26 novembre 2010 5 26 /11 /novembre /2010 16:40

 

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Ermite au pinceau sur les rivages du Maine, Winslow Homer a été l'un de ces artistes du dehors qui ont révélé les formes américaines de la vie liquide dans leur authenticité sans fard.

 

Chantre de l'Océan (qu'aurait dit Victor Hugo ?), ses aquarelles en gris bleutés improbables qui défient le temps montrant des pêcheurs paisibles ou des marins rapides furent une énorme source d'inspiration, notamment pour Newell Convers Wyeth (voyez, par exemple, ses illustrations emportées de L'Île au trésor,  de Robinson Crusoé ou du Dernier des Mohicans in Michel Le Bris, N.C. Wyeth : l'esprit d’aventure, Hoëbeke, 2008).

 

La guerre de Sécession qu'il a vue de près (Bivouac Fire on the Potomac, 1861) vient de mourir dans un quiproquo durable. Impact dévastateur sur l'American Way of Life. Les états désunis croyaient se reconstruire. Pendant que les bonnes gens de l'Est louaient les sages représentations du modèle social à suivre peintes par John Singer Sargent (on ne rigole pas devant son autoportrait de 1906...), Homer le conteur poursuit son approche de couleurs de plus en plus fines en voyageant plein Sud, vers Cuba ou les Bahamas.

 

Quand je revois Moonfleet (Les Contrebandiers de Moonfleet, Fritz Lang, 1955), la superbe de Stewart Granger, la scène du duel au début, la nuit étoilée, les vagues féroces et la crique secrète, je suis aussitôt plongé dans ces dynamiques du ciel et de la terre :

 

 

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  (Sunlight on the Coast , 1890)

 

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    (Look Out, 1896)

 

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(Right and Left, 1909)

 

 

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(West Point, 1900)

 

 

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(After The Hurricane, 1899)

 

 


Vers la fin de sa vie, retour sur la terre ferme, et cette vision éclair, saisissante comme un pressentiment, The Fox Hunt (La Chasse au renard, 1893) :

 

 

 

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Pour mon plus grand bonheur, le monde de Winslow Homer, le monde des tumultes naturels acceptés, est celui de l'homme en paix avec lui-même, au visage dissous dans un ultime accomplissement silencieux, à l'écart des tracas mondains, sur son frêle canot rouge.

 

 

25 novembre 2010 4 25 /11 /novembre /2010 17:30

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Le temps d'une semaine, des amis me prêtent leur maison de granite dans les Côtes-d'Armor qu'il y a peu encore les PTT appelaient Côtes-du-Nord.

 

Quand, de Bretagne, arrivait une lettre, mon père me montrait le timbre sur l'enveloppe. J'ai gardé les timbres et mon père. J'ai toujours été du côté du père.

 

À l'aube, le jardin, un paradis, est sous la neige. Je suis seul et c'est parfait. Dans la vaste bibliothèque, je tombe sur ces poèmes de Paul Verlaine. Bouffée d'école qui remonte. Celui-ci, dans sa simplicité désarmante, que je recopie à l'instant sur mon carnet, talisman du jour :

 

 

Ayant poussé la porte étroite qui chancelle,
Je me suis promené dans le petit jardin
Qu'éclairait doucement le soleil du matin,
Pailletant chaque fleur d'une humide étincelle.

Rien n'a changé. J'ai tout revu : l'humble tonnelle
De vigne folle avec les chaises de rotin...
Le jet d'eau fait toujours son murmure argentin
Et le vieux tremble sa plainte sempiternelle.

Les roses comme avant palpitent; comme avant,
Les grands lys orgueilleux se balancent au vent,
Chaque alouette qui va et vient m'est connue.

Même j'ai retrouvé debout la Velléda,
Dont le plâtre s'écaille au bout de l'avenue,
- Grêle, parmi l'odeur fade du réséda.

 

(Après trois ans, Poèmes saturniens, 1866)

 

 

 

Ces vers aussi doux que la laine de mon duffle-coat que j'enfile pour me promener sur les chemins secrets de mon enfance.

 

25 novembre 2010 4 25 /11 /novembre /2010 14:00

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Était-ce pour l'unique raison qu'un mien aïeul avait partagé avec Jules Verne le goût du libre-esprit que j'avais accepté de prendre la parole à Amiens ? Allez savoir.

 

Le colloque Littérature et condition postmoderne (vous voyez le topo...) a duré deux jours. De doctes professeurs ont dévoilé les subtilités secrètes contenues dans la conjonction de coordination du titre pendant que la modernité, elle, prenait l'eau. J'ai fait de mon mieux pour dire que, si littérature il y avait encore - sourcils froncés et regards réprobateurs dans la salle -, il s'agissait, plus que jamais, de Weltliteratur. Le buffet de spécialités picardes était excellent, et il me restait, malgré le crachin, du bon temps pour circumnaviguer dans la ville avant de reprendre mon train.

 

À l'hôtel, situé entre une armurerie et une fédération du bâtiment, je n'avais rien à craindre, le Nord, c'est du solide !, la fenêtre de ma chambre, tapisserie XIXe finissant revue et corrigée par Vasarely, donnait quasiment dans le bureau de Jules Verne de l'autre côté de la rue. Porte close, travaux en cours, la maison-musée où l'auteur de Deux ans de vacances a écrit la plus grande partie de ses succès sera pour une autre fois.

 

J'ai dépassé le cirque, à gauche, une actrice y avait été recluse avec des lions pour un film, et devant moi, des boulevards me lançaient leurs néons derrière un rideau de pluie fine et redoutablement pénétrante. Je me suis retrouvé devant la Maison de la Culture inaugurée par André Malraux en 1966. Malraux ! Ses discours avaient une autre gueule que les vulgaires salmigondis à prétention intellectuelle de maintenant. Chez le bouquiniste de l'angle, cherchant un peu de chaleur, je tombe sur une monographie de Maurice-Quentin Delatour plus connu par son véritable nom, Maurice Quentin de La Tour, le prince des pastellistes, né en terre locale, à Saint-Quentin. Portraits de Jean-Jacques Rousseau, de d'Alembert et cet Autoportrait au jabot de dentelle (1751), tout en bleu ironique. Des pépites dans un tas de fumier.

 

Attiré par l'eau et le ciel d'ardoise, je suis allé marcher un moment le long de la Somme paisible ("La Somme ?! Mais c'est la bataille de 14-18 !", me dira un gars dans un bistrot qui sentait le vrai café), ses humbles maisons de bateliers du quartier Saint-Leu, autrefois délaissées, aujourd'hui prébendes des agents immobiliers. Plus loin, au porche de la cathédrale qui a résisté, me dit la brochure, à tous les bombardements, je me suis souvenu qu'en 1904 Marcel Proust avait plutôt bien traduit La Bible d'Amiens de John Ruskin. Je me suis assis, boiseries et vitraux magnifiques, et avant de ressortir dans l'air frais, j'ai allumé un cierge - en général, cela ne peut pas faire de mal.

 

C'était  l'heure de monter dans le train. Je me suis retourné : la fameuse tour Perret en face de la gare du Nord projetait un immense rayon vert futuriste dans ma direction. Pas de doute, demain était déjà hier.

 

 

24 novembre 2010 3 24 /11 /novembre /2010 17:30

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À Vancouver, tôt le matin, je flâne du côté de Connaught Park, les pins gigantesques et odorants, une véritable rain forest, et le tumulte du port, là, sur la droite, un peu plus bas.

 

Je connais d'autres Connaught Parks, Squares ou Places dans le monde, mais je n'y ai vu que laideur bétonnée.

 

Dans l'avion qui me dépose sur les rives du Pacifique, j'ai emporté Les Derniers rois de Thulé dans une édition de poche et la belle biographie que Jan Borm consacre à Jean Malaurie (Jean Malaurie : Un homme singulier, éditions du Chêne, 2005). J'ai très envie de voir les totems du parc Stanley même si je sais qu'ils y ont été installés vers 1920 dans un aménagement confortable pour le touriste en goguette. C'est mieux que rien, certains de ces totems remontent d'ailleurs au XIXe siècle, donc relativement anciens, en provenance d'Alert Bay située sur Cormorant Island en Colombie-Britannique où le potlatch, banni un temps par les autorités, est à nouveau en pleine vigueur. De toute façon, si je veux voyager plus au Nord, un équipement ad hoc s'imposerait comme me le conseille mon capitaine-ange gardien.

 

Admiration pour ce conteur-né qu'est Jean Malaurie à la voix grave et au format taillé pour l'aventure. Audace de sa part, dans l'immédiate après-guerre, de lancer ce qui allait devenir le pavillon du témoignage vécu, de l'interculturalité et du transdisciplinaire, la collection Terre Humaine aux éditions Plon. Dans la bibliothèque de l'atelier, je m'en  suis aperçu avant le départ, la vie intime de ceux que l'on appelait encore Eskimos de façon péjorative avant que Jean Malaurie n'en révèle les fiers et sensibles aspects dans son livre le plus connu se trouve dans le voisinage immédiat des Immémoriaux de Victor Segalen, autre opus inégalé dans son genre. Quand on pense que Malaurie avait commencé sa carrière (mais est-ce vraiment en ces termes qu'il faut considérer son parcours d'une rare densité ?) par l'exploration des déserts en qualité de géographe...

 

Je demande : savez-vous ce que signifie Inuit ?  Une fois sur deux, silence blanc. Inuit signifie "être humain" - dans tous les sens.

 

Relisez Malaurie, un guide des hautes terres pour ne pas perdre le Nord. 

24 novembre 2010 3 24 /11 /novembre /2010 13:00

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Autrefois, j'ai vécu en Irlande.

 

Une ancienne cabane de pêcheur de murs bleus au toit de chaume agrémentée d'un point d'eau qu'il nous fallait régulièrement réamorcer matin et soir - la bonne fortune voulut que je loue cette thatched cabin, cet abri des heures intemporelles, pendant la belle saison, comme on dit, et non au cœur de l'hiver.

 

Je dis nous car la femme qui m'accompagnait alors n'est plus. Irlandaise, elle était intelligente, elle était folle, je le savais, ce fut une belle saison quand même.

 

À quelques encablures de Galway, de la pièce principale  - au juste, il n'y en avait que deux et un garde-manger, cabinet de toilette, resserre à tout faire -, nous nous régalions de la vue sur la baie de Letter More (quel nom prédestiné !), la lande verte, les genêts jaunes, les poneys et les mouettes dans la diversité de leur nomenclature scientifique.

 

Un isolat écologique imbattable et un isolement érotique à deux dans une discrétion sans pareille.

 

J'étudiais, j'écrivais, alternativement. Ou bien je ne faisais rien, ce qui était déjà en soi beaucoup.

 

À la nuit tombée (la nuit tombe-t-elle vraiment ?), cette tranquillité soyeuse était parfois troublée par la présence musicale d'un farfadet qu'on appelle là-bas leprechaun, vous entendez ?, un lutin espiègle, qui se mettait en tête de jouer des airs folkloriques à l'aide d'un fifre de bois flotté qui était tout sauf un...fifrelin. Son cirque pouvait durer des heures : nous avions bien tenté d'établir le contact, la langue de la raison lui était inconnue.

 

Des années plus tard, un ami me parle des farfadets. Connaissez-vous cet individu au nom à rallonge : Alexis Vincent Charles Berbiguier de Terre-Neuve du Thym ? Non ? What a pity ! Il est l'auteur d'un engin littéraire extravagant (qui sort des ornières...) intitulé Les Farfadets ou Tous les démons ne sont pas de l'autre monde publié en 1821 sur ses propres deniers. À le lire, l'œuvre d'un fou. Mais ce n'est pas aussi simple.

 

Je sais aujourd'hui que notre lutin d'Eire se nomme Puck. Il est le fantôme qui fabrique, from time to time, l'étoffe dont sont faits mes songes éveillés.

 

23 novembre 2010 2 23 /11 /novembre /2010 14:00

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J'aime me promener en Suisse. Pas tout le temps. Une fois de temps en temps. Une fois l'an.


J'y goûte l'air bleu, les poissons sauvages, le fendant du Valais et le cartel de ses cantons. La route verte qui mène, par exemple, de Lucerne à Zürich en passant par Zug m'enchante.

 

Déambulant aujourd'hui le long du Boulevard des Philosophes à Genève (bonjour université !), je pense à une Suisse moins urbaine, plus enchâssée dans ses montagnes : la Suisse des Grisons, et, plus intimement, la localité de Stampa, non loin du massif de l'Engadine qu'affectionnait Nietzsche. C'est de ce bourg qu'un jour de 1922, après avoir étudié à Genève, Alberto Giacometti arrive à Paris.

 

Que Giacometti ait une calligraphie intéressante, c'est évident. Qu'il ait aussi une belle écriture est moins connu. Pendant une saison, j'ai gardé près de moi ses textes, carnets, feuillets, croquis, rassemblés sous le titre d'Ecrits (éditions Hermann, 1990).


On y trouve des choses étonnantes quand on connaît ses intentions sculpturales et ses remords de plasticien.

 

Sachant que je venais sur les bords du lac Léman, j'ai emporté ce carnet d'une vie antérieure où j'avais recopié ce passage saisissant, la dernière phrase surtout :

 

Le silence, je suis seul ici, dehors la nuit, tout est immobile et le sommeil me reprend. Je ne sais pas qui je suis, ni ce que je fais ici ni ce que je veux, je ne sais si je suis vieux ou jeune, j'ai encore peut-être quelques centaines de milliers d'années à vivre jusqu'à ma mort, mon passé se perd dans un gouffre gris, j'étais serpent et je me vois crocodile, la gueule ouverte; c'était moi le crocodile rampant la gueule ouverte.

Crier et hurler que l'air en tremble et les allumettes de loin en loin là par terre comme des bateaux de guerre sur la mer grise.

 

Vous entendez ?

 

Début des années 1960, cette photo de Cartier-Bresson, Giacometti traversant la rue d'Alésia sous la pluie, son atelier de rue Hippolyte-Maindron tout proche, comme tendu vers ses personnages mobiles-immobiles de fer et de plâtre qui, à la fin, chevaliers existentiels, ne sont plus que l'ombre d'une humanité en proie au doute. 

23 novembre 2010 2 23 /11 /novembre /2010 11:00

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San Francisco. Nous venons de traverser le Golden Gate Bridge, enfin, je crois, tant le jour est enveloppé d'une ouate poisseuse, et roulons maintenant sur la Highway 101 North en direction de San Rafael et du soleil.

 

Une heure plus tard, la clarté presque revenue, la grande voiture bleue glisse le long de la côte dans le dernier brouillard blanc, serpente un moment entre les pins, et débouche sur Andersen Drive, à deux pas de notre rendez-vous. Au passage, je remarque les locaux proprets de la Société de Saint-Vincent de Paul et deux ou trois restaurants, dont le Saigon Village à la sympathique devanture rouge vif.

 

Au Tamalpa Institute, senteur de fleur d'oranger, le beau visage de Daria Halprin nous accueille (regard large, ridules bien creusées - sa chaleur). Nous revisitons le passé, nos chemins parcourus depuis le tournage houleux de Zabriskie Point en 1969, le film de Michelangelo Antonioni devenu entretemps a cult road-movie initiatique pour toutes les bonnes raisons possibles.

 

Je lui rappelle la blague sur le borate et le gypse (regardez le film et vous comprendrez), l'adolescent et son père on the spot, les prises de conscience des uns et des autres à l'époque dans une société américaine stéréotypée. Elle me redit sa joie d'avoir, très vite, quitté Hollywood et ses pièges pour lancer dans les années 1980 l'institut et ses ateliers d'expression artistique.

 

Zabriskie Point ! Dans le désert des déserts, Death Valley, et au bout, une géologie magique du monde  - à la limite, anywhere out of the world. Une fournaise inhumaine dès huit heures, le matin. Une rotation suspendue des éléments.

 

Du promontoire en quartiers de rocs qui n'a guère changé in decades, c'est un silence assourdissant qui pénètre l'œil. J'aime ce lieu. Je pourrais y rester des heures dans le temps immobile. Ah !

 

Nous saluons Daria, son rêve réalisé et le comté de Marin. Un peu plus au Nord, quittant la route sablonneuse, nous nous enfonçons à pied dans le Muir Woods National Monument, cette forêt de séquoia sempervirens à la frondaison mystérieuse.

 

« Art that arises out of the inner landscape, and is connected to our lived experience, illuminates the darkness and heals the soul ».

 

Oui, c'est ça l'idée. Harmonie du dedans, harmonie du dehors. Avec ces mots-là, sans trop de flonflons, et d'autres. 

21 novembre 2010 7 21 /11 /novembre /2010 17:00

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Une petite piaule sous un auvent de zinc.


La rue défoncée, les ribambelles de singes qui se poursuivent et des vaches en vadrouille.


Il pleut depuis l'aube.


Tag, ploc, tag, ploc, bling, bling, dlong, ploc : c'est le raga de la pluie sur tous les toits du monde.

 

I feel good : je suis ici et nulle part à la fois.

 

Suis-je ?

 

21 novembre 2010 7 21 /11 /novembre /2010 14:15

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Nous cherchons partout l'absolu, mais nous ne trouvons que des choses.


 

C'est sans doute par esprit de contradiction qu'invité aujourd'hui plein Sud, à Toulouse, autour d'un gigot d'agneau façon bordelaise et d'un flacon de château Angélus (quel nom céleste pour un breuvage divin !), j'ai emporté les meilleures pensées de Friedrich von Hardenberg.

 

J'ai souvent trouvé une ressemblance - et pas que physique quant au visage -, je le lui ait dit, entre HG et ce chimiste, géologue, ingénieur et rêveur opiniâtre d'un savoir humain le plus large et le plus inspirant possible.

 

Un jour, sur l'une des îles Lofoten, dans un rorbu dont le seul confort était la vue sur la mer, je me souviens avoir griffonné  sur un carnet détrempé (c'est-à-dire avoir écrit et esquissé des croquis) des dizaines de notes relatives à Das allgemeine Brouillon (Le Brouillon général, éditions Allia, 2002). Ce volume est lui-même une encyclopédie de notations sur les sujets les plus divers, mais avant tout sur le mouvement général de l'esprit humain. Il a été rédigé par celui qui choisit Novalis comme nom de plume (littéralement, le terrain en jachère, voire le terrain vague d'où une pensée originale pourrait jaillir - quelle belle perspective pour un véritable auteur, n'est-ce pas ?), et figure parmi les astres incandescents que les manuels d'histoire littéraire qui font ce qu'ils peuvent appellent romantiques allemands.

 

Quand, dans une grande librairie de la ville rose, avant nos agapes,  je vois le spectacle consternant de ces piles de non-œuvres  sorties des prix littéraires récents qui s'amoncellent en têtes de gondoles comme boudins à l'ancre chez le charcutier, je glisse à l'oreille de la libraire qui connaît mon humour ce mot prémonitoire de l'auteur des Hymnes à la nuit : l’art d’écrire des livres n’a pas encore été inventé. Mais il est sur le point de l’être...

 

Je quitte la cité des violettes sous le soleil et me dis que ce Brouillon général n'a pas fini de...brouiller les pistes.

 

 

20 novembre 2010 6 20 /11 /novembre /2010 18:15

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Sur le belvédère de Bridge Park, j'observe les chiens en laisse et les joggeurs aussi frais que moi. Mais la vue la plus réjouissante est le ballet que donnent en ce moment les mouettes en nuées verticales au-dessus du bon vieux pont de Brooklyn dans son éternel habit de brume.

 

Je viens de prendre un café serré, un café à l'italienne, un peu plus bas, vers Old Fulton Street, et de jeter un œil évasif aux morning papers - plousse ça change, plousse it is le même chose. La lecture de la presse matinale n'est pas vraiment un exercice spirituel - mais, bon, à Rome, agis comme les Romains anglo-saxons !

 

Tout à l'heure, sur le marché en plein air de la station de métro, le marché aux mille cultures, il faudra que je pense à acheter du poisson, des tomates, du basilic, un citron et une bouteille de zinfandel - ou deux dans le cas d'une visite impromptue, qui sait ?, ou pour le poor relative, le parent pauvre -, et aussi du pain aux trois saveurs au Deli (Delicacies ou Delicatessen) avant la cohue. Tiens, il me revient que le chiffre 3 est particulièrement bénéfique dans la culture chinoise, il se prononce comme "être en vie".

 

La maison de Paul Auster est à quelques encablures -si vous voulez vous promener en sa compagnie, rien de mieux que sa Trilogie new-yorkaise d'une main (Actes Sud, 2002) et de l'autre, le bon bouquin de Gérard de Cortanze (Le New York de Paul Auster, éditions du Chêne, 1996).

 

Demain, s'il fait beau, j'irai faire un tour du côté de Coney Island, et Henry Miller viendra à moi, son visage oriental, et les livres de sa vie (The Books in My Life, New Directions, 1969) dans les poches de son veston. Il me racontera, one more once, comment, fuyant le cauchemar climatisé qu'était la Grosse Pomme des années 1930, il prenait, dès qu'il pouvait se l'offrir, le premier train de banlieue venu pour une détente temporaire à l'embouchure de l'océan avant, un jour, de partir pour de bon. Je lui dirai qu'il avait sans doute eu raison, dimanche après dimanche, de se faire la promesse de lâcher tout, même si je pense avec son ami Blaise Cendrars que New York est une moving city où j'aimerais vivre pendant des mois entiers. Je lui dirai aussi que, de son point de vue, il avait alors bien fait, juste avant les ravages de la Grande Dépression, de s'embarquer pour Paris et ses gaîtés à Montparnasse. Nous parlerons d'Anaïs Nin et de leur passion au réciproque (voyez A literate Passion : Letters of Anaïs Nin & Henry Miller, 1932-53, Allison & Busby, 1992), et fumerons une cigarette à tout ça.

 

Henry retournera dans la fournaise du lendemain tandis que je resterai sur mon banc, la chemise ouverte, dans la lueur du jour qui se reposera enfin, après avoir bien trimé, comme tous les petits gars de Brooklyn.