme, Ella Fitzgerald, le swing de ses improvisations vocales, les premières paroles humaines, c'était sans doute comme ça, un jazz naturel, des voyelles improbables placées dans une gestuelle pour qu'on les entende, frappe des mains dans l'air, frappe des pieds sur la terre.

 

Et aujourd'hui, frappe des touches du clavier musical en écriture.

 

It don't mean a thing if I ain't got that swing...