Brise bleue et touches de gris sur le Lago dei Quattro Cantoni ou lac des Quatre-Cantons.
Once upon a day...Un jour, il faudra bien que je me décide à avoir l'audace d'offrir ma bibliothèque à une institution ou à un individu. Ma bibliothèque est très personnelle et, pour en avoir vu beaucoup, ne ressemble à aucune autre.
Que faire ? J'ai bien une petite idée. Une université ? Pourquoi pas ? Mais dans les bibliothèques universitaires, françaises notamment, lettres, sciences, whatever, les ouvrages physiques, pour la plupart, je le constate sans arrêt, restent sur des étagères design haut de gamme comme meubles solitaires à l'encan...Les étudiants, sauf exceptions remarquables, ne savent plus lire. Provocation dans ma bouche ? Même pas. Un bibliophile ? Je crains justement qu'il ne soit trop bibliomane pour mon goût, et tatillon par-dessus le marché...Un mécène ? De l'argent impollué ces temps-ci ? Mirage, mirage...
Bon, j'ai le temps, bien sûr, je fais ce qu'il faut pour maintenir ma forme, mais y réfléchir me procure la joie sensuelle de revisiter à loisir certaines zones géographiques de ma librairie qui, sagement, au gré de mes saisons, attendent que le mouvement psychique les fasse revivre au grand jour. J'en touche un mot à l'instant, et même plusieurs, à une amie pianiste qui sait de quoi je parle : livres, livrets et partitions sont musiques muettes, voire clandestines, jusqu'au moment décisif où tout l'appareil neurologique leur rend une nouvelle vibration lumineuse. Nous sommes sur le même registre.
J'ai un amour immodéré pour les livres que je peux glisser dans la poche d'une veste, d'un blouson, d'un manteau. L'autre jour, un jour férié (chaque jour m'est férié), exemple entre mille, je me promenais dans la section îles britanniques quand je me suis aperçu qu'en un tournemain j'avais empli mes poches profondes de la collection A Book Of publiée autrefois par l'éditeur Collins...Ah !, cette collection au format d'un carnet, ses jaquettes de tons pastels, regorgeant des meilleurs poèmes classiques et de vignettes champêtres des années 1950, je peux les emporter au bout du monde.
Ainsi, A Book of Ireland (1959), intelligemment préfacé par Frank O'Connor (1903-1966), aujourd'hui un peu oublié, défenseur indéfectible de la lyrique harpe celtique.Tout ceci, une expérience très agréable que j'aime revivre en cadences.
Mais, au fond d'une poche, il y avait encore un autre livre. Dehors, dans la révélation solaire du jardinet, mes mains, voltigeant sur le clavier du temps, avaient aussi emporté Le Panama de Blaise Cendrars, traduit et illustré par John Dos Passos (Harpers & Brothers, New York, 1931) :
I was a youngster in those days,
Hardly sixteen and I couldnt remember my childhood.
I was sixteen thousand leagues away from the place I was born,
I was in Moscow, the city of a thousand and three belfries and seven railroadstations,
And the seven railroadstations and the thousand and three belfries werent enough for me
For youth was so burning and so mad...
(En ce temps-là j’étais en mon adolescence
J’avais à peine seize ans et je ne me souvenais déjà plus de mon enfance
J’étais à 16.000 lieues du lieu de ma naissance
J’étais à Moscou, dans la ville des mille et trois clochers et des sept gares
Et je n’avais pas assez des sept gares et des mille et trois tours
Car mon adolescence était si ardente et si folle...)
Se souvient-on que La Prose du Transsibérien et de la petite Jehanne de France est dédiée aux musiciens ?
Lumière, lumière...Oui, Ezra, properly, we shd. read for power. Man reading shd. be intensely alive. The book shd.be a ball of light in one's hand. (Pour le dire nettement : nous devrions lire pour augmenter notre puissance. Tout lecteur devrait être un homme intensément vivant. Et le livre, une sphère de lumière entre ses mains. Ezra Pound, Guide to Kulchur, News Directions, 1938).
Et si, après tout, équinoxes de printemps et de l'automne réunis, je m'en allais, aussi simplement, pour ainsi dire, que je suis venu, les poings dans mes poches crevées ?