6 mars 2011 7 06 /03 /mars /2011 07:00

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(...)

 

La Maorie a tout oublié les terreurs de la nuit pour la volupté d'être, dans la fraîcheur brillante de matin, et d'aller, et de s'ébattre, insoucieuse, libre dans la caresse de l'air, de l'herbe, du bain. Sa vie s'éveille avec la belle humeur de la terre et du soleil. Le plaisir est la grande affaire, et l'amour n'est que plaisir. Puis, elle danse, elle se couronne de fleurs, elle chante, elle rit, elle joue, et puis elle aime encore, à l'ombre des pandanus, et puis elle rit encore, et tout n'est que plaisir. Et la mer est là, dont elle préfère le blanc rivage aux fourrés de la forêt, la mer jolie avec ses récifs de coraux, la mer vivante avec sa voix infinie qui accompagne  sourdement l'iméné, la mer reposante qui baise de ses brises les brûlures de l'amour et du soleil. Et l'amour n'est que plaisir, et tout n'est que plaisir, même le travail : l'occasion d'une promenade en mer ou sur la montagne, la gloriole de montrer sa force ou son adresse, le douceur d'obliger un ami, le travail, plaisir des hommes qu'ils partagent avec les femmes et dont la nature a, d'avance, fait les frais.

 

Et la sagesse, encore, est un jeu, le plaisir des vieillards, aux veillées -aux veillées où la peur, aussi, amuse (tant, du moins, que le soleil n'a pas quitté l'horizon et qu'on est à plusieurs), par des récits fantastiques, préludes aux prochains cauchemars et qui relèvent d'un peu de religieuse horreur le délice accompli du jour, bien que déjà, durant la sieste, l'aile noire des Tupapaüs ait effleuré le front des dormeuses. Près de la case en bois de bourao, à distance du rivage que la matinée tropicale maintenant embrase, la forêt commence et de l'ombre fraîche tombe des premiers manguiers.

 

Des hommes, des femmes, tanés, vahinés, sont là, groupés, épars, debout et affairés, assis ou couchés et déjà reposant. On boit, on bavarde, on rit. 

 

(Paul Gauguin, Noa Noa, édition de 1901 par Charles Morice)

4 mars 2011 5 04 /03 /mars /2011 07:00

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Oui, oui, oui, je veux bien être un âne (animal très doux...),

une andouille (celle de Bretagne est délicieuse...),

un bêta, un dadais (rapport avec un cheval dont le cerveau s'emballe ?),

un corniaud, un demeuré (j'habite ma propre maison...),

un nigaud, un simpleton, un naïf (on dirait le nom d'une fleur...),

et même, qu'il pleuve, qu'il vente ou qu'il fasse soleil, un sot parfait.

 

Amour pour les faibles d'esprit (faibles ? Tu parles !) et admiration sans borne pour le prince Mychkine. Et d'accord aussi, une fois l'an, avec Boris Vian : dire des idioties, de nos jours où tout le monde réfléchit profondément, c'est le seul moyen de prouver qu'on a une pensée libre et indépendante.des idioties, de nos jours où tout le monde réfléchit profondément, c'est le seul moyen de prouver qu'on a une pensée libre et indépendante.

 

Benoîtement, je poursuis mon bienheureux bonhomme de chemin à la lumière de ma bonne étoile...

2 mars 2011 3 02 /03 /mars /2011 07:00

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In Voraussicht, daß ich über Kurzem mit der schwersten Forderung an die Menschheit herantreten muß, die je an sie gestellt wurde, scheint es mir unerläßlich, zu sagen, wer ich bin. Im Grunde dürfte man's wißen : denn ich habe mich nicht "unbezeugt gelaßen". Das Mißverhältniss aber zwischen der Größe meiner Aufgabe und der Kleinheit meiner Zeitgenoßen ist darin zum Ausdruck gekommen, daß man mich weder gehört, noch auch nur gesehn hat. Ich lebe auf meinen eignen Credit hin, es ist vielleicht bloß ein Vorurtheil, daß ich lebe?… Ich brauche nur irgend einen "Gebildeten" zu sprechen, der im Sommer ins Oberengadin kommt, um mich zu überzeugen, daß ich nicht lebe… Unter diesen Umständen giebt es eine Pflicht, gegen die im Grunde meine Gewohnheit, noch mehr der Stolz meiner Instinkte revoltirt, nämlich zu sagen : Hört mich! denn ich bin der und der. Verwechselt mich vor Allem nicht !

 

(Friedrich Nietzsche, Ecce homo : Wie man wird, was man ist, 1908)

 

 

(En prévision que d'ici peu j'aurai à soumettre l'humanité à une exigence plus dure que celles qui lui ont jamais été imposées, il me paraît indispen­sable de dire ici qui je suis. Au fond, on serait à même de le savoir, car je ne suis pas resté sans témoigner de moi. Mais le désaccord entre la grandeur de ma tâche et la petitesse de mes contem­porains s'est manifesté par ceci que l'on ne m'a ni entendu ni même vu. Je vis sur le crédit que je me suis fait à moi-même, et, de croire que je vis, c'est peut être là seulement un préjugé !... Il me suffit de parler à un homme « cultivé » quelconque qui vient passer l'été dans l'Engadine supérieure, pour me convaincre que je ne vis pas... Dans ces condi­tions il y a un devoir contre lequel se révolte au fond ma réserve habituelle et, plus encore, la fierté de mes instincts, c'est le devoir de dire : Écoutez-moi, car je suis un tel. Avant tout ne me confondez pas avec un autre ! Traduction H. Albert, Mercure de France, 1908)

27 février 2011 7 27 /02 /février /2011 07:00

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Kosmos

 

Who includes diversity and is Nature,
Who is the amplitude of the earth, and the coarseness and sexuality of
the earth, and the great charity of the earth, and the equilibrium also,
Who has not look'd forth from the windows the eyes for nothing,
or whose brain held audience with messengers for nothing,
Who contains believers and disbelievers, who is the most majestic lover,
Who holds duly his or her triune proportion of realism,
spiritualism, and of the aesthetic or intellectual,
Who having consider'd the body finds all its organs and parts good,
Who, out of the theory of the earth and of his or her body
understands by subtle analogies all other theories,
The theory of a city, a poem, and of the large politics of these States;
Who believes not only in our globe with its sun and moon, but in
other globes with their suns and moons,
Who, constructing the house of himself or herself, not for a day
but for all time, sees races, eras, dates, generations,
The past, the future, dwelling there, like space, inseparable together.


 

Walt Whitman, Leaves of Grass, Book XXIV, Autumn Rivulets, 1892 

23 février 2011 3 23 /02 /février /2011 07:00

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Oui, au-delà de l'admission commune (la neige, le froid), il peut faire beau et chaud sur les places, dans les rues aux balcons fleuris et sur les toits-terrasses pour mille oiseaux de l'ancienne capitale polonaise.

 

Krakow. La vie détraquée de Cracovie au sortir de la dernière grande déflagration d'abord et de la guerre froide ensuite s'est remembrée et brille aujourd'hui d'un éclat étonnant. La cité qu'étudiant Copernic avait fréquentée abrite toujours des établissements d'enseignement supérieurs prestigieux : s'y promener emplit largement vos semaines. Et si cela ne suffit pas, églises, chapelles et théâtres pourvoiront à votre curiosité -les noms de Jan Niecisław Baudouin de Courtenay et de Tadeusz Kantor signifient encore quelque chose dans le coin.

 

Mais...

 

J'ai beau savourer un roboratif petit-déjeuner servi dans de la porcelaine fine sur nappes blanches en compagnie d'étudiants tous plus volubiles les uns que les autres sur la Rynek Główny, la grand' place locale, je ressens un malaise de nature pernicieuse. L'écrin architectural, la rumeur de la ville et même le soleil abondant d'aujourd'hui m'apparaissent brutalement factices. Une ruralité torve, très Mitteleuropa, s'agite d'un seul coup sous mes yeux dans ce décorum :  inquiétante jovialité excessive.

 

L'esprit de l'escalier me pousse à mettre un pied dans le plat. Je pose cette question à mes voisins étudiants : 

 

- Et Auschwitz dans tout ça ? 

- Auschwitz ? Ah, vous voulez dire Oświęcim ? 

- Oui, le Konzentrationslager Auschwitz qui se trouve à quelques kilomètres d'ici...

- C'est du passé, de l'histoire ancienne, on en a marre d'entendre parler de ça. Oui, on comprend, vous êtes un touriste...

- Ah, bon ?

 

En Petite-Pologne, on peut parler de tout, mais on ne peut pas parler de tout. J'aurais pu continuer et mettre le deuxième pied dans le plat. J'avais mieux à faire : sortir de la ville, quitte à emprunter, une fois de plus, la grande route rectiligne et, par endroits, complètement défoncée, qui mène dangereusement jusqu'à Varsovie. Et je me disais qu'il aura fallu attendre pas mal d'années (par exemple, le tournage sur place, en 1992, de La Liste de Schindler par Steven Spielberg) pour que le quartier juif de Cracovie - Kazimierz - connaisse une réhabilitation officielle bien concrète.

 

Milieu de l'après-midi. 


Un endroit ombragé à l'écart du vacarme autoroutier.


La voiture et son chauffeur ont besoin de se reposer.


En tailleur sur un talus, je tire des provisions de mon sac.


Et pense à ceux qui, au fond du gouffre, n'ont pas eu cette chance, hier à l'échelle des temps historiques, de toucher des lèvres un simple quignon de pain.

 

À l'Ouest, soudain, dans un ciel chauffé à blanc, un vol de colombes...

20 février 2011 7 20 /02 /février /2011 07:00

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Brise bleue et touches de gris sur le Lago dei Quattro Cantoni ou lac des Quatre-Cantons.

 

Once upon a day...Un jour, il faudra bien que je me décide à avoir l'audace d'offrir ma bibliothèque à une institution ou à un individu. Ma bibliothèque est très personnelle et, pour en avoir vu beaucoup, ne ressemble à aucune autre.

 

Que faire ? J'ai bien une petite idée. Une université ? Pourquoi pas ? Mais dans les bibliothèques universitaires, françaises notamment, lettres, sciences, whatever, les ouvrages physiques, pour la plupart, je le constate sans arrêt, restent sur des étagères design haut de gamme comme meubles solitaires à l'encan...Les étudiants, sauf exceptions remarquables, ne savent plus lire. Provocation dans ma bouche ? Même pas. Un bibliophile ? Je crains justement qu'il ne soit trop bibliomane pour mon goût, et tatillon par-dessus le marché...Un mécène ? De l'argent impollué ces temps-ci ? Mirage, mirage...

 

Bon, j'ai le temps, bien sûr, je fais ce qu'il faut pour maintenir ma forme, mais y réfléchir me procure la joie sensuelle de revisiter à loisir certaines zones géographiques de ma librairie qui, sagement, au gré de mes saisons, attendent que le mouvement psychique les fasse revivre au grand jour. J'en touche un mot à l'instant, et même plusieurs, à une amie pianiste qui sait de quoi je parle : livres, livrets et partitions sont musiques muettes, voire clandestines, jusqu'au moment décisif où tout l'appareil neurologique leur rend une nouvelle vibration lumineuse. Nous sommes sur le même registre.

 

J'ai un amour immodéré pour les livres que je peux glisser dans la poche d'une veste, d'un blouson, d'un manteau. L'autre jour, un jour férié (chaque jour m'est férié), exemple entre mille, je me promenais dans la section îles britanniques quand je me suis aperçu qu'en un tournemain j'avais empli mes poches profondes de la collection A Book Of publiée autrefois par l'éditeur Collins...Ah !, cette collection au format d'un carnet, ses jaquettes de tons pastels, regorgeant des meilleurs poèmes classiques et de vignettes champêtres des années 1950, je peux les emporter au bout du monde.

 

Ainsi, A Book of Ireland (1959), intelligemment préfacé par Frank O'Connor (1903-1966), aujourd'hui un peu oublié, défenseur indéfectible de la lyrique harpe celtique.Tout ceci, une expérience très agréable que j'aime revivre en cadences.

 

Mais, au fond d'une poche, il y avait encore un autre livre. Dehors, dans la révélation solaire du jardinet, mes mains, voltigeant sur le clavier du temps, avaient aussi emporté Le Panama de Blaise Cendrars, traduit et illustré par John Dos Passos (Harpers & Brothers, New York, 1931) :


 

I was a youngster in those days,

Hardly sixteen and I couldnt remember my childhood.

I was sixteen thousand leagues away from the place I was born,

I was in Moscow, the city of a thousand and three belfries and seven railroadstations,

And the seven railroadstations and the thousand and three belfries werent enough for me

For youth was so burning and so mad...

 

(En ce temps-là j’étais en mon adolescence
J’avais à peine seize ans et je ne me souvenais déjà plus de mon enfance
J’étais à 16.000 lieues du lieu de ma naissance
J’étais à Moscou, dans la ville des mille et trois clochers et des sept gares
Et je n’avais pas assez des sept gares et des mille et trois tours
Car mon adolescence était si ardente et si folle...)


 

Se souvient-on que La Prose du Transsibérien et de la petite Jehanne de France est dédiée aux musiciens ?

 

Lumière, lumière...Oui, Ezra, properly, we shd. read for power. Man reading shd. be intensely alive. The book shd.be a ball of light in one's hand. (Pour le dire nettement : nous devrions lire pour augmenter notre puissance. Tout lecteur devrait être un homme intensément vivant. Et le livre, une sphère de lumière entre ses mains. Ezra Pound, Guide to Kulchur, News Directions, 1938).

 

Et si, après tout, équinoxes de printemps et de l'automne réunis, je m'en allais, aussi simplement, pour ainsi dire, que je suis venu, les poings dans mes poches crevées ? 

16 février 2011 3 16 /02 /février /2011 07:00

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Été en plein hiver.

 

Terrasse de bistrot et ballon de vin blanc à deux pas de la Barer Straße, Munich. Avant l'entrée en scène de la bouffonnerie touristique, heureusement rare en cette saison, tour matinal à un autre de ces musées vivants sur cette planète qui, une fois encore, ravit mes sens. Je m'amuse beaucoup à prononcer le mot pinakothek (guess why) et à l'écrire plusieurs fois sur mon carnet. Lettres K en abondance visuelle et sonore. Vers 1850, Louis de Bavière eut la bonne idée, parmi divers projets culturels ambitieux, de rassembler sa collection dans, littéralement, une boîte à tableaux : il avait en tête de faire de la ville aux moines (München) une sorte d'acropole esthétique sur les rives de l'Isar. Qui pourra dire l'influence qu'aura exercée sur Louis l'Irlandaise Eliza Rosanna Gilbert, autrement connue sous le nom exotique de Lola Montez, danseuse diablesse et courtisane intrépide ?

 

Agréable verticalité architecturale (ville reconstruite, oblitération du passif, Die Weiße Rose  en souvenir précis) et toiles de beauté à l'infini.Salle X, Tiepolo en cadeau, Bruegel dans le secret du cabinet 16, Guardi et sa flottille bleue salle XII -je note sensations, raccourcis, dialogues imaginaires des maîtres dans le temps.

 

Félicité des affinités électives dans la toile de Friedrich, Der Sommer (1807). Couple enlacé, seule présence humaine, symbolismes sexuels (presque trop évidents) du bouleau feuillu, des vallées féminines et du fleuve spermatique. Non ? Loin des sermons, couple romantique enlacé, mais couple caché dans l'hébergement naturel des éléments bienveillants. Discrétion, conversation et, qui sait ?, anticipation.

 

Ici et toujours, grands bonheurs : signes ascendants.

12 février 2011 6 12 /02 /février /2011 11:00

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Soleil en abysse inversée sur Grand Central Station, New York.

 

Avant de prendre le train qui me mènera jusqu'à White Plains et son puzzle de lacs miniatures, je fais un tour à la librairie souterraine de la gare et tombe sur l'essai de Matthew B. Crawford, Shop Class as Soulcraft : An Inquiry Into the Value of Work (Penguin Press, 2009).

 

Cet ancien universitaire, lassé sans doute de l'inanité du milieu, décide un beau jour d'ouvrir un atelier de réparation de motos. Hands on experience ou les mains dans le cambouis ! Belle première de couverture (BMW R69S rouge, et peut-être 69US, des années 1950 pour les intimes, devant une grange typiquement américaine) et propos intelligents sur la valeur intrinsèque du travail artisanal bien fait.

 

Je me dis que cet essai est à rapprocher, sans les confondre, du célèbre Zen and the Art of Motorcycle Maintenance : An Inquiry into Values publié par Robert M. Pirsig en 1974 (William Morrow & Company). Dans les deux cas, humour et détachement salutaires.

 

Ah !, motos, motos...Quant à moi, les anciennes, bien sûr, celles qui sont entrées dans une collection pour ressortir dès les premiers beaux jours. La fortune vous sourit, des amis vous prêtent des machines reluisantes et  vous voici, seul maître de votre destin, gentleman rider, en pétarades mémorables le nez au vent !

 

Par exemple, sur la corniche des Cévennes (quelles magnifiques routes serpentines en cette région française, de Saint-Jean-du-Gard à Florac, bonjour Stevenson, au coeur du vaste parc arboré !) ou dans le massif des Maures (Cogolin, Gonfaron, Collobrières, La Garde-Freinet, bonjour Rezvani, le golfe de Saint-Tropez, la chartreuse de la Verne, Cavalaire, Sainte-Maxime, cap Lardier et cap Taillat, thym, lavande, genêts, cistes, mimosas, lauriers, chênes-lièges...) ou, si vous êtes particulièrement chanceux, cavalier pour montures originales, votre croisière vous porte sur les dernières portions carrossables de la Route 66, entre Flagstaff et Kingman (halte à Hackberry - les bikers d'Easy Rider ne sont pas loin).

 

Mais, rétrospectivement, l'expérience la plus cocasse et digne d'un risque-tout aura été de piloter ou plutôt de tenter de piloter une Royal Enfield sur les routes turbulentes du continent indien !

 

Il Signor Rider, l'ultimo Cavaliere... Avanti !

11 février 2011 5 11 /02 /février /2011 07:00

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Blanc astral.

 

Dans le train qui me porte à Oslo, lecture des Fragments rédigés en quasi apnée par la fragile Marilyn (Seuil, 2010).

 

De tout dans ce qui se veut un recueil, à l'ombre des regards pendant des années et qui surgit spectaculairement en même temps dans plusieurs pays à la fois : des lettres, des écrits que l'on dit intimes, des textes poétiques, une sensibilité évidente, beaucoup, beaucoup de biffures. Une négation névrotique progressive de ses potentialités jusqu'au naufrage final sous le soleil californien d'août 1962.

 

Au-delà de tout ce que l'on sait ou croit savoir, attachante, Marilyn, grâce à ce volume en édition bilingue, l'est encore un peu plus. Regardez, la voici, dans un jardin, plongée dans la lecture de James Joyce. Très belle photo prise à Long Island en 1955. Long Island. Mer, plages, vacances loin du vacarme hollywoodien. Elle ne fait pas semblant, elle lit et comprend bel et bien ce qu'elle lit. Rien de factice non plus dans sa bibliothèque personnelle : Hemingway, Kerouac, Steinbeck, Camus, Flaubert, Conrad, Beckett, Heine, Whitman...On croit rêver, c'est pourtant vrai.

 

Et ce texte en forme de haîku, un raccourci de vie en gros points d'interrogation :

 

No attitude

listening to the body for

the feeling

listen with the eyes

buoyancy

Tension

loose -having no brakes

letting go of everything.

feeling only -all I have to

do is think it.

How do

I hear the melody -the

Tone springs from emotion

Tone -groans and moans -"I'm

(animals -"down to the hogs)

so sick" -hums from with cat -hum- nice kitty soft.

 

starts from below my feet

feet -all in my feet.

 

What is my pantomime playing with

How is my head ?

 

 

Pas de pose

Écouter le corps pour l'émotion

Écoute avec les yeux

Flottement

Tension

Relâchement, aucun frein

laisser tout aller

Seulement sentir -tout ce que j'ai à faire est de

le penser.

Comment est-ce que j'entends la chanson -

le ton naît de l'émotion

Ton -plainte et gémissement -"Je suis

(animaux : "à la niche")

si malade" -ronronnements

d'un chat -ronronne- douce petite chatte.

 

cela commence depuis la plante des pieds

pieds. Tout dans mes pieds

 

Avec quoi joue ma pantomime ?

Comment ça va ma tête ?

 

(Traduction de Tiphaine Samoyault)

 

 

Pantomime, charade et cette ultime déclaration : j'aime la poésie et les poètes...

9 février 2011 3 09 /02 /février /2011 07:00

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La prévoyance des renards qui cachent leur gibier en différents endroits pour le retrouver au besoin.

 

 

Brouillard bleuté aux abords des bois.

 

J'aime beaucoup le au besoin sous la plume de Buffon qui décrit le renard dans son Histoire naturelle des animaux (1753). Balade matinale, presque une randonnée, comme un grand solitaire des lieux dans ce joyau, la forêt de Compiègne, à une courte heure de la capitale en automobile. Dans la poche, outre une édition commode du bon Buffon, sa biographie, fine et sensible, par Pierre Gascar (Gallimard, 1983), que j'avais envie de relire.

 

Une souche à la croisée des chemins et des routes non loin du charmant village de Saint-Jean-aux-Bois et son chêne rouvre dont on dit qu'il fut planté au temps de Louis IX de France plus connu sous le nom de Saint Louis. Tiens, il me revient qu'il est mort à Tunis en 1270. Ah, ces sacrés chevaliers croisés ! Mais la Terre sainte est partout aurait dit mon ami Thoreau qui pratiquait à merveille the art of sauntering, une de ses expressions familières, l'art de la marche inspirée et inspiratrice. Évangile du temps présent : c'est exactement ce que j'essaie de faire en ce lever du jour parcourant ce limon de mousses odorantes.

 

Animaux, mes voisins : le cerf élaphe, le lapin de garenne, le renard roux, le hérisson des haies, le faisan de Colchide, le daim, l'écureuil, le faon, le singulier sanglier, le marcassin, la chauve-souris, le putois, le pic noir, la chouette chevêche (répéter dix fois, très vite), la tourterelle, le chat sauvage, le loir gris, le rossignol des murailles, l'ours brun et le loup (oui, mais pas dans les parages), le blaireau, le coucou, le lynx, le geai, le lérot, le chevreuil des futaies...Encore ! Encore !

 

Arbres, mes totems : le bouleau, le hêtre, le cèdre, le merisier, le peuplier, le mélèze, l'érable, le frêne, le châtaignier, le pin sylvestre, le pin maritime, le sapin tout simple, et le beau charme. Il ne manquerait alentour que l'arbre du voyageur, aussi extravagant que moi ! Je vais les saluer les uns après les autres comme le faisait un autre de mes grands amis, John Cowper Powys, en appuyant mon front un moment contre leurs écorces fraîches.

 

Les derniers mots prononcés par Henry David Thoreau : Indien...Caribou... 

 

Caribou, ouh ouh ! Où es-tu ?