23 janvier 2013 3 23 /01 /janvier /2013 07:00

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J'ai parcipité à une production arémicaine...

 

 

On vous promettait un accueil inoubliable. À commencer par une soirée radieuse au coin d'un feu de tourbe. Vraiment. Les guides touristiques compulsés et les sites Internet parcourus ne tarissaient pas d'éloge. Les clichés multifacettes en couleur non plus : The Best Resting Place In Ireland. Rien que ça !

 

Sur notre trajet, découverte de la redécouverte irlandaise, la halte apparaissait bigrement enchanteresse dans son écrin de verdure (sic). Les présentations similaires croulant comme toujours sous la vantardise la plus enfantine, nous étions, l'amie et moi, quand même sur nos gardes une fois la réservation effectuée. Et pourtant...Nous avions laissé la chance au hasard. Elle avait tout pour plaire, cette bâtisse ancestrale de beaux murs au toit de chaume (re-sic). Et ce qui allait avec : la rivière devant vos fenêtres, une cuisine amicale ouverte à tous, des facilités pour se garer (pas idiot dans un pays qui compte autant de parcmètres que de véhicules), les départs toutes les heures, été, hiver, en bateau aménagé pour les îles Aran, du chauffage à tous les étages et un bar du Diable, de la bière brune, rousse, blanche, des alcools du cru et intercontinentaux, not to mention le fameux brasier dans l'âtre pour votre arrivée. Confort, ouate, duvet de plumes pour vous redonner l'envie de vivre à l'abri d'un environnement hostile (la brochure numérique dixit)... What else ? Que demander de plus ? Hate River Hotel - l'Hôtel de la Rivière haineuse. C'était le nom du lieu et ça ne s'invente pas. J'ai relu trois fois l'annonce publicitaire pour m'assurer ne m'être pas trompé.

 

Nous avions roulé pendant des heures sous une pluie mesquine qui s'arrêtait pour mieux reprendre au premier tournant en embuscade. À vous dégoûter de saisir le volant. Les feuilles mortes qui s'entassaient sur la route sinueuse bordée de bosquets piquants s'ingéniaient à rendre l'asphalte aussi stable qu'un parquet flottant. Et puis le vent automnal s'en est mêlé. Le vertige vengeur faisait alors le va-et-vient entre le ciel et la terre. J'ai poussé la voiture sur le bas-côté boueux pour avaler une rasade de whiskey (avec un e), ajoutant encore à la divagation ambiante. L'amie commençait à se geler : le plaid sorti du coffre avait été la mangeoire aux mites...Au bout de trente autres kilomètres humides (l'Irlande a laissé tomber les miles et d'autres choses pour, dit-on, mieux se rapprocher de l'Europe), la silhouette de hôtel est enfin apparue avant la nuit d'un jour qui n'avait pas commencé derrière un banc de brume. Vu les conditions climatiques, je me disais : ouf ! Saint Pierre, le Paradis et tutti quanti !

 

La femme - ou devrais-je l'appeler notre hôtesse ? - ne nous a pas dit un mot quand je l'ai saluée par la vitre en arrivant à sa hauteur. Les iliens ou proches parents d'insulaires de cette région spécifique de la côte Ouest sont mutiques, c'est connu, mais là...Une fois la voiture à quai, j'ai demandé à la femme immobile dans l'embrasure de la porte d'entrée si nous pouvions faire un rapide tour du propriétaire, histoire de nous dégourdir les membres et de nous réchauffer. La construction nous a aussitôt fait penser à la maison du dingue dans Psycho, le film d'Alfred Hitchcock : noire, très noire avec peu d'ouvertures. Rien alentour. À vous donner des sueurs froides. Ça commençait bien. La rivière, en contrebas, froide et noire elle aussi, et je l'ai vue se diviser et lancer plein de bras méchants qui voulaient entraîner l'hôtel vers le fond pour le noyer. J'avais du trop boire.

 

Après avoir traversé une salle à tout faire parée de lourdes têtes de sangliers aux yeux mauvais, sans un mot, je le confirme, la femme nous a montré notre chambre au premier. Un lit d'époque intermédiaire dont les draps puaient la vase, des couvertures roulées dans un coin, une salle d'eau minuscule, des morceaux de savon dans le bac à douche, une serviette de bain pour deux et une lucarne au cas où il y aurait eu du soleil. Surtout : un froid glacial comme le reste. J'ai d'abord cru à une mauvaise, très mauvaise blague, genre caméra invisible : à la fin, tout le monde - acteurs comiques, machinistes et  dindons de la farce - éclate de rire tandis que la production vous glisse un chèque dans la main pour vous remercier d'avoir participé. Mais ce que nous étions en train de vivre was not a joke

 

- Fichons le camp tout de suite !

- Oui, fichons le camp de ce bourbier !

 

Je ne me souviens plus lequel de nous deux a parlé en premier. Toujours est-il que nous étions déjà revenus quatre à quatre au pied de l'escalier quand un bûcheron canadien du Connemara nous a barré le chemin.

 

- Que se passe-t-il ? Où est le problème ? Vous n'êtes pas contents ?

 

Au ton de sa voix, le gaélique l'emportant sur l'anglais, j'ai cru qu'il allait me casser la figure.

 

- Avez-vous vu l'état de la chambre ? C'est une plaisanterie...

- Je suis le patron ici et je fais ce que je veux ! Et puis, vous avez payé, il faut rester !

 

C'était donc lui le patron dont le portrait, nettement rajeuni, figurait en bonne place sur le site de l'hôtel. Il avait pris un sacré coup de vieux, le type.  Bourru, les deux mains dans les poches de son survêtement à grosses rayures jaunes et noires, made in China, j'en aurais juré, le menton en avant, prêt à mordre. Un Irlandais pas tranquille du tout.

 

- Nous partons maintenant.

- Non, vous ne partez pas ! Vais vous donner une autre chambre.

 

Il faisait nuit et la fatigue ne nous lâchait plus. Que faire ? Pas un bruit. À l'évidence, nous étions les seuls clients de l'hôtel. Ou peut-être le patron les avait-il déjà trucidés avec la complicité de la sorcière mutique. Oui,  je me suis souvenu de cette histoire criminelle : l'auberge rouge et infernale, du côté de Lanarce en Ardèche, transposée, qui sait ?, dans le nouveau siècle. L'amie m'a regardé bizarrement - je devais faire une drôle de tête. L'autre chambre en question était aussi crasseuse que la première, mais le patron a voulu y brancher un chauffage d'appoint pour nous prouver sa bonne volonté. C'est ce que j'ai cru. La prise murale était défectueuse. Il y a eu un sifflement bref suivi d'une gerbe d'étoiles brillantes. Le patron s'est mis à gueuler et à rire en même temps. Fantasia morbide chez les ploucs.

 

Manger un morceau et dormir. C'était tout ce qui comptait pour nous. Et de toute façon, il s'était mis à pleuvoir fort, une pluie mêlée à la grêle. Dans la cuisine où chacun, d'après la publicité, pouvait préparer ses repas, une foultitude de petites croix, en résine au toucher, les unes chrétiennes, les autres celtiques ou d'apparence celtique, étaient disposées militairement à tous les endroits stratégiques : autour de l'évier (pour y boire de l'eau bénite ?), sur le plan de travail (un sacerdoce pour découper un oignon ou beurrer sa tartine), aux angles des plaques électriques (exorcisme versus satanisme, même combat) et, incrédulité quand tu nous tiens, dans le réfrigérateur, à l'emplacement du beurre !  Nous étions logés au royaume des cinglés...

 

La femme qui avait disparu un moment se tenait raide comme un piquet devant l'écran de son ordinateur dans une petite pièce à droite de l'entrée. Un poste de douane ou d'octroi. L'amie et moi avions abandonné l'idée d'un repas ou de simple collation. Pendant que je cherchais au moins quelque chose à boire, je pouvais voir la femme qui actionnait la tirelire aux euros de la saison touristique finissante au moyen un logiciel comptable barré de colonnes en tous sens. L'amie s'est collée contre un maigre radiateur et je me suis dirigé vers ce qui ressemblait à un bar à l'autre bout de la salle commune pour y puiser des raisons d'espérer. Cinq ou six bouteilles en tout et pour tout composaient la soi-disant carte des alcools. Déboulant comme un bœuf Angus, Robur le Conquérant m'a encore barré le passage.

 

- On ne boit pas à cette heure ! On est vendredi ! C'est sacré !

- Vous pourriez nous offrir un verre...

 

J'avais de plus en plus de mal à comprendre les lois de l'hospitalité. Les catholiques s'étaient, sans que je le sache, mis à protester contre le catholicisme. Dans ma tête, c'était une hypothèse sérieuse.

 

- Ah ! j'en ai marre, a soudain lancé le patron tout en attrapant une canette de bière. Sortez ! Allez-vous en !

- Non mais ça va pas ! Qu'est-ce qui vous prend ? Vous êtes fou !

 

Qu'est-ce que je n'avais pas dit ! J'ai bien failli recevoir la canette sur le crâne. Le bœuf baveux était maintenant sur moi et tentait de me pousser carrément dehors. Je me suis protégé, l'amie est venue à ma rescousse, et une passe de toréro nous dont j'ai le secret nous a sauvés le temps pour nous de filer récupérer nos affaires dans la chambre. Nous avions retourné le dicton : nous étions sortis de l'auberge. Malgré le bruit du moteur sur la grand-route, je pouvais encore entendre beugler le patron. Alerter la Garda ? Interpol ? L'ambassade ? Basta ! Une bonne fée a alors mis entre nos mains la bouteille de whiskey que je n'avais pas eu la force d'aller chercher sur la banquette vu les trombes d'eau, et une autre bonne fée nous a indiqué un Bed & Breakfast qui se révèlera charmant.

 

De la folie pure, je vous dis. Heureusement qu'il y avait les fées. 

 

 

 

23 décembre 2012 7 23 /12 /décembre /2012 07:00

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L'ordre des boissons est des plus tempérées aux plus fumeuses et aux plus parfumées...

 

 

- Que voulez-vous ?

 

Bonne question aux amis cosmopolites dans le jardin d'hiver au moment de l'apéritif.  

 

- Que des bonnes choses !

 

C'est Noël dans quelques jours, mais nous avons décidé d'honorer un autre calendrier, un calendrier hors du temps - pour changer un peu. La fête, aujourd'hui et maintenant.

 

- Illum temp bnazzi.

 

- Iva.

 

- Champagne, donc !

 

Toutes sortes de vins de Champagne, du sec, du doux, du blanc et du rosé, du frais et du capiteux...

 

Adossé au tronc du figuier, les bons compagnons formant un cercle autour de moi, nos coupes en teintes sonores, je lis un fragment de cette histoire :

 

Au bout de cette marche je trouvai un pays découvert, qui semblait porter sa pente vers l’ouest ; une petite source d’eau fraîche, sortant du flanc d’un monticule voisin, courait à l’opposite, c’est-à-dire droit à l’est. Toute cette contrée paraissait si tempérée, si verte, si fleurie, et tout y était si bien dans la primeur du printemps, qu’on l’aurait prise pour un jardin artificiel.

 

Je descendis un peu sur le coteau de cette délicieuse vallée, la contemplant et songeant, avec une sorte de plaisir  secret - quoique mêlé de pensées affligeantes - que tout cela était mon bien, et que j’étais Roi et Seigneur absolu de cette terre, que j’y avais droit de possession, et que je pouvais la transmettre comme si je l’avais eue en héritage, aussi incontestablement qu’un lord d’Angleterre son manoir. J’y vis une grande quantité de cacaoyers, d’orangers, de limoniers et de citronniers, tous sauvages, portant peu de fruits, du moins dans cette saison. Cependant les cédrats verts que je cueillis étaient non seulement fort agréables à manger, mais très sains ; et, dans la suite, j’en mêlai le jus avec de l’eau, ce qui la rendait salubre, très froide et très rafraîchissante.

 

Je trouvai alors que j’avais une assez belle besogne pour cueillir ces fruits et les transporter chez moi ; car j’avais résolu de faire une provision de raisins, de cédrats et de limons pour la saison pluvieuse, que je savais approcher.

À cet effet je fis d’abord un grand monceau de raisins, puis un moindre, puis un gros tas de citrons et de limons, et, prenant avec moi un peu de l’un et de l’autre, je me mis en route pour ma demeure, bien résolu de revenir avec un sac, ou n’importe ce que je pourrais fabriquer, pour transporter le reste à la maison.

 

Le citron : lumi. L'orange : larinġ . Le raisin : żbib. Et le vin : inbid...

 

Des gouttres de champagne sont tombées sur un bebbuxu qui s'en va divagant sous le fusain. 

 

Joyeux Milied ! À toi, petite créature, et à tous...

 

 

 

 
16 décembre 2012 7 16 /12 /décembre /2012 07:00

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Notre bateau, la Forge des Mers, sortait des vents alizés...

 

 

De Suède, je reçois une carte postale. Aux abords de l'hiver, la crise abîmant les peuples dans une torsion inouïe, cet objet de papier, fragile et désormais incongru, qui me donne à voir la silhouette de Bashō sur les chemins étroits du Nord profond, est un éblouissement. En une formule serrée dont elle a le talent, cette amie, professeur de biologie à l'université de Stockholm, me souhaite, entre autres, le plus doux des Noël. Season's Greetings aux vertus balsamiques.

 

La carte : un dessin à l'encre du Japon où je vois un tout petit homme que je reconnais aussitôt, un baluchon noir moucheté sur l'épaule gauche, une tige de bambou dans la main droite, qui s'aventure dans une direction sinueuse sans fin, entouré de montagnes aiguisées sur les flancs desquelles bondissent des torrents diaboliques. Un paysage de stylisation extrême qui décape. 

 

C'est peut-être cela, au fond, la preuve de la vie exacte : tranquillité, vitalité, individualité. Et quelquefois plus, si affinités.

 

Pas de signature sur l'esquisse en noir et blanc aussi légère qu'un flocon de neige. Et au dos de la carte, aucune indication. Anonymat garanti.

 

L'amie me demande si j'ai gardé cette édition d'autrefois. Bien sûr ! Et je mets la main dessus, section nordique, lettre M, l'opus original et sa traduction en langue française côte à côte. A bourlingué pendant plus d'une dizaine d'années sur toutes les eaux du globe, notre ami Harry, qui était aussi l'ami des prolétaires-vagabonds rebelles, en tous feux, en tous lieux, aux impositions sociales. À commencer par le travail obligatoire. Exploitation audacieuse versus chômage massif et vice-versa. Un tourment, une torture...Les mille métiers de la débrouillardise dès son adolescence et la volonté, très vite, de transcrire sur la page ses expériences dans un monde qui fonçait - et fonce toujours - vers les carnages. Les bons contre les méchants. Les méchants sont, d'ailleurs, devenus très méchants.

 

Oui, de nouveau, j'ai ouvert le livre à la fière couverture rouge comme le vrai sang. Dans la préface à l'édition française, Paul Morand (son Venises, au pluriel, sensible) parle de poésies de voyage et rapproche l'existence de Martinson de celle d'Henri Michaux. Bien vu. Mousse, débardeur (l'imagerie des coursives, des quais, des hangars - on n'a guère besoin d'être Finnois pour tirer son couteau dans les quartiers du port, les argots bizarres, les mots qui sentent le goudron et la saumure), coureur de prairie en Amérique du Sud, et surtout beachcomber - écumeur de rivages ! D'accord avec Morand quand il souligne chez Martinson son lyrisme, son humour (ce trait original du romantisme d'aujourd'hui) et sa fraternité whitmanesque.

 

Chanson pour la Tzigane, Il pleut sur Gand, La Ville des perroquets, Le Vagabond universel, Mer exaltée : les titres qui s'élèvent de la table exercent toujours autant leur charme vigoureux.  Ainsi cet Automne sur la Mer du Nord, le début :

 

Voici que sort la flotte sur le Dogger Bank -

La flotte de l'alimentation, les barques de pêcheurs

de Portsmouth -

Dans la tristesse du jour marin gris, très gris, une

brume londonienne renvoie l'écho

Des chalutiers et des bateaux chargés de bois de

Norrland.

Les cargos de poivre de Cochinchine

Beuglent de leurs grosses orgues

En sortant de la sale Tamise.

 

 

Et ceci : Aucune littérature ne disperse plus l'esprit qu'un bon récit de voyage Plus grandes sont les surfaces géographiques qu'il embrasse, plus il écartèle la pauvre âme recroquevillée dont l'essence intime est proprement de se ratatiner en un nœud de cordage et de ne jamais voyager. Car les circonstances et la vie ont fait l'homme ainsi : pendant des milliers d'années son instinct nomade (je souligne) a été refoulé.

 

Plus avant, ceci encore : Je disais que le récit de voyage disperse...Eh ! oui, du point de vue petit-bourgeois il disperse dans la mesure où il éveille des nostalgies. Tout ce qui sent le nomade est en horreur aux vrais refoulés ; cela leur semble indécent et antisocial. Moi qui me range à la religion des échanges, du vagabondage, je suis convaincu de la mission sociale universelle de nos pieds et de leur valeur thérapeutique pour notre âme.


 

Je place la carte du jour près de la fenêtre ouverte pour qu'elle se fonde bien dans les plis du jardin. 

 

Orientation nomade. Individu universel de pensée et de mouvement, mes voyages contemplatifs ne sont jamais à un paradoxe près.

 

Je veux vous raconter...

 

 

 

(Harry Martinson, Resor untan mål / Voyages sans but, traduit du suédois par E. Avenard, préface de Paul Morand, Stock, 1974)

 

 

 

9 décembre 2012 7 09 /12 /décembre /2012 07:00

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Mon dieu … Ayez pitié de ces eaux en moi qui meurent de soif !

 

 

Connaissance de l'Est.

Les questions et quelques réponses

après la conférence à huis ouvert.

Le jour dans la nuit.

 

Mes explorations vagabondes,

le ciel étoilé, très haut.

Le statut du chat noir.

Porte chance

sur la menée téméraire.

 

Les marins, la bière, les convictions -

dans ce bar, leur idéologie collective.

Passe ton chemin,

forme de ta désobéissance.

 

Sous le pont frémissant,

les affluents s'enlacent.

Accoudée à la rambarde,

  silhouette du hasard,

une fille brune fredonne

un air idéal.

 

  Rouges, verts et or,
des tourbillons liquides soudain

    éclaboussent en vivats sonores.

Schplouf, schplouf !

 

L'eau, chaos sensible

ou flamme mouillée.

Schhhh...Schhhh...

Novalis l'a écrit et Schwenk l'a étudiée.

 

De nos tempéraments,

la fille et moi

célébrons l'adéquation insurrectionnelle.

 

Le génie singulier

des ondes nocturnes

manifeste à l'instant sa violence providentielle.

 

 

 

(Theodor Schwenk, Das sensible Chaos. Strömendes Formenschaffen in Wasser und Luft, Freies Geistesleben, Stuttgart, 1962 / Le Chaos sensible. Création de formes par les mouvements de l'eau et de l'air, traduit de l'allemand par G. Claretie, éditionsTriades, 1995)

 

 

 

5 décembre 2012 3 05 /12 /décembre /2012 07:00

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Je m'écriai : « Quelle merveille ! quelle merveille ! Il n'y a plus ni naissance, ni mort et il n'y a plus aucune connaissance suprême à poursuivre ! Toutes les complications passées et présentes qu'on compte par mille et sept cents ne sont plus dignes de soucis ! »

 

 

Je consulte mon agenda et m'aperçois que j'ai complètement oublié ce rendez-vous avec un certain public estudiantin à Lübeck. Où ai-je la tête en ce moment ? Si ça continue, tel un gnome, je vais me retrouver coiffé d'un cône orange et blanc. Il faut dire que depuis cette rentrée, je suis en état d'alerte. Rentrée ? Mais laquelle, au juste ? Bon, l'Italie dont, l'autre jour, en Bretagne, je dessinais les contours soyeux, ça sera pour plus tard. Le Nord, ne pas le perdre ! Ainsi que raison garder. Je vais donc m'aventurer un peu plus encore dans ces corridors nordiques de l'esprit et leur glorieux passé hanséatique. Doktor Faustus sera peut-être de la partie, mais ce n'est pas de Thomas Mann dont je parlerai. Pour ma conférence, le feuillet qui me sert de prétexte et que je glisse vite dans mon sac porte ce titre tout de clarté énigmatique : Mutations

 

Dans le train saute-frontières qui file droit en Allemagne, le silence me prend peu à peu. Une journée sur les rails : c'est ce que j'ai pensé tout à l'heure sur le marchepied après un coup d'œil aux manchettes de la presse internationale qui font ici et toujours voler les murs de la gare en gros éclats sans couleurs. Terrorisme, hystérie, énervement et apathie, son double, tueries, restauration, doux vocable bien ambigu, enfumage. Le THÉÂTRE, comme d'hab...

 

Köln, Düsseldorf, Essen, Münster, Bremen, Hamburg. Le sillage fantomatique de B-17 Flying Fortress par centaines dans le ciel. De l'herbe verte, de belles forêts, des villages reluisants. Vent panique : je réalise que je laisse tomber les conjonctions de coordination. Suspension of my disbelief...Et puis les opérateurs logiques. Au point où nous en sommes. Au point où j'en suis. Régression de prime abord. Au début. Avant tout. En premier lieu - je me demande bien où sont les autres. Continuons donc à nous éclater : ensuite, en deuxième lieu - ah, le voici, ce deuxième spot ! - mais aussi, mais encore, de surcroît, en outre, je commence à avoir soif, d'une part et d'autre part, la part maudite et celle des anges, également - égal ment, il n'y a jamais eu aussi peu de preuves d'égalité - au fond, en définitive, tout compte, conte ?, fait, in other words, pour résumer, la vie n'est pas un résumé, ainsi, entre autres et par exemple, et même au demeurant, chers demeurés, par ailleurs, en substance, il est indéniable que ça va franchement mal ! À mon avis, il n'est pas exclu, il me semble bien, je suis tenté de dire, il est probable, je suis persuadé, je penche plutôt du côté de, certes, il va de soi, à ce sujet, à ce propos, à cet égard, indiscutablement, autrement dit, il faut souligner, considérons ce cas, attirons l'attention sur le fait, ce qui signifie, malgré, néanmoins, quand même et quoi qu'il en soit, toute considération faite, par conséquent, il faut que ça change ! Ça peut changer...Le changement, mais quand ?

 

 

Dans mon bagage, avec le feuillet de ma conférence et le CD que l'amie pianiste m'a offert, j'ai pris ce livre que je n'avais pas ouvert depuis des années. Le room service à roulettes me propose un café. Va pour l'or noir ! Je lis à présent des tranches de vie réflexive comme celles-ci :

 

Quand je sors pour la promenade, bien disposé et débarrassé de tout souci, je sens poindre au fond de mon âme, dès les premiers pas, une joie d'un ordre inaccoutumé et d'une vivacité singulière...

 

Il est des choses qu'on ose à peine dire, et pourtant ce sont celles qui exigent le plus d'être dites, qui pressent le plus vers le dehors, étant sans doute les plus vivantes en nous...

 

Quand j'eus dix-sept ans, j'étais résolu à étudier le bouddhisme. Je m'attendais à terminer cette étude dans l'espace d'une année, mais je n'y parvins pas. Une autre année passa sans beaucoup de progrès, et trois autres années suivantes me trouvèrent encore sans progrès...

 

Je veux dire que la langue dans laquelle il me serait donné peut-être, non seulement d'écrire, mais de penser, n'est ni le latin, ni l'anglais, ni l'italien, ni l'espagnol, mais une langue dont pas un mot ne m'est connu, une langue que me parlent les choses muettes...

 

Ne faire qu'un avec tout, n'est-ce pas vivre comme les dieux et posséder le ciel sur terre ?

 

Et savez-vous ce qu'est pour moi l'univers ? Vous le montrerai-je en mon miroir ?

 

Nous entrons dans l'ère d'une nouvelle spiritualité, qui sera la contre-partie de la matérialisation de notre monde...(Ah ! quel indécrottable optimisme !)

 

Les sens deviennent d'une finesse et d'une acuité extraordinaire. Les yeux percent l'infini. L'oreille perçoit les sons les plus insaisissables, au milieu des bruits les plus aigus...Oui !

 

 

Le train arrive enfin à Lübeck. Taxi, vieille ville, la porte de Holstein, Marienkirche, ponts, clochetons, rivières Trave et Wakenitz, île de beauté en briques rouges, hôtel calme, douche, bar, whisky. Je remonte avec le verre dans ma chambre. Par la fenêtre ouverte malgré le froid, je devine le centre où je dois me rendre, sur la gauche, plein sud. Je m'allonge sur le lit. Le piano et le violoncelle, complices divins du CD, m'offrent Debussy comme jamais. Le livre s'ouvre mentalement de lui-même à cette page : par qui lancé, le mental va-t-il frapper sa cible ?

 

 

Credo : il y eut de tout temps une réalité secrète dans l'univers, plus précieuse et plus profonde, plus riche en sagesse et en joie que tout ce qui a fait du bruit dans l'histoire...

 

 


(Jacques Masui, De la vie intérieure, Choix de textes, collection Documents spirituels, Éditions des Cahiers du Sud, Paris, 1952 / Hélène Grimaud & Sol Gabetta, Duo, Deutsche Grammophon, 2012)

 

 

 

14 novembre 2012 3 14 /11 /novembre /2012 07:00

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I don't act, anyway...

 

 

Il y a des moments où je fais vraiment une tête à la Buster Keaton.

 

La mécanique générale de la régression massive à tous les étages commence à sérieusement me fatiguer.

 

L'autre jour, il pleuvait sur la grande ville - et il pleut souvent ces temps-ci.

 

Au téléphone, juste avant la nuit noire, avec un ami qui avait envie de me parler : le travail, les impôts, les taxes, les re-impôts, la droite, la gauche, la fausse, la vraie, la bourse, l'€, la modernité, l'argent, la banque, le chômage, l'usine, l'âge du chaume dans nos campagnes, la démocratie, les pauvres, les misérables, les indigents, les démunis, le peuple, les masses, les humiliations, les machines hyperconnectées, les esprits en berne, la retraite, la rue en émoi et la vie en bière, puisqu'on réclame la mort partout, on a fait le tour de tous les empêchements possibles, imaginables, et bien réels. 

 

Mon ami a pilé net : gros carton sur l'autoroute des maux.

 

- Je viens de découvrir un superbe court-métrage qui a obtenu plusieurs Oscars. Tu devrais aimer !

 

Combiné téléphonique au repos, whisky délivré de l'alambic, je suis allé voir de plus près.

 

Une merveille d'intelligence que cette quinzaine de minutes en trois dimensions. Le personnage, M. Morris Lessmore, son patronyme, simplet en anglais, OK, je l'ai en effet bien aimé, qui va œuvrer à sauver les livres de la bibliothèque mondiale après le déluge dévastateur. Il est un peu moi d'une certaine façon, ce petit homme au canotier et à la veste de la Nouvelle-Orléans. Sauf que je ne suis pas petit et que je porte pas le chapeau.

 

Grâce à la machine magique, j'ai revu le court-métrage d'animation deux fois. Par la fenêtre ouverte, la pluie ayant cessé, le vent a tourné les ailes du dictionnaire jusqu'à la lettre K. C'est l'une de mes chéries au cœur de l'alphabet grec, cyrillique et latin : une lettre ouverte comme l'œil tout nostalgique de M. Morris.

 

 

 

(William Joyce et Brandon Oldenburg : The Fantastic Flying Books Of Mr. Morris Lessmore, Moonbot Studios, 2011)

 

 

 

24 octobre 2012 3 24 /10 /octobre /2012 06:00

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Un soleil vertical qui efface les ombres...


 

De tous les livres d'Albert Camus, ce sont certainement L'Homme révolté, Noces et ses Carnets que j'aime relire.

 

L'autre jour, je suis allé faire un tour au guidon d'une belle moto prêtée par un ami, une BSA (Birmingham Small Arms, 350 B40, 1964), du côté de Lourmarin, l'un des plus beaux villages de la France, au cœur du parc naturel régional du Luberon.

 

Il y a bien longtemps, j'étais jeune, serrant la main d'un mien parent, nous nous étions rendus au cimetière local pour nous recueillir sur la tombe de Camus. Les cimetières, en grandissant, je les fréquente peu. La vie contre la mort. Ou alors, oui, un cimetière anglais ou celui du Père Lachaise ou les cimetières marins narguant, croient-ils au fort de la pierre, la Méditerranée.

 

Je peux comprendre qu'Albert Camus, vers le milieu des années 1950, René Char, l'ami fidèle tout proche, ait eu le désir, vif, d'une maison nécessaire dans cette chaleur éblouissante - le pays, qui sait ?, du premier homme...Loin, en tout cas, du froid et des ténèbres, des cancans, des contresens, des vilenies, du barrage concerté, du foutage de gueule, mais oui, du foutage de gueule, du rabaissement pénible (du genre : philosophe pour classes terminales...), bref, de la malveillance bête exercée à son endroit par certains dont je préfère taire les noms. Vérification, aucun doute, que ces certains, stratégies politico-éditorialo-clanico-germanopratines en tête, puis en acte, ne l'ont pas lu et n'ont surtout pas voulu le lire à l'époque. J'en ai envie de dire : et au-delà. Par exemple, leurs cousins de l'heure convoquent la Morale pour un oui ou pour un non, et neuf fois sur dix, il s'agit, une fois de plus, d'une morale de la souffrance, de la pénitence et de la repentance. Rarement l'évocation, mieux, l'incarnation d'une éthique existentielle au sens où l'entend et la pratique Camus.

 

Aucune importance : les textes, ceux que j'ai cités, sont, pour moi, lumineux dans ma bibliothèque ouverte.

 

Après avoir salué le château rond de forme, j'ai garé la machine vaillante rue du Castellas et me suis dirigé vers un bistrot. Le village, s'il est toujours aussi beau, a changé . Que dire ? Gloire un temps locale, Albert Camus a droit aujourd'hui à une sente qui porte son nom. Rues, collèges, lycées : je pourrais ainsi, n'est-ce pas ?, ôté le risque de me perdre, faire le tour de ce pays grâce à cette singulière boussole. Révérée pour être mieux dévariée (du provençal : contrariée). 

 

Devant un verre de Bandol - j'ai aussitôt pensé à Jim Harrison -, les bras et les jambes dégourdis, je suis à nouveau tombé sur des invitations comme celles-là :

 

L'heure ici encore est parfaite.

 

Les petites îles jaunes comme un tas de blé sur la mer bleue.

 

L'artiste est comme le dieu de Delphes : il ne montre ni ne cache : il signifie.

 

La lumière - la lumière - et l'anxiété recule, pas encore disparue, mais sourde, comme endormie dans la chaleur et le soleil.

 

Récupérer la plus grande puissance, non pour dominer mais pour donner.

 

Au printemps, Tipasa est habitée par les dieux et les dieux parlent dans le soleil et l'odeur des absinthes, la mer cuirassée d'argent, le ciel bleu écru, les ruines couvertes de fleurs et la lumière à gros bouillons dans les amas de pierres.

 

Tiens, un petit chien tout ébouriffé vient s'asseoir à mes pieds. Un ami de Kirk (Kirk pour Kierkegaard, le fidèle compagnon d'Albert) ? Ou peut-être bien Kirk lui-même...Je poursuis mes lectures :

 

Je me souviens du moins d'une grande fille magnifique qui avait dansé tout l'après-midi. Elle portait un collier de jasmin sur sa robe bleue collante, que la sueur mouillait depuis les reins jusqu'aux jambes. Elle riait en dansant et renversait la tête. Quand elle passait près des tables, elle laissait après elle une odeur mêlée de fleurs et de chair.

 

Il est des lieux où meurt l'esprit pour que naisse une vérité qui est sa négation même. Lorsque je suis allé à Djémila, il y avait du vent et du soleil, mais c'est une autre histoire.

 

On vit avec quelques idées familières. Deux ou trois. Au hasard des mondes et des hommes rencontrés, on les polit, on les transforme. Il faut dix ans pour avoir une idée bien à soi - dont on puisse parler.

 

À l'heure où le soleil déborde de tous les coins du ciel, le canoë orange chargé de corps bruns nous ramène dans une course folle.

 

Vivre, bien sûr, c'est un peu le contraire d'exprimer. Si j'en crois les grands maîtres toscans, c'est témoigner trois fois, dans le silence, la flamme et l'immobilité.

 

Douceur du petit port tranquille dans la nuit, après la mer violente.

 

Vivre dans et pour la vérité. La vérité de ce qu'on est d'abord. Renoncer à composer avec les êtres. La vérité de ce qui est. Ne pas ruser avec la réalité. Accepter donc son originalité et son impuissance. Vivre selon cette originalité jusqu'à cette impuissance. Au centre la création avec les forces immenses de l'être enfin respecté.

 

Je débarque du train de nuit à l'Isle-sur-Sorgue dans le mistral sec et froid. Bonne et grande exaltation toute la journée dans la lumière étincelante. Je sens toutes mes forces.

 

Lumière incessante. Dans la maison vide, sans un meuble, debout de longues heures à regarder les feuilles mortes et rouges de la vigne vierge, poussées par le vent violent, entrer dans les pièces. Le Mistral.

 

Ne pas se plaindre. Ne pas faire valoir ce qu'on est, ni ce qu'on fait. Si l'on donne, considérer que l'on a reçu.

 

La démocratie ce n'est pas la loi de la majorité mais la protection de la minorité.

 

Je me débats comme le poisson pris dans les mailles du filet.

 

Sophocle dansait et jouait bien à la balle.

 

Arrivée Lourmarin. Ciel gris. Dans le jardin merveilleuses roses alourdies d'eau, savoureuses comme des fruits. Les romarins sont en fleurs. Promenade et dans le soir le violet des iris fonce encore. Rompu.

 

Avant d'écrire un roman, je me mettrai en état d'obscurité et pendant des années. Essai de concentration quotidienne, d'ascèse intellectuelle et d'extrême conscience.

 

L'amour physique a toujours été lié pour moi à un sentiment irrésistible d'innocence et de joie. Je ne puis aimer dans les larmes mais dans l'exaltation.

 

Et celle-ci que j'ai tracée sur une feuille :

 

Sur la terre primitive les pluies tombèrent pendant des siècles de manière ininterrompue. C'est dans la mer que la vie est née et pendant tout le temps immémorial qui a mené la vie de la première cellule à l'être marin organisé, le continent, sans vie animale ni végétale n'a été qu'un pays de pierre empli seulement du bruit de la pluie et du vent au milieu d'un silence énorme, parcouru d'aucun mouvement sinon l'ombre rapide des grands nuages et la course des eaux sur les bassins océaniens.

 

Au moment de repartir, les cistes alentour terriblement odorants, cet ultime signe de pure intelligence sensible :

 

Au sommet de la plus haute tension va jaillir l'élan d'une droite flèche, du trait le plus dur et le plus libre.

 

 

(Albert Camus : Carnets, Gallimard, 1962, 1964 et 1989, L'Homme révolté, Gallimard, 1951, Noces, suivi de L'Été, Le Livre de poche, 1967 / Ces deux biographies, chacun se fera son idée : Herbert R. Lottman : Albert Camus, Seuil, 1978 et Michel Onfray : L'Ordre libertaire : la vie philosophique d'Albert Camus, Flammarion, 2012)

 

 

 

17 octobre 2012 3 17 /10 /octobre /2012 06:00

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Just think it, and chances are it will happen...

 

 

Au bord du gouffre les salauds qui veulent te bouffer eux aussi la lumière de plus en plus glauque je ne suis pas d'accord un chat noir tu es gentil toi la rivière le parc le kiosque une histoire embrouillée déferlante d'images un écart des échos tornade qu'est-ce qui s'est passé aujourd'hui ? je marche depuis des heures la nausée le bleu du ciel tu parles ! monter descendre monter vite vite j'ai soif les taxis hurlent cent dollars je lui ai filé cent dollars la climatisation en panne le soleil brûlant une garce ce n'est pas mon temps sale temps les affaires au bureau central le tir de barrage incessant c'est une garce dégoût condamnation des harmonies je trébuche vitrines d'artifice à droite à gauche triangle pointu dans ma tête allez vous faire foutre mon vœu formel sa robe soyeuse ses lèvres acharnées les fichiers les enregistrements n'est-ce pas ? étant donné leur situation mais qu'est-ce que je fais ici ? paquets d'humanité à la bouche du métro indexation restitution substitution ça ne s'efface pas ça arrose partout rock cascade flash infirmité grotesque ses seins énergie lactée il était une fois combien de fois je me suis retourné laideur consommation hallucinée béton d'époque inutile le comble du chiffre tout est perméable le ponton les mouettes le vacarme les voix tranchantes je les entends sa peau l'odeur du tabac sur sa peau c'est une direction sans issue le vent le destin le grand dossier noueux sur la table c'est l'ennui je le sais je l'ai toujours su la ménagerie qui court qui se propulse quiproquos les cris stridences de l'abondance boulevard de l'azur soyez libres la vie elle était très excitée légers divers tarés saouls coutumiers regardez-vous perceptions la gloire du crédit j'ai chaud ses deux seins en forme de poires rush rush ivresse révélations plurielles ce monsieur bon pied bon œil toute cette machinerie c'est dérisoire cette mythologie le public le privé les circuits le courrier les écritures les tentacules qui se décomposent maintenant cadres pas grand-chose changeons de logiciel d'algèbre les millions les gros symboles impératifs parodie je veux me laver me doucher le garçon par terre dans un tas de journaux angoisse anthropophagie le flux bruit de fond un mot de travers elle l'a prononcé c'est trop comique je regarde l'abîme des gratte-ciel le chemin des murettes j'ai bu ce vin avant le départ débarquement majeur de l'homme pressé c'est obscène nos liens convertis en métal conscient inconscient plus d'onde comment allons-nous le réanimer ? des mouvements des secousses mon cœur battant partout des vigiles butés le temps qui file son tympan corrompu avoir le bon réflexe ce monde moulé sous injection le bourdon faux faux acheté achevé courir je veux courir à mon tour c'est tragique des bouts de papier dans ma poche j'ai toujours des bouts de papier sur moi je suis nu quel est son nom ? suis ta voie lumière des lettres sacrement des voyelles je me suis vu dans les jardins au sommet des arbres dans les bosquets ma fente vision sérieuse ça continue de plus belle j'ai joui c'est certain je suis venu à la connaissance tout le monde y vient-il un jour ou l'autre ? pas sûr pas sûr cette bienfaitrice un grand coup historique la mémoire s'insémine naturellement où sont les sourires ? les traces ? intrigues chez sodome et gomorrhe un clochard manque se faire écraser parcours céleste intercepté les cloches de l'église en draperies sonores je m'enfonce gravement dans le milieu de la nuit hystérie express l'écueil le même son dépassement l'espace où je pourrais respirer rassembler mes fragments cette autre publicité blasphème nouvelle version de l'enfumage généralisé c'est selon la programmation sans virgule

 

Au bout de l'avenue, j'ai trouvé un bar. Harlem nocturne jouait pour moi. Tout est alors rentré dans l'ordre.

 

 

 

10 octobre 2012 3 10 /10 /octobre /2012 06:00

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Je veux vivre avec moi-même,

Jouir du bien que je dois au ciel,

Seul, sans témoin,

Libre d'amour, de jalousie,

De haine, d'espoir, de souci...

 

 

Le frêle bateau à moteur était arrivé par le chenal de l'Ouest après s'être ouvert un passage au milieu des roseaux, silencieux ce matin-là.

 

Il faisait chaud, il faisait bon, la terre ferme du venin et du croc m'avait paru soudain étrangement lointaine.

 

Sur le quai, grande dalle bancale de béton, je n'ai vu que lui. Son visage, surtout, à l'expression impassible sous son chapeau de feutre gris. Pour se prémunir, pensais-je, du soleil omnipotent.

 

- Allillanchu ! (Bonjour !)

- Iman sutiyqui (Quel est ton nom ?)

 

Avant que je ne puisse lui répondre, quelques expressions en langue quechua apprises avant l'équipée, ça aide, il m'a lancé :

 

- Allillamanta (Doucement, doucement...)

 

L'air était vif, mais il n'y avait pas d'air, j'étais à près de 4000 mètres d'altitude. L'Indien avait raison, il me fallait prendre le cours de la vie en douceur.

 

Avec la femme qui m'accompagnait en tous lieux dans ce périple, l'Indien en tête, nous derrière, nous avons gravi, nos pas confiants dans les siens, une interminable sente pierreuse jusqu'à sa cabane en adobe rouge. Mon sac à dos ne me pesait pas. Trois fois rien : une veste en matière polaire (mais qui est réellement allé voir les pôles de près ?!), ma trousse pour la toilette (regarder les sens du nom trousse et du verbe trousser dans le dictionnaire) qui a fait le tour du monde, un appareil photographique et des victuailles (sachet de sucre en poudre, mandarines, friandises au chocolat) pour mes hôtes.

 

Sur la gauche, des plants de patates ; sur la droite, quelques moutons et quelques chats.

 

- Pas de chiens sur l'île. Dangereux. Méchants. Bruyants. Jaku !

 

Oui, il nous fallait avancer.

 

La femme de l'Indien nous attendait sur le seuil de la cabane. Je l'ai trouvée plutôt jolie. Nos regards se sont parlé un bon moment. Je n'ai vu que ses yeux. Qui de nous deux dévisageait l'autre ? Ce n'est que bien plus tard que j'ai entendu le son cabossé de sa voix.

 

Un chat maigrichon jouait dans la courette et une poule était juchée sur un appentis qui contenait un empilement de bûches, sans doute pour faire la cuisine. D'où venaient-elles, ces bûches ? Où étaient les arbres ? 

 

Dans l'unique pièce de la cabane, une table pour quatre - pour une petite famille, en somme. Un garçon et une fille, très jeunes, près d'un brasero, cuisine portative où le bois se mélangeait au plastique. Le rougeoiement de la braise jusqu'au paléolithique supérieur. Ce n'était pas une illusion, une famille vivait exactement dans cet univers sans adresse. Sur le rebord de la fenêtre, un bouquet tout frais de munya qui sentait la menthe. À travers le carreau, l'immobilité bleue du lac. Sur le mur principal, bien dans l'axe de la porte, un wipil éclatant de broderies jaunes et vertes, un poncho cérémonial et un calendrier publicitaire de l'année écoulée, un gros tracteur de marque américaine pile au centre et en-dessous des jours, des semaines et des mois - j'ai remarqué quelques traits tracés avec précision au crayon à certains endroits.

 

Il y avait toujours ce silence, comme avant, comme au cours de la traversée, comme dans les premiers temps. Quelque chose de réconfortant. C'est ce qui me plaisait de penser pendant que nous avalions une soupe épaisse à base de quinoa et de tomates.

 

L'Indien ne nous a pas demandé d'où nous venions. Nous lui avons décrit notre partie de l'hémisphère terrestre et les raisons de notre voyage tandis qu'il nous tendait des feuilles de munya à infuser contre le soroche, le mal des montagnes. Écoutait-il ? Cette entrée en matière en valait pourtant une autre. Puis il y eut à nouveau ce silence.

 

La femme à mes côtés, déjà malade, est soudain tombée dans un état second. Nous avons soulevé la question sans question du rapatriement sanitaire. Je voyais la scène. Je ne voulais justement pas de scène. De ma trousse, j'ai extrait une substance fortement dosée en cortisone. Dans la pièce qui faisait office de chambre, notre chambre, un luxe !, un peu à l'écart, une sorte de grange réaménagée, elle a bu toute la préparation avant de s'endormir au creux de l'après-midi. Par la fenêtre, il y avait toujours cette vastitude liquide très bleue et, sur la ligne d'horizon, des blancheurs montagneuses verticales. J'avais oublié les cadeaux de bienvenue. 

 

Vers cinq heures, l'Indien et sa femme - c'est à ce moment précis que j'ai entendu pour la première fois la mélodie contrariée de sa voix -, se sont portés aux nouvelles. C'est ce que je croyais : sans attendre, il m'a dit, ils nous ont dit, qu'une fête se préparait au centre communal et qu'ils voulaient nous y emmener. J'ai parlé quechua et espagnol. Je me souviens que je m'efforçais de me faire comprendre. Mille choses tournaient dans ma tête sans qu'aucune ne devienne évidente. Le centro de la comunidad, préfabriqué rectangulaire, je l'avais aperçu au sommet du promontoire pendant la montée. Je m'étais demandé ce que cette construction faisait là.

 

La cortisone, c'est un peu connu, fait des miracles. Vers neuf heures, revêtus de couleurs locales, nous avons bu et dansé avec l'Indien et ses amis, des paysans, au centre communal. Ronde andine pour ondines d'un jour. La femme, plus proche encore de moi, s'est assise sur un banc. Je lui ai dit un mot et suis sorti et dans l'air frais. J'ai observé longuement les étoiles que je n'ai pu compter. De son losange symétrique, la Croix du Sud me faisait signe. Je suis retourné auprès de la femme toujours assise sur le banc, madone reconnaissante, et lui ai dit un autre mot. Je crois.

 

Je me souviens de l'aube qui venait, vite.

 

Pendant le desayuno, le petit-déjeuner-repas essentiel, l'Indien nous a déroulé que son avenir sur l'île était barré. La nuit efface, ici et ailleurs, les contes sur l'ardoise. Sa confession du désespoir. Pas d'eau courante, de l'électricité, oui, par panneaux solaires, mais à quel prix !, les sols qui vont s'épuisant et le monde des traditions rurales qui s'éteint, les pouvoirs politiques qui poussent sans leur venir en aide les natifs à développer le tourisme - et quel tourisme ! - pour prélever des taxes faramineuses sur la communauté après coup, sa femme qui songe à une existence plus agréable, s'imagine-t-elle, là-bas. Plus tard, les études des enfants, aussi.

 

Sur le chemin du retour vers le bateau, l'Indien se tenait tout contre moi. C'est à cet instant que je l'ai pris en photo. La photographie.

 

- Suyariway !  (Attends-moi !)

 

L'Indien a bondi dans le champ, à gauche, et en est ressorti avec une pierre noire, très noire, dans la main droite. 

 

- Kayká kampáj (C'est pour toi)

 

Pendant ces quelques heures ensemble, je ne l'avais pas vu agir en gestes précipités. Cette pierre, je l'ai serrée très fort à mon tour. La brume enveloppait le jour. Sur la sente, alors que le bateau faisait route vers son point de départ, la silhouette de l'Indien qui marchait tout seul.

7 octobre 2012 7 07 /10 /octobre /2012 06:00

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This light-house, known to mariners as the Cape Cod or Highland Light, is one of our "primary sea-coast lights," and is usually the first seen by those approaching the entrance of Massachusetts Bay from Europe...

 

 

Je partage avec mon cher Thoreau une passion, géologique, botanique, biologique et, il va s'en dire, pour peu que j'en aie le loisir, historique, à l'endroit des caps, des promontoires, des finisterres.

 

Pour les phares, tout autant. Je collecte, en cette matière, une vaste documentation-chantier qui pousse comme du corail relative aux feux européens, distribués en arc bien tendu des Iles Lofoten jusqu'à la pointe sud du Portugal.

 

Que Thoreau, lors de son voyage, contrasté, mouvementé, mais heureux à l'évidence pour son âme incarnée dans un corps très mobile, à Cape Cod et ses alentours, le cap de la morue et des eaux nourricières, mais surtout dans un paysage des confins, reportez-vous au texte original, se soit intéressé in concreto à l'un des premiers phares américains, édifié en 1797 et reconstruit après l'érosion des sols en 1857, lançant son appel jusqu'à nos jours ininterrompu vers le large depuis la côte est, ne m'étonne guère : ce feu de mer est une métaphore de la vraie puissance spirituelle.

 

S'il rayonne, le phare de North Truro, localité qui le porte, est le rai premier, principiel, qui indique l'une des directions possibles que l'on peut emprunter - et, qui sait ?, l'une des plus ouvrantes qu'on - le on en question étant une multitude sensible - peut envisager au cours d'une existence : malgré tout, en dépit de tout, par-delà tout, pousser ses potentialités le plus loin possible

 

Ceci dit, en-deçà des allégories et des symboles qui ont eu leur utilité dans la construction des sociétés humaines (on me glisse à l'oreille que c'est toujours d'actualité...), ce que j'aime chez Thoreau-le-clairvoyant, ici comme ailleurs dans son œuvre-laboratoire d'écriture à ciel dégagé de toutes sortes de scories, est la précision scientifique de l'exposé, digne en cela des meilleurs rapports qui  sont d'ordinaire rédigés par ceux qui font profession de géomètre-topographe, occupation qu'Henry  exerçait, on le sait, quand il en avait économiquement nécessité. Sauf qu'avec cet essai, publié initialement en 1863 dans la prestigieuse revue du Nouveau Monde, The Atlantic Monthly, l'ordinaire est sublimé - au sens alchimique. La prose du monde est ici prima poesia :

 

(...) It is forty-three miles from Cape Ann Light, and forty-one from Boston Light. It stands about twenty rods from the edge of the bank, which is here formed of clay. I borrowed the plane and square, level and dividers, of a carpenter who was shingling a barn near by, and, using one of those shingles made of a mast, contrived a rude sort of quadrant, with pins for sights and pivots, and got the angle of elevation of the bank opposite the light-house, and with a couple of cod-lines the length of its slope, and so measured its height on the shingle. It rises one hundred and ten feet above its immediate base, or about one hundred and twenty-three feet above mean low water. Graham, who has carefully surveyed the extremity of the Cape, makes it one hundred and thirty feet.

 

The mixed sand and clay lay at an angle of forty degrees with the horizon, where I measured it, but the clay is generally much steeper. No cow nor hen ever gets down it. half a mile farther south the bank is fifteen or twenty-five feet higher, and that appeared to be the highest land in North Truro. Even this vast clay-bank is fast wearing away. Small streams of water trickling down it at intervals of two or three rods have left the intermediate clay in the form of steep Gothic roofs fifty feet high or more, the ridges as sharp and rugged-looking as rocks and in one place the bank is curiously eaten out in the form of a large semicircular crater.

 

Tout Thoreau est là. Grandeur nature.

 

Il l'est aussi dans l'autre essai traduit aujourd'hui en langue française, Nuit et clair de lune (Night & Moonlight, publié ainsi que le premier à l'automne 1863). Ces deux brefs et denses textes constituent le bon choix éditorial que je découvre et dont je fais mon délice.

 

Rien que la première phrase - l'humour, subtil, en prime :

 

Chancing to take a memorable walk by moonlight some years ago, I resolved to take more such walks, and make acquaintance with another side of Nature. I have done so.

 

Yes, dear Henry, you have done so : en mille circonstances, tu sais parfaitement joindre le geste à la parole...

 

Dans et entre les lignes, je vous dis.

 

Mon observation vaut, ad vitam aeternam, pour chaque véritable auteur.

 

 

 

(Henry David Thoreau, The Highland Light in Cape Cod, Thomas Y. Crowell & Co Publishers, New York, 1908 / Le Phare de Haute-Terre suivi de Nuit et clair de lune, essais traduits de l'américain par Yves Marteze, éditions La Nerthe, 2012)