Nous cherchons partout l'absolu, mais nous ne trouvons que des choses.
C'est sans doute par esprit de contradiction qu'invité aujourd'hui plein Sud, à Toulouse, autour d'un gigot d'agneau façon bordelaise et d'un flacon de château Angélus (quel nom céleste pour un breuvage divin !), j'ai emporté les meilleures pensées de Friedrich von Hardenberg.
J'ai souvent trouvé une ressemblance - et pas que physique quant au visage -, je le lui ait dit, entre HG et ce chimiste, géologue, ingénieur et rêveur opiniâtre d'un savoir humain le plus large et le plus inspirant possible.
Un jour, sur l'une des îles Lofoten, dans un rorbu dont le seul confort était la vue sur la mer, je me souviens avoir griffonné sur un carnet détrempé (c'est-à-dire avoir écrit et esquissé des croquis) des dizaines de notes relatives à Das allgemeine Brouillon (Le Brouillon général, éditions Allia, 2002). Ce volume est lui-même une encyclopédie de notations sur les sujets les plus divers, mais avant tout sur le mouvement général de l'esprit humain. Il a été rédigé par celui qui choisit Novalis comme nom de plume (littéralement, le terrain en jachère, voire le terrain vague d'où une pensée originale pourrait jaillir - quelle belle perspective pour un véritable auteur, n'est-ce pas ?), et figure parmi les astres incandescents que les manuels d'histoire littéraire qui font ce qu'ils peuvent appellent romantiques allemands.
Quand, dans une grande librairie de la ville rose, avant nos agapes, je vois le spectacle consternant de ces piles de non-œuvres sorties des prix littéraires récents qui s'amoncellent en têtes de gondoles comme boudins à l'ancre chez le charcutier, je glisse à l'oreille de la libraire qui connaît mon humour ce mot prémonitoire de l'auteur des Hymnes à la nuit : l’art d’écrire des livres n’a pas encore été inventé. Mais il est sur le point de l’être...
Je quitte la cité des violettes sous le soleil et me dis que ce Brouillon général n'a pas fini de...brouiller les pistes.