2 octobre 2019 3 02 /10 /octobre /2019 06:00
Le chemin de Walden

Trump ou pas Trump, ou un autre, j'avais pris ma décision.

 

La fermeture des frontières et l'obscurcissement des cerveaux ne réfrèneront jamais l'ardeur du voyageur. Je voulais encore partager une franche journée de conversation ininterrompue au contact de Thoreau, mon frère en esprit.

 

Franchis les barrières de la douane, la fouille obsessionnelle de mon sac et l'incontournable interrogatoire vétilleux, une commodité moderne de circulation, à la robe bleu pétrole, m'a porté à travers les beaux bois jusqu'à Concord, Massachusetts. Henry David se tenait, radieux, une fois n'est pas coutume, sur le seuil de sa log-cabin dont les rondins avaient été taillés par une vigoureuse serpe. Après notre chaleureux salut au réciproque, ni une ni deux, nous filâmes sur le chemin de Walden empourpré des exquises couleurs de l'automne.

 

Une fois arrivés sur les berges de l'étang, Thoreau me demanda :

 

« Quel sens donnes-tu à ton existence ?

– J'essaie, dis-je, du mieux que je peux, de pousser mes potentialités le plus loin possible... »

 

Thoreau eut ce sourire inégalable dont il avait le secret. Bâtons de bois tombé à la main, nous fîmes le tour de l'aire liquide que les guides touristiques appellent quelquefois tantôt lac, tantôt mare. Revenus sur nos pas en compagnie des grives véloces et d'un héron taciturne, nous eûmes le temps d'apercevoir la ramure duveteuse de l'élan solitaire qui s'évanouit tout tranquille dans le silence des taillis. Logés sur un tapis de galets, j'ai ouvert mon sac, et pris l'album, lequel, aussitôt, intéressa vivement Thoreau. 

 

« Voici les photographies du lieu et de ses alentours que Gleason a réalisées après ton départ.

– Ah ! Quelle vision juste !, fit Thoreau, ce Herbert Wendell est vraiment perspicace. Ce qui est là. C'est exactement ça ! »

 

À son tour, Thoreau sortit un carnet de la poche de son manteau habilement raccommodé. Un manteau vert pour mieux se fondre dans la nature. C'était une page d'un projet en cours. J'ai lu :

 

« Je gagnais les bois parce que je voulais vivre suivant mûre réflexion, n’affronter que les actes essentiels de la vie, et voir si je ne pourrais apprendre ce qu’elle avait à enseigner, et non pas, quand je viendrais à mourir, découvrir que je n’avais pas vécu. Je ne voulais pas vivre ce qui n’était pas la vie, la vie est si chère ; pas plus que je ne voulais pratiquer la résignation, avant que ce ne fût tout à fait nécessaire. Ce que je voulais, c’était vivre en profondeur, sucer toute la moelle de la vie, mener une vie assez vigoureuse et spartiate pour mettre en déroute tout ce qui n’était pas la vie, couper un large andain et tondre ras, acculer la vie dans un coin, et la réduire à sa plus simple expression. »

 

Le chemin de Walden reste, pour moi, de bois en mois, ce chemin qui toujours mène quelque part.

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