11 mai 2016 3 11 /05 /mai /2016 06:00

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Quoi d'autre ?

 

Douce chaleur nocturne. Fandango à la nervure des guitares. Conversations exquises.

 

L'hymne :

 

« Il est un pays superbe, un pays de Cocagne, dit-on, que je rêve de visiter avec une vieille amie. Pays singulier, noyé dans les brumes de notre Nord, et qu’on pourrait appeler l’Orient de l’Occident, la Chine de l’Europe, tant la chaude et capricieuse fantaisie s’y est donné carrière, tant elle l’a patiemment et opiniâtrement illustré de ses savantes et délicates végétations.

Un vrai pays de Cocagne, où tout est beau, riche, tranquille, honnête ; où le luxe a plaisir à se mirer dans l’ordre ; où la vie est grasse et douce à respirer ; d’où le désordre, la turbulence et l’imprévu sont exclus ; où le bonheur est marié au silence ; où la cuisine elle-même est poétique, grasse et excitante à la fois ; où tout vous ressemble, mon cher ange.

Tu connais cette maladie fiévreuse qui s’empare de nous dans les froides misères, cette nostalgie du pays qu’on ignore, cette angoisse de la curiosité ? Il est une contrée qui te ressemble, où tout est beau, riche, tranquille et honnête, où la fantaisie a bâti et décoré une Chine occidentale, où la vie est douce à respirer, où le bonheur est marié au silence. C’est là qu’il faut aller vivre, c’est là qu’il faut aller mourir !

Oui, c’est là qu’il faut aller respirer, rêver et allonger les heures par l’infini des sensations. Un musicien a écrit l’Invitation à la valse ; quel est celui qui composera l’Invitation au voyage, qu’on puisse offrir à la femme aimée, à la sœur d’élection ?

Oui, c’est dans cette atmosphère qu’il ferait bon vivre, — là-bas, où les heures plus lentes contiennent plus de pensées, où les horloges sonnent le bonheur avec une plus profonde et plus significative solennité.

Sur des panneaux luisants, ou sur des cuirs dorés et d’une richesse sombre, vivent discrètement des peintures béates, calmes et profondes, comme les âmes des artistes qui les créèrent. Les soleils couchants, qui colorent si richement la salle à manger ou le salon, sont tamisés par de belles étoffes ou par ces hautes fenêtres ouvragées que le plomb divise en nombreux compartiments. Les meubles sont vastes, curieux, bizarres, armés de serrures et de secrets comme des âmes raffinées. Les miroirs, les métaux, les étoffes, l’orfévrerie et la faïence y jouent pour les yeux une symphonie muette et mystérieuse ; et de toutes choses, de tous les coins, des fissures des tiroirs et des plis des étoffes s’échappe un parfum singulier, un revenez-y de Sumatra, qui est comme l’âme de l’appartement.

Un vrai pays de Cocagne, te dis-je, où tout est riche, propre et luisant, comme une belle conscience, comme une magnifique batterie de cuisine, comme une splendide orfévrerie, comme une bijouterie bariolée ! Les trésors du monde y affluent, comme dans la maison d’un homme laborieux et qui a bien mérité du monde entier. Pays singulier, supérieur aux autres, comme l’Art l’est à la Nature, où celle-ci est réformée par le rêve, où elle est corrigée, embellie, refondue.

Qu’ils cherchent, qu’ils cherchent encore, qu’ils reculent sans cesse les limites de leur bonheur, ces alchimistes de l’horticulture ! Qu’ils proposent des prix de soixante et de cent mille florins pour qui résoudra leurs ambitieux problèmes ! Moi, j’ai trouvé ma tulipe noire et mon dahlia bleu !

Fleur incomparable, tulipe retrouvée, allégorique dahlia, c’est là, n’est-ce pas, dans ce beau pays si calme et si rêveur, qu’il faudrait aller vivre et fleurir ? Ne serais-tu pas encadrée dans ton analogie, et ne pourrais-tu pas te mirer, pour parler comme les mystiques, dans ta propre correspondance ?

Des rêves ! toujours des rêves ! et plus l’âme est ambitieuse et délicate, plus les rêves l’éloignent du possible. Chaque homme porte en lui sa dose d’opium naturel, incessamment sécrétée et renouvelée, et, de la naissance à la mort, combien comptons-nous d’heures remplies par la jouissance positive, par l’action réussie et décidée ? Vivrons-nous jamais, passerons-nous jamais dans ce tableau qu’a peint mon esprit, ce tableau qui te ressemble ?

Ces trésors, ces meubles, ce luxe, cet ordre, ces parfums, ces fleurs miraculeuses, c’est toi. C’est encore toi, ces grands fleuves et ces canaux tranquilles. Ces énormes navires qu’ils charrient, tout chargés de richesses, et d’où montent les chants monotones de la manœuvre, ce sont mes pensées qui dorment ou qui roulent sur ton sein. Tu les conduis doucement vers la mer qui est l’Infini, tout en réfléchissant les profondeurs du ciel dans la limpidité de ta belle âme ; — et quand, fatigués par la houle et gorgés des produits de l’Orient, ils rentrent au port natal, ce sont encore mes pensées enrichies qui reviennent de l’infini vers toi. »

 

Encore ? À l'infini...

 

 

27 avril 2016 3 27 /04 /avril /2016 06:00

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Au grenier, les jours de pluie...

 

Le hasard me fit un jour récipiendaire de plusieurs ouvrages signés Paul d'Ivoi.

 

Je lui préférai Jules Verne.

 

Pourtant, et pour autant, Les Cinq sous de Lavarède, Massiliague de Marseille, Cigale en Chine, Les Semeurs de glace ou L’Aéroplane fantôme ne manquent pas de charme.

 

Une bruine à la Mac Orlan vient ourler la frondaison :

 

« La Wilhelmstrasse, – rue Guillaume – partant de l’avenue des Tilleuls, à côté de la place de Paris, pour aboutir à la place Belle-Alliance, est la voie la plus aristocratique de Berlin, capitale allemande, que la Sprée aux eaux grises divise en deux parties inégales.

Or, la maison portant le numéro 73 s’adosse aux bâtiments annexes du ministère des Affaires étrangères, dont la façade principale et la plupart des services sont situés de l’autre côté de la rue au numéro 76. Ces détails… topographiques étaient indispensables parce que…

Parce que, dans un salon-bureau du rez-de-chaussée du numéro 73, deux personnes conversaient avec cette familiarité confiante qu’expliquent seuls les liens de parenté.

– Alors, Marga, la liberté que vous a rendue le veuvage, vous pèse ?

– La liberté, non, mon père,… ce n’est pas la liberté qui me déplaît, c’est la solitude…

Le père de Marga se renversa dans son fauteuil en riant de grand cœur. »

 

Un peu d'ennui de temps en temps en vue de longues jouissances...

 

 

13 avril 2016 3 13 /04 /avril /2016 06:00

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Amor, toujours...

 

Dans la salle des incunables, l'opératrice brune tourne pour moi seul les pages.

 

Elle est portugaise, virevoltante de silence telle une geisha à son affaire.

 

Éblouissement des lettres dorées sur fibres d'azur :

 

« Amors, enquera.us preyara
Que.m fossetz plus amoroza,
C’us paucs bes desadolora
Gran re de mal ! e paregra
S’era n’aguessetz merce.
Car de me no.us en sove
Mas e.m pes qu’enaissi.m prenha
Com fetz al comensamen,
Can me mis al cor la flama
De leis que.m fetz estar len,
C’anc no m’en detz jauzimen.

Mout viu a gran aliscara
Et ab dolor angoissoza
Selh cui totz tems assenhora
Mala domna ! qu’eu m’estegra
Jauzens, mas aissi m’ave
Que leis cui dezir, no cre
Qu’eu l’am tan c’a mi covenha
L’onors ni.l bes qu’eu n’aten!
Et a.n tort, c’als no reclama
Mos cors mas leis solamen
E so c’a leis es plazen.

Totz tems de leis me lauzara,
S’era.m fos plus volontoza,
C’amors, qui.l cor enamora,
M’en det - mais no.m n’escazegra
Non plazers, mas sabetz que
Envey’ e dezir ancse
E s’a leis platz que.m retenha,
Far pot de me so talen,
Melhs no fa.l vens de la rama
Qu’enaissi vau leis seguen
Com la folha sec lo ven.

Tant es fresch’ e bel’ e clara
Qu’amors n’es vas me doptoza ,
Car sa beutatz alugora
Bel jorn e clarzis noih negra!
Tuit sei fait on mielz cove,
Son fin e de beutaz ple!
No.n dic laus, mas mortz mi venha
S’eu no l’am de tot mo sen !
Mas, domn’, Amors m’enliama,
Que.m fai dir soven e gen
De vos manh vers avinen.

Doussa res, conhd’ et avara,
Umils, franch’ et orgolhoza,
Bel’ e genser c’ops no fora,
Domna, per merce.us queregra,
Car vos am mais c’autra re,
Que.us prezes merces de me,
Car tem que mortz me destrenha,
Si pietatz no.us en pren.
E s’eu mor, car mos cors ama
Vos, vas cui res no.m defen,
Tem que i fassatz falhimen.

Soven plor tan que la chara
N’ai destrech’ e vergonhoza,
E.l vis s’en dezacolora,
Car vos, don jauzir me degra,
Pert, que de me no.us sove .
E no.m don Deus de vos be,
S’eu sai ses vos co.m chaptenha,
C’aitan doloirozamen
Viu com cel que mor en flama !
E si tot no.m fatz parven,
Nulhs om menhs de joi no sen. »

 

Après, c'est une autre histoire...

 

30 mars 2016 3 30 /03 /mars /2016 06:00

 

En conscience...

 

À peine étais-je sorti de la boutique que je suis tombé sur un autre bouquiniste. Amsterdam, pour ça, c'est le top !

 

Tiens donc ! :

 

« Le plus important des événements récents, — le fait « que Dieu est mort », que la foi en le Dieu chrétien a été ébranlée — commence déjà à projeter sur l’Europe ses premières ombres. Du moins pour le petit nombre de ceux dont le regard, dont la méfiance du regard, sont assez aigus et assez fins pour ce spectacle, un soleil semble s’être couché, une vieille et profonde confiance s’être changée en doute : c’est à eux que notre vieux monde doit paraître tous les jours plus crépuscu­laire, plus suspect, plus étrange, plus « vieux ». On peut même dire, d’une façon générale, que l’événement est beaucoup trop grand, trop lointain, trop éloigné de la compréhension de tout le monde pour qu’il puisse être question du bruit qu’en a fait la nouvelle, et moins encore pour que la foule puisse déjà s’en rendre compte — pour qu’elle puisse savoir ce qui s’effondrera, maintenant que cette foi a été minée, tout ce qui s’y dresse, s’y adosse et s’y vivifie : par exemple toute notre morale européenne. Cette longue suite de démoli­tions, de destructions, de ruines et de chutes que nous avons devant nous : qui donc aujourd’hui la devinerait assez pour être l’initiateur et le devin de cette énorme logique de terreur, le prophète d’un assombrissement et d’une obscurité qui n’eurent probablement jamais leurs pareils sur la terre ? Nous-mêmes, nous autres devins de naissance, qui restons comme en attente sur les sommets, placés entre hier et demain, haussés parmi les contradic­tions d’hier et de demain, nous autres premiers-nés, nés trop tôt, du siècle à venir, nous qui devrions apercevoir déjà les ombres que l’Europe est en train de projeter : d’où cela vient-il donc que nous attendions nous-mêmes, sans un intérêt véritable, et avant tout sans souci ni crainte, la venue de cet obscurcissement ? Nous trouvons-nous peut-être encore trop dominés par les premières conséquences de cet événement ? — et ces premières conséquences, à l’encontre de ce que l’on pourrait peut-être attendre, ne nous apparaissent nullement tristes et assombrissantes, mais, au contraire, comme une espèce de lumière nouvelle, difficile à décrire, comme une espèce de bonheur, d’allégement, de sérénité, d’encouragement, d’aurore… En effet, nous autres philosophes et « esprits libres », à la nouvelle que « le Dieu ancien est mort », nous nous sentons illuminés d’une aurore nouvelle ; notre cœur en déborde de reconnaissance, d’étonnement, d’appréhen­sion et d’attente, — enfin l’horizon nous semble de nouveau libre, en admettant même qu’il ne soit pas clair, — enfin nos vaisseaux peuvent de nouveau mettre à la voile, voguer au-devant du danger, tous les coups de hasard de celui qui cherche la connaissance sont de nouveau permis ; la mer, notre pleine mer, s’ouvre de nouveau devant nous, et peut-être n’y eut-il jamais une mer aussi pleine. »

 

L'évènement a-t-il eu vraiment lieu ?

16 mars 2016 3 16 /03 /mars /2016 07:00

 

Le printemps de l'esprit...

 

Chez un bouquiniste d'Amsterdam, joie de lire ce qui suit :

 

« Monsieur Descartes,

Si ma conscience demeurait satisfaite des prétextes que vous donnez à mon ignorance, comme des remèdes, je lui aurais beaucoup d'obligation, et serais exempte du repentir d'avoir si mal employé le temps auquel j'ai joui de l'usage de la raison, qui m'a été d'autant plus long qu'à d'autres de mon âge, que ma naissance et ma fortune me forcèrent d'employer mon jugement de meilleure heure, pour la conduite d'une vie assez pénible et libre des prospérités qui me pouvaient empêcher de songer à moi, comme de la sujétion qui m'obligerait à m'en fier à la prudence d'une gouvernante. Ce ne sont pas, toutefois, ces prospérités, ni les flatteries qui les accompagnent, que je crois absolument capables d'ôter la fortitude d'esprit aux âmes bien nées, et les empêcher à recevoir le changement de fortune en philosophe. Mais je me persuade que la multitude d'accidents qui surprennent les personnes gouvernant le public, sans leur donner le temps d'examiner l'expédient le plus utile, les porte souvent (quelque vertueux qu'ils soient) à faire des actions qui causent après le repentir, que vous dites être un des principaux obstacles de la béatitude. Il est vrai qu'une habitude d'estimer les biens selon qu'ils peuvent contribuer au contentement, de mesurer ce contentement selon les perfections qui font naître les plaisirs, et de juger sans passion de ces perfections et de ces plaisirs, les garantira de quantité de fautes. Mais, pour estimer ainsi les biens, il faut les connaître parfaitement ; et pour connaître tous ceux dont on est contraint de faire choix dans une vie active, il faudrait posséder une science infinie. Vous direz qu'on ne laisse pas d'être satisfait, quand la conscience témoigne qu'on s'est servi de toutes les précautions possibles. Mais cela n'arrive jamais, lorsqu'on ne trouve point son compte. Car on se ravise toujours de choses qui restaient à considérer. Pour mesurer le contentement selon la perfection qui le cause, il faudrait voir clairement la valeur de chacune, si celles qui ne servent qu'à nous, ou celles qui nous rendent encore utiles aux autres, sont préférables. Ceux-ci semblent être estimés avec excès d'une humeur qui se tourmente pour autrui, et ceux-là, de celui qui ne vit que pour soi-même. Et néanmoins chacun d'eux appuie son inclination de raisons assez fortes pour la faire continuer toute sa vie. Il est ainsi des autres perfections du corps et de l'esprit, qu'un sentiment tacite fait approuver à la raison, qui ne se doit appeler passion, parce qu'il est né avec nous.

Dites-moi donc, s'il vous plaît, jusqu'où il le faut suivre, étant un don de nature, et comment le corriger.

Je vous voudrais encore voir définir les passions, pour les bien connaître, car ceux qui les nomment perturbations de l'âme, me persuaderaient que leur force ne consiste qu'à éblouir et soumettre la raison, si l'expérience ne me montrait qu'il y en a qui nous portent aux actions raisonnables. Mais je m'assure que vous m'y donnerez plus de lumière, quand vous expliquerez comment la force des passions les rend d'autant plus utiles, lorsqu'elles sont sujettes à la raison. Je recevrai cette faveur à Risuyck, où nous allons demeurer, jusqu'à ce que cette maison ici soit nettoyée, en celle du prince d'Orange ; mais vous n'avez point besoin de changer pour cela l'adresse de vos lettres.

Votre très affectionnée amie à vous servir,

Élisabeth. »

 

Belle plume – et fine oreille  !

 

 

 

 

2 mars 2016 3 02 /03 /mars /2016 07:00

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Plein Sud...

 

Loin des divertissements tourbillonnaires. Pierres, cactées aux combes abruptes, soleil levant.

 

Fragments échappés du désastre :

 

« Selon l’opinion de quelques hommes, la nature et l’essence des choses naturelles consistent dans leur sujet prochain et informe par lui-même : ainsi la nature du lit est le bois, celle de la statue l’airain. La preuve, dit Antiphon, c’est que si l’on enfouit un lit et que la putréfaction ait la force de faire pousser un rejeton, il se produira non un lit, mais du bois ; ce qui montre que la façon conventionnelle et artificielle donnée à la chose n’existe en elle que comme accident, tandis que l’essence est ce qui présente une durée continue et reçoit tout cela. Si ces sujets à leur tour se trouvent relativement à d’autres dans le même rapport où la forme était relativement à eux, comme il arrive par exemple pour l’airain et l’or relativement à l’eau, pour les os et le bois relativement à la terre ou encore dans tout autre cas, alors, dit-on, les nouveaux sujets constituent la nature et l’essence des premiers. C’est pourquoi d’après les uns le feu, d’après les autres la terre, d’après d’autres l’air ou l’eau et d’après d’autres encore plusieurs de ces corps ou tous ensemble constituent la nature de l’univers. Car celui ou ceux de ces corps qu’on regarde comme étant le sujet des choses, on le présente comme faisant l’essence de tout, tandis que le reste ne serait, à leur égard, qu’affections, habitudes et dispositions. Et chacun d’eux serait éternel, car il n’y aurait point de changement pour le faire sortir de sa manière d’être, tandis que tout le reste subirait à l’infini la génération et la corruption. »

 

Évident, non ?

17 février 2016 3 17 /02 /février /2016 07:00

Louis de Rouvroy duc de Saint-Simon.jpg

 

À la source...

 

Quel hiver ! Relire pour relier en cohérence :

 

« Le duc du Maine et le comte de Toulouse, au sortir du cabinet du conseil, descendirent dans l’appartement du duc du Maine, où ils s’enfermèrent avec leurs plus confidents. Ils les surent si bien choisir, que nul n’a su ce qu’il s’y passa. On peut, je crois, sans jugement téméraire, imaginer qu’il s’y proposa bien des choses que la sagesse du comte de Toulouse empêcha moins que le peu d’ordre et de préparation de la cabale, et la prompte venue du parlement en trouble, qui ne donna pas loisir d’y faire des pratiques. Le cardinal de Polignac y fut toujours avec eux et leurs principaux amis en très petit nombre. Je n’ai jamais compris comment ils ne tentèrent pas de se trouver au lit de justice, pour y parler et y faire tous leurs efforts. La faiblesse qu’ils connoissoient si bien dans le régent, surtout en face, les y devoit convier puissamment ; mais la peur extrême, qui fut visible dans le duc du Maine, ne lui permit pas sans doute d’y penser, encore moins de se hasarder à rien. Il avoit vu le régent si libre dans sa taille, qu’il ne douta jamais qu’il ne fût bien préparé à tout ; et moins un grand coup, et si secrètement préparé étoit de son génie, plus il redouta tout ce qu’il en ignoroit. Quoi qu’il en soit, le comte de Toulouse n’en sortit pour aller chez lui qu’après cinq heures du soir, où il fit contenance de vouloir s’en aller à la suite de son frère. Ils n’avoient rien su de précis qu’après le lit de justice, et ils avoient eu trois heures à raisonner ensemble depuis. »

 

The best – et en livre de poche.

3 février 2016 3 03 /02 /février /2016 07:00

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Sommet...

 

À l'université de Tübingen, c'est avec la plus grande attention que j'écoute une conférence d'Alexander von Humboldt :

 

« En essayant de développer l’ensemble des phénomènes physiques du globe et l’action simultanée des forces qui animent les espaces célestes, j’éprouve deux appréhensions différentes. D’un côté, la matière que je traite est si vaste et si variée, que je crains d’aborder le sujet d’une manière encyclopédique et superficielle ; de l’autre, je dois éviter de fatiguer l’esprit par des aphorismes qui n’offriraient que des généralités sous des formes arides et dogmatiques. L’aridité naît souvent de la concision, tandis qu’une trop grande multiplicité d’objets qu’on veut embrasser à la fois conduit à un manque de clarté et de précision dans l’enchaînement des idées. La nature est le règne de la liberté, et, pour peindre vivement les conceptions et les jouissances que fait naître la contemplation de son ensemble, il faudrait que la pensée pût revêtir librement aussi ces formes et cette élévation du langage qui sont dignes de la grandeur et de la majesté de la création.

Si l’on ne considère pas l’étude des phénomènes physiques dans ses rapports avec les besoins matériels de la vie, mais dans son influence générale sur les progrès intellectuels de l’humanité, on trouve, comme résultat le plus élevé et le plus important de cette investigation, la connaissance de la connexité des forces de la nature, le sentiment intime de leur dépendance mutuelle. C’est l’intuition de ces rapports qui agrandit les vues et ennoblit nos jouissances. Cet agrandissement des vues est l’œuvre de l’observation, de la méditation et de l’esprit du temps, dans lequel se concentrent toutes les directions de la pensée. L’histoire révèle à quiconque sait pénétrer à travers les couches des siècles antérieurs aux racines profondes de nos connaissances, comment, depuis des milliers d’années, le genre humain a travaillé à saisir, dans des mutations sans cesse renaissantes, l’invariabilité des lois de la nature, et à conquérir progressivement une grande partie du monde physique par la force de l’intelligence. Interroger les annales de l’histoire, c’est poursuivre cette trace mystérieuse par laquelle la même image du Cosmos, qui s’est révélée primitivement au sens intérieur comme un vague pressentiment de l’harmonie et de l’ordre dans l’univers, s’offre aujourd’hui à l’esprit comme le fruit de longues et sérieuses observations. »

 

Ne vous avais-je pas dit que construire la machine à remonter le temps était facile comme bonjour ?

20 janvier 2016 3 20 /01 /janvier /2016 07:00

File:Zo portrait.jpg

 

Toujours les sacrées coïncidences...

 

 

La télévision franco-centrée rediffuse ce film d'autrefois, La Traversée de Paris.

 

À nouveau, je m'y replonge avec plaisir. Le tandem Gabin-Bourvil fonctionne à merveille.

 

La scène chez le cabaretier vilain, bien sûr, et la réplique d'anthologie lancée dans ces circonstances par le peintre Grandgil. Du culot ? Du courage !

 

Ça me revient : Béatrice Arnac qui joue le rôle d'une prostituée n'est autre que la petite-fille de l'anarchiste haut en couleur Alphonse Gallaud de la Pérouse, autrement dit Zo d'Axa, lui-même descendant de l'illustre navigateur.

 

Après la projection, je fonce au milieu des livres. Je savais bien que j'allais mettre la main sur quelque chose.

 

Et voilà :

 

« On vous trompe. On vous dit que la dernière Chambre composée d’imbéciles et de filous ne représentait pas la majorité des électeurs. C’est faux.

Une chambre composée de députés jocrisses et de députés truqueurs représente, au contraire, à merveille les Électeurs que vous êtes. Ne protestez pas : une nation a les délégués qu’elle mérite.

Pourquoi les avez-vous nommés ?

Vous ne vous gênez pas, entre vous, pour convenir que plus ça change et plus c’est la même chose, que vos élus se moquent de vous et ne songent qu’à leurs intérêts, à la gloriole ou à l’argent.

Pourquoi les renommerez-vous demain ?

Vous savez très bien que tout un lot de ceux que vous enverrez siéger vendront leurs voix contre un chèque et feront le commerce des emplois, fonctions et bureaux de tabac.

Mais pour qui les bureaux de tabac, les places, les sinécures si ce n’est pour les Comités d’électeurs que l’on paye ainsi ?

Les entraîneurs des Comités sont moins naïfs que le troupeau.

La Chambre représente l’ensemble.

Il faut des sots et des roublards, il faut un parlement de ganaches et de Robert Macaires pour personnifier à la fois tous les votards professionnels et les prolétaires déprimés. »

 

Et le reste à l'avenant.

 

Jadis, on criait « Salauds de riches ! »

 

« Salauds de pauvres » ? Plus possible aujourd'hui au règne de la misère tous azimuts qu'adoube le conformisme usuel.

 

 

 

6 janvier 2016 3 06 /01 /janvier /2016 07:00

Hiroshige A shrine among trees on a moor.jpg

 

Un chemin qui mène quelque part ?

 

Trois heures du matin. L'an neuf dans l'atelier.

 

Sur la grande table de bois dense, L'Empire des signes et ce texte qu'un ami vient de m'envoyer.

 

Le début :

 

« Le Japon, qui s’isolait complètement au milieu de l’océan Pacifique, était contraint d’ouvrir ses portes, il y a soixante ans, par l’arrivée de navires de guerres américains. La civilisation occidentale introduite de cette façon n’était que la civilisation anglo-américaine. « Philosophie occidentale » signifiait alors pour nous « philosophie en langue anglaise ». L’utilitarisme de Stuart Mill et de Spencer est la première philosophie que nous ayons connue. Heureusement l’esprit japonais n’était pas fait pour accepter pleinement ce genre de pensée. Nous nous sommes détournés de lui sans y avoir trouvé aucune satisfaction. Aussi quand beaucoup plus tard ce même utilitarisme, déguisé sous le nom de « pragmatisme », a tenté de s’introduire chez nous, nous avons su lui fermer poliment nos portes. »

 

Côte à côte (avec l'accent !). Dos à dos ?