6 décembre 2010 1 06 /12 /décembre /2010 06:00

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Ars poetica.

 

In literature it is only the wild that attracts us. Dullness is only another name for tameness. It is the untamed, uncivilized, free, and wild thinking in Hamlet, in the Iliad, and in all the scriptures and mythologies that delights us -not learned in schools, not refined and polished by art. A truly good book is something as widly natural and primitive, mysterious and marvellous, ambrosial and fertile, as a fungus or a lichen.

 

(Henry David Thoreau, Journals, November 16th, 1850, Houghton Mifflin Company, 1927)

 

 

En littérature, ce qui est sauvage seul nous attire. Sagesse et douceur sont synonymes d'ennui. Ce qui nous ravit dans Hamlet, dans l'Iliade, dans les livres sacrés et les mythologies, c'est le non familier, le non civilisé, la pensée libre et vagabonde, ce qui n'a pas été appris à l'école, ni raffiné, ni poli par l'art.


Un vrai bon livre est quelque chose d'aussi naturel, primitif, sauvage, d'aussi mystérieux et merveilleux, d'aussi ambrosiaque, d'aussi prolifique qu'un lichen ou un champignon.

 

(Henry David Thoreau, Journal 1837-1861, extraits choisis et traduits par R. Michaud et S. David, présentation - lumineuse - de Kenneth White, Les Presses d'aujourd'hui, 1981)

 

 

Credo.

 

Croyance ? Croissance...

 

3 décembre 2010 5 03 /12 /décembre /2010 17:00

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I remember : je remembre la mémoire.

 

L'atelier est sous la neige : suspension du temps alentour.

 

Un soir des années 70, alors que j'étais ivre de fatigue après des jours dans les mots, Jean-Pierre Vernant, pédagogue habituellement adroit et sensible, me tire cette fois-là de ma torpeur d'une frappe sonore sur la table de notre séminaire au Collège de France. Nous nous regardons aussi surpris l'un que l'autre, et éclatons de rire !

 

Je me souviens de tout : les lettres grecques tracées sur le cahier d'écolier, les règles de l'accentuation (paroxyton, proparoxyton...), et les cours de grec ancien que, comble suprême de la clownerie, je donnais à mes cadets. Quand j'y pense ! Non, je ne regrette rien. La vie était belle. Elle l'est toujours.

 

Brusque désir de reprendre Sophocle ce matin en repensant à tout ça.Une œuvre essentielle qui me sert toujours, un jour ou l'autre. Vous ne connaissez pas ? En livre de poche, je vous dis, et vous aurez une critique générale du Spectacle qui n'a pas pris une ride.

 

Délivrance : la voix du réveil dans la nuit éternelle vaut à jamais toutes les huiles essentielles.

2 décembre 2010 4 02 /12 /décembre /2010 14:30

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Chers amis Irlandais,

 

Vous êtes attachés à votre beau pays, à votre belle île - et je vous comprends. Je connais vos soucis, vos tracas, vos ennuis. Le FMI (Farouche Mixeur International) vous trouve à l'instant la solution qui vous convient. L'essayer, c'est l'adopter comme le dit mon tailleur borduro-moldave. Oui, je sais, le froid gagne et la tourbe vient brutalement à manquer. Chin up ! Fortitude ! Songez à la douceur de partir à nouveau en week-end dans le Connemara à deux, à trois, avec toute votre petite famille !

 

On peut aussi déguerpir, tout quitter, fuir. C'est exactement ce que fit James Joyce, votre compatriote, en 1904. Vous vous souvenez ? Il en avait plus qu'assez d'une certaine mentalité insulaire qu'il tentait de noyer dans d'interminables beuveries avant son départ définitif pour le continent.

 

Ah !, je pourrais m'entretenir de Joyce à l'infini avec vous. Une autre fois, for sure. Aujourd'hui, je ne  fais que mentionner ces trois photos (Sainte Trinité...) de l'auteur du Portrait of the Artist as a Young Man. Des icônes pour vous remonter le moral. La première, Joyce jouant de la guitare. La deuxième, Joyce jouant du piano. La troisième enfin, ma préférée, émouvante photo, Gisèle Freund à l'appareil. Nous sommes en mai 1938 dans la librairie Shakespeare & Co d'Adrienne Monnier, bienfaitrice devant l'Eternel,  rue de l'Odéon, à Paris. Il fait beau. Il fait déjà presque tout noir. Et James Joyce de profil - ce sourire...

 

Slan agat !


 

P.S. Aviez-vous remarqué, chers amis, que pour arriver dans le Connemara, on traverse la région de Joyce ?

1 décembre 2010 3 01 /12 /décembre /2010 11:15

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Malgré le froid glacial et la bise hurlante, un maigre rayon de soleil m'attire ce matin vers les bords du Rhône, en Avignon.

 

Le pays est, dit-on, paralysé par les frimas précoces, on veut m'en persuader, intoxication mentale, la preuve, je peux aller et venir à ma guise. J'ai toujours aimé me promener à la rencontre des fleuves. Ici, la puissance liquide est phénoménale, augmentée de la présence proche du mont Ventoux cher à Pétrarque.

 

Après le Rhône, du jardin situé sur les hauteurs de la Cité des Papes, je jouis maintenant d'une vue superbe sur la ville.

 

Pas un chat. Quelques notations sur mon carnet. Je pense à Pablo Picasso. Ses Demoiselles peintes en 1906, présentes dans leur fraîcheur intacte au Museum of Modern Art, à New York, viennent à moi en brassées solaires.

 

Quand j'y songe, à l'époque où je vivais en Irlande, j'ai failli avoir comme voisin ce récipiendaire d'un prix littéraire automnal ((Comment ? Que dites-vous ? Récipient à serpillière ?, me demande mon ami le professeur Tournesol) chez qui l'œuvre de Picasso provoque aussitôt le dégoût...Ah !, je ne devrais même plus relever ce genre de trivialités.

 

À l'avance, je me régale de revoir bien au chaud dans mon ermitage blanc Le Mystère Picasso réalisé par Henri-Georges Clouzot en 1955.

 

Vous ne connaissez-pas ? Prodige du style en acte.

 

¡ Vamos !

29 novembre 2010 1 29 /11 /novembre /2010 17:50

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Libérer les hommes est l'objectif de l'art. Par conséquent, pour moi, l'art est la science de la libération.  



Dans le train qui me porte ce matin à Bruxelles, j'ai eu envie de relire l'essai de Heiner Stachelhaus sur Joseph Beuys (éditions Abbeville, 1994).

 

Pendant plusieurs années, Stachelhaus a fréquenté cet individu énigmatique hors du commun, véritable mythe en chair et en os. Au-delà de certains aspects histrionesques bien connus (son aventure de trois jours à New York enfermé dans une cage avec un coyote en 1974), de page en page, ma sympathie pour l'homme et son aventure terrestre se confirme, tour à tour et tout à la fois plasticien, concepteur, pédagogue, expérimentateur et citoyen engagé dans les débats de son Allemagne natale en relation avec les grandes interrogations planétaires en matière d'écologie humaniste. Une fièvre à la Jacques Brel aussi dans le regard de celui qui a traversé le miroir des illusions sans se départir d'un humour bienveillant.

 

Je m'attarde sur quelques photos en noir et blanc. Sur l'une, on le voit nager dans un bras côtier de la mer du Nord, son éternel chapeau-gri-gri en feutre sur la tête : action dans les marais. Sur une autre, un porte-voix et deux yeux saillants lors d'un happening à Rome. Sur une autre encore, je me demande ce que ces deux-là font ensemble, Andy Warhol, costumé-cravaté, et Beuys en vareuse farniente, l'air passablement goguenard.

 

Jeune, Joseph Beuys se voyait berger. À coup sûr, il y a quelque chose chez lui du chaman des hauts-plateaux qui donne à son œuvre l'étendue d'un champ magnétique à la charge durable. 

29 novembre 2010 1 29 /11 /novembre /2010 11:00

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Ce quartier de Montparnasse où j'ai tant marché - mes semelles connaissent, à bout de souffle, les quatre saisons de la rue de Rennes (cette civette rouge et or, les fins cigares de Hollande, elle a disparu), du boulevard Raspail (Jean-Paul Sartre, sa silhouette en S), du square Notre-Dame-des-Champs (fantôme d'Ernest H.), de la rue du Cherche-Midi (recherche de la base et du sommet), de la rue du Regard, de la rue Campagne-Première :

 

- C'est vraiment dégueulasse 

- Qu'est-ce qu'il a dit ? 

- Il a dit : "Vous êtes vraiment une dégueulasse" 

- Qu'est-ce que c'est dégueulasse ?,

 

de la rue Vavin (le pain, le vin, les fromages ), de la rue Bréa, de la rue de la Grande-Chaumière (les peintres anthroposophes), de la rue Jules-Chaplain (le petit cinéma, là, à droite, les films de Jacques Doillon, l'entrée dans le gouffre des années 70), de la rue d'Odessa (le magasin de jouets, ses mobiles en bois peint dans la vitrine), de la rue Froidevaux (La Maison des Bibliothèques...), du passage d'Enfer, et le retour sur le boulevard dans la clarté du temps intemporel.

 

Une de mes haltes favorites était un bistrot à deux tables face à la gare. Le café y était bon, les conversations itou, ça sentait le Cantal et le tabac à pipe. Nous avions du temps dans le Temps.

 

Englouti, le troquet.

 

Où était-il déjà ? Rue du Départ ou rue de l'Arrivée ?

 

29 novembre 2010 1 29 /11 /novembre /2010 07:30

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  Rien n'égale en longueur les boiteuses journées,
    Quand sous les lourds flocons des neigeuses années
    L'ennui, fruit de la morne incuriosité,
    Prend les proportions de l'immortalité.
    - Désormais tu n'es plus, ô matière vivante !
    Qu'un granit entouré d'une vague épouvante,
    Assoupi dans le fond d'un Sahara brumeux ;
    Un vieux sphinx ignoré du monde insoucieux,
    Oublié sur la carte, et dont l'humeur farouche
    Ne chante qu'aux rayons du soleil qui se couche.


(Charles Baudelaire, Les Fleurs du mal, LXXVI. Spleen, édition de 1861)

 

 

Yes, low tide.

 

Le maestro du spleen doit se retourner dans sa tombe : l'ennui massif est désormais partout, une corrosion sans nuance de tous les bonheurs minuscules.

 

Je devrais écouter un peu plus les sages de la sagesse chinoise et me dire que la roue du temps pourrait repartir dans le bon sens.

 

Vraiment ?

 

28 novembre 2010 7 28 /11 /novembre /2010 19:00

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- Mais puisque je te le dis !

 

- Non, ce n'est pas possible !

 

- Mais si !

 

- Mais non !

 

- Écoute-moi !

 

- Je ne fais que ça depuis une heure, t'écouter !

 

- Je te dis que c'est comme ça

 

- Ça ne tient pas debout

 

- Et pourtant si

 

- Où as-tu vu ça ?

 

- Je l'ai entendu

 

- Tu racontes des histoires

 

- Mais, enfin !

 

- Non, non !

 

- Si, si...

 

Etc.

 

De la Grèce (antique) et ses îles, avec les olives et le vin résiné, nous est venu l'art oratoire de distinguer le vrai d'avec le faux. Mais on ne s'en sort pas. La belle et grande clarté persiste à être hors d'atteinte comme Délos quand la tempête se lève.

 

Chacun sa vérité, là-bas et ici.

 

28 novembre 2010 7 28 /11 /novembre /2010 15:00

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Tu te souviens, cette grange abandonnée aux oiseaux, là-bas, dans l'état de l'Oregon, un soir d'été, et ton ami Gary Snyder lisant Riprap (Origin Press, 1959) ?

 

Oui, oui, c'était il y a des années, c'était hier.

 

 

   Lay down these words
Before your mind like rocks.
          placed solid, by hands
In choice of place, set
Before the body of the mind
          in space and time :
Solidity of bark, leaf, or wall
          riprap of things :
Cobble of milky way.
          straying planets,
These poems, people,
          lost ponies with
Dragging saddles -
          and rocky sure-foot trails.
The worlds like an endless
          four-dimensional
Game of Go.
          ants and pebbles
In the thin loam, each rock a word
          a creek-washed stone
Granite : ingrained
          with torment of fire and weight
Crystal and sediment linked hot
          all change, in thoughts,
As well as things.


 

 

Lay down these words before your mind like rocks...

 

Nouveau départ. Nouvelles directions.

 

28 novembre 2010 7 28 /11 /novembre /2010 14:00

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J’étais dans une sorte d’extase, par l’idée d’être à Florence, et le voisinage des grands hommes dont je venais de voir les tombeaux. Absorbé dans la contemplation de la beauté sublime, je la voyais de près, je la touchais pour ainsi dire. J’étais arrivé à ce point d’émotion où se rencontrent les sensations célestes données par les Beaux-Arts et les sentiments passionnés. En sortant de Santa Croce, j’avais un battement de cœur, la vie était épuisée chez moi, je marchais avec la crainte de tomber.


 

La contemplation active, dans un temps compressé, d'une surabondance d'œuvres artistiques peut, on le sait, provoquer des états seconds chez n'importe quel humain pas encore trop abruti : excitation de tout l'appareil nerveux, vertige vagal,  voire perte temporaire d'identité...

 

Vous venez de le lire, Marie-Henri Beyle, Stendhal pour les happy few, en fit l'expérience soudaine qu'il a relatée dans son Rome, Naples et Florence, publié en 1826 (éditions Gallimard, 1987).

 

À l'attention des cinéphiles,  je leur signale la prestation hallucinée d'Asia Argento dans le film réalisé en 1996 par son père, Daria Argento, intitulé Le Syndrome de Stendhal (La Sindrome di Stendhal). 

 

Avant de regagner la mia camera  que me prêtent des amis italiens - et son comodino de feuilles éparses à l'encre bleue -, je m'arrête quelques instants pour regarder le roulement sans fin de l'activité marchande sur la lagune et lire au soleil d'hiver. Si je trouve un banc de pierre un peu retiré de la chiennerie touristique. Je finis par en trouver un juste sous les cloches muettes d'une église. C'est par charité chrétienne que je mentionne ce film avec l'espoir secret que ceux qui estiment, bien à tort selon moi, que l'œuvre de Stendhal appartient désormais à un temps révolu, voient monter l'urgence de s'y rafraîchir un peu les neurones. Soyez curieux et relisez La Chartreuse de Parme, Lucien Leuwen ou Les Mémoires d'un touriste : autant d'approches introspectives qui sauront élargir votre horizon quotidien en raccourcissant les degrés vers l'intelligence sensible.

 

Ah !, mariage fortuné des sens et de la raison : un homme passionné voit toutes les perfections dans ce qu'il aime...