19 novembre 2010 5 19 /11 /novembre /2010 09:00

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« On n'éclaire pas sans brûler. »

 

 

Un colosse fragile dont la course effrénée à la vie s'achève dans une chute sans filet sous le soleil d'Antibes en 1955.

 

Mon père avait un peu connu ce Staël von Holstein (blason d'argent à huit tourteaux de gueules posés en orle : la palette prémonitoire du futur peintre...) que l'on appelait simplement Nicolas.

 

Les yeux fermés, si je puis dire, je reconnais son style instantanément : il crée en traitant la matière comme le ferait un tailleur de pierre longiligne. Une densité et des couleurs inconnues jusque-là. Des formats hors des proportions communes : Le Concert, de 1955 justement, 350 x 600, musée Picasso, Antibes - une immense flaque rouge pour un désaccord final.

 

J'ai une tendresse infinie pour quelques toiles en particulier, réalisées dans un temps contraint, autant de balises sûres dans un océan de nullités plastiques contemporaines :

 

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                                                                                           Les Musiciens, souvenir de Sidney Bechet, 1953

 

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                                                                                                           Les Toits, 1952

 

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                                                                                                       Les Mouettes, 1955 

 

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                                                                                                           Agrigente, 1953

 

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                                                                                                               Sicile, 1954


 

À l'initiale, voyez ces Bateaux bourlingueurs qui tanguent dans le bleu vers un cap incertain, 1955.

 

Pour René Char (lisez la correspondance Char-Staël, éditions des Busclats, 2010), Nicolas de Staël est un allié substantiel.

 

Pour nous, c'est l'ami Nicolas par-delà le temps inhumain.

 

18 novembre 2010 4 18 /11 /novembre /2010 13:00

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Autrefois, l'un de mes plaisirs de grand enfant était de ramasser toutes sortes d'expressions naturelles sur mes chemins de promeneur solitaire ou à deux, autour de la maison et plus loin sur cette planète, dans la campagne, à la montagne et au bord des eaux les plus diverses.

 

J'affectionnais particulièrement les pierres (agate du Canada, jaspe de Bretagne, aventurine d'Inde), ces fragments de roches, leur pouvoir magnétique, les feuilles et certaines écorces d'arbres (Redwood de l'Oregon, bouleau de Sibérie, chêne de l'Allier, acacia provençal) que je gardais sans réel classement dans un herbier devenu au fil du temps doublon de ma propre mémoire.

 

Herbier, vocable magique ! Temps dans le temps. Une fois qui devient toujours...

 

Si je continue à prélever une pierre du hasard pour sa beauté intrinsèque et ensuite la contempler dans mon atelier, cela fait un moment que je laisse herbes, fleurs et feuilles vivre leur vie. Et je me dis qu'il faudrait aussi, tant qu'à faire, que je laisse les pierres en place puisque bien souvent elles abritent, même la plus légère d'entre elles, de fragiles organismes vivants.

 

J'ai une admiration pour les musiciens et les biologistes, surtout ceux qu'en langue anglaise on appelle field biologists, les biologistes de terrain, qui travaillent à augmenter notre savoir sur les êtres vivants et les relations sophistiquées qu'ils entretiennent entre eux et avec leur environnement.

 

Ces deux activités, la musique et la science de la vie, vont parfois de pair et donnent des humains beaux à voir.

 

J'admire aussi, parmi les biologistes ou ceux qui ont étudié la biologie de près, les médecins : comment de pas penser à des parents proches ?

 

Je suis les travaux des uns et des autres avec attention : leur pronostic sur la santé physique et psychique de la Terre n'est guère rassurant qui est présentement connu des consciences politiques éveillées. A force d'avoir cherché à maîtriser la Nature, comme on dit, l'humanité reçoit aujourd'hui le retour de manivelle en pleine...poire. La génétique et ses manipulations sont, à l'évidence, chaque jour davantage, une gène éthique. Ses formes amorphes, le monde est devenu, en certains lieux, passablement immonde. Le constat a été fait, inutile d'épiloguer.

 

Botanique, zoologie, sciences naturelles, dites-moi, d'où venons-nous, que sommes-nous ? où allons-nous ?

 

17 novembre 2010 3 17 /11 /novembre /2010 22:00

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Le français est langue royale, il n'y a que foutus baragouins tout autour...


 

Un jour, sur les bords de Loire, au milieu de mille choses, j'ai relevé cette déclaration épicée.

 

(Aïe !, je viens de citer Louis-Ferdinand Céline, je vais encore me faire bien voir. Je ne suis pas à un paradoxe près, c'est mon style).

 

Oui, bien sûr, Bagatelles pour un massacre (1937) est une détestation, son procès a été fait. Mais doit-on, au nom du politically correct décrété par les petits juges, s'interdire de lire Voyage au bout de la nuit (1932) ou Entretiens avec le professeur Y (1955) ? Flagellation toxique.

 

Sur l'une des poutres de mon atelier, ces vers de Jean de La Fontaine, transmis par mon grand-père, perfection limpide de la langue française et invitation à la vie voluptueuse (Les Amours de Psyché et de Cupidon, 1669) :

 

 

J'aime le jeu, l'amour, les livres, la musique,
La ville et la campagne, enfin tout ; il n'est rien
Qui ne me soit souverain bien,
Jusqu'au sombre plaisir d'un cœur mélancolique.  

 


 

Qu'ajouter ? Royal, non ?                    :

 

17 novembre 2010 3 17 /11 /novembre /2010 16:45

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Dans le train (un train à escales, pas un TGV) qui me mène de R.à P. où je suis invité à donner une conférence sur le mouvement transcendantaliste (long word and long-lasting ideas...), j'emporte un bagage léger où j'ai glissé ce compendium, Vertige de la liste (Umberto Eco, Flammarion, 2009), voyage dans le voyage.

 

J'aime les cabinets de curiosités et celui-ci, concocté par la main d'un maître, me ravit au suprême. Entre la sélection fine des meilleurs textes et les illustrations parlantes (Léonard de Vinci, Giuseppe Arcimboldo, Brueghel, Rubens...), il y en a pour tous les goûts ou, me ravisant, pour le goût, qualité par excellence qui concentre toutes les autres.

 

Quelle joie, ces énumérations sans fin ! Listes dans la Théogonie d'Hésiode, "Et, à Nérée, des filles enviées entre les déesses, au milieu de la mer inféconde, naquirent de Doris, Doris aux beaux cheveux, la fille d'Océan, le fleuve sans rival : Plôtô et Eucranté, Saô et Amphitrite, Eudôré et Thétis, Galéné et Glauké...", liste des anges d'Abdizuel à Zymeloz, liste des démons d'Aamon à Zepar, listes chez Dante (relisez le Paradis, 1472), liste des litaniae lauretanae, liste des périples d'Ulysse (Homère, encore et toujours), sans oublier les excès rabelaisiens - et me voici déjà à bon port !

 

L'éternité est retrouvée : le temps sonne silencieusement.

17 novembre 2010 3 17 /11 /novembre /2010 14:30

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Noël approche à grandes enjambées, vos amis aussi et vous ne savez, au fond, si ce sera la joie ou la corvée des retrouvailles.

 

Quel cadeau lui offrir au pied du beau sapin ?, se demande-t-on en épluchant le tombereau de catalogues qui remplace ces jours-ci le précédent dans la boîte aux lettres.

 

Ne cherchez plus, courez chez votre libraire adoré (on me dit qu'il existe encore d'authentiques libraires -pour combien de temps ?) et glissez dans un emballage de circonstance ce présent indémodable : Le Discours de la servitude volontaire rédigé en 1549 par Étienne de La Boétie, la grande amitié de Montaigne.

 

Et, en place des cantiques, entonnez, a cappella si c'est votre désir, ce refrain entraînant : « Les tyrans ne sont grands que parce que nous sommes à genoux. »

15 novembre 2010 1 15 /11 /novembre /2010 11:00

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Rue Fontaine, à Paris, à deux pas de la place Blanche, aura vécu jusqu'en 1966 l'un des esprits les plus puissants du XXe siècle, siècle dont on est loin, soit dit en passant, d'avoir épuisé, malgré les âneries débitées à longueur de temps, toutes les fulgurances.

 

Le surréalisme, mouvement intellectuel radical, et le dernier de cette ampleur (il faut chercher à la lanterne celui ou celle qui entend le sens et la portée de ces trois mots ensemble), a été caricaturé outrancièrement, c'est peu de le dire, ainsi que son créateur. Ne parlons même pas de l'aventure funeste qui a touché l'atelier d'André Breton en 2003...

 

Fasciné par les beautés multiformes du grand réel, André Breton aimait collecter, par exemple, des jouets pour enfants, jouets à vocation éducative, notamment les poupées Hopi et Zuñi.

 

Ces kachina, confectionnées à partir de matières et de matériaux divers : bois, tissus, ficelles, pierres, perles, plumes - aux couleurs vives -, symbolisations concrètes des forces animales et végétales, ont été trouvées, intuition, par l'auteur d'Arcane 17, au fin fond de l'Arizona, en 1943-44.

 

J'aime beaucoup ces poupées et il m'est arrivé d'en rapporter quelques-unes from overthere.

 

Pour André Breton qui relisait, pendant sa période américaine, l'œuvre de Charles Fourier, comme pour moi, ces figurines sont l'incarnation de l'idée d'harmonie universelle où se rejoignent le monde visible et le monde invisible.

 

Sortilège ?

14 novembre 2010 7 14 /11 /novembre /2010 10:45

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Parmi les trois livres sur l'île déserte : les Essais.

 

J'aime beaucoup ce fier portrait de Michel de Montaigne (eh oui, Montaigne a un prénom...) que l'on peut voir, mieux, admirer au musée Condé à Chantilly.

 

Dans la resserre en châtaignier de ma  bibliothèque - la forme de ma bibliothèque est ronde et n’a de rectiligne que ce qu’il faut à ma table et à mon siège et elle m’offre dans sa courbe, d’un seul regard, tous mes livres rangés sur cinq rayons tout autour (Essais, III,3) -, une reproduction de ce portrait me salue chaque fois que je franchis le seuil de ma librairie

 

Les jours de ciel gris-battant - j'invente cet adjectif au débotté, Montaigne aurait agi mêmement qui eut le courage de laisser tomber les charges publiques pour s'en aller lire les lignes du monde -, il m'arrive, et, en général, il m'arrive beaucoup de choses, de me replonger dans le bel éloge que Maurice Merleau-Ponty adresse à Montaigne (Lecture de Montaigne in Éloge de la philosophie, Gallimard, 1960).

 

Ce sont les derniers mots de cet essai des temps modernes que je préfère : Il a cherché et peut-être trouvé le secret d'être, dans le même temps, ironique et grave, libre et fidèle.

 

En compagnie de Montaigne, l'un des meilleurs esprits de toutes les époques et de tous les climats, l'île ne sera jamais plus déserte.

14 novembre 2010 7 14 /11 /novembre /2010 08:00

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Que voulez-vous que je vous dise ?

 

Ce à quoi nous assistons surpasse les jeux du cirque romain.

 

C'est dire...

 

Tout vaut tout et tout (dans le Spectacle) est rapporté au même plan (expression satisfaite du Plus Petit Dénominateur Commun).

 

Du bête au sot et du nul au néant : résumé,  G.F. dixit, de la situation.

 

Bon.

 

When in jeopardy, try to find a place of shelter and retreat !

 

De la bibliothèque nomade, j'emporte avec moi Ecce homo dans cette édition archi usée : aussitôt éclaircie.

 

Ah !, pas de meilleur viatique pour le jour qui s'ouvre...

14 novembre 2010 7 14 /11 /novembre /2010 07:00

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Dans la Venise du Nord, au tournant des années 1970, la vie underground grouillait d'expériences toutes plus fortes, et souvent plus naïves, les unes que les autres.

 

A posteriori, une seule motivation commune :  recréer de nouvelles bases existentielles.

 

Mais le mouvement Raster, par exemple, et d'autres sont maintenant bien loin de nous. In de aap gelogeerd zijn, reddeloos, radeloos, redeloos  !


 

Dès que je peux, je fais venir à mon oreille ce poème d'Apollinaire, Rosemonde (in Alcools, 1913) :


 

Longtemps au pied du perron de
La maison où entra la dame
Que j'avais suivie pendant deux
Bonnes heures à Amsterdam
Mes doigts jetèrent des baisers

Mais le canal était désert
Le quai aussi et nul ne vit
Comment mes baisers retrouvèrent
Celle à qui j'ai donné ma vie
Un jour pendant plus de deux heures

Je la surnommai Rosemonde
Voulant pouvoir me rappeler
Sa bouche fleurie en Hollande
Puis lentement je m'en allai
Pour quêter la Rose du Monde


 

 

et retourne déambuler le long du Herengracht en quête d'une fleur bleue. 

 

10 novembre 2010 3 10 /11 /novembre /2010 17:30

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Longtemps sur l'Alexanderplatz, j'ai cherché l'ours noir.

 

Je suis sûr maintenant que c'est un ours mythique. Mais j'ai toujours autant de plaisir à me promener dans les rues de Berlin, la présence d'Alfred Döblin et de tant d'autres dans mon sillage. 

 

Sur mon carnet - où que je sois, où que j'aille, j'ai toujours un ou plusieurs carnets 10 x 18 dans mes poches, Moleskine, Clairefontaine, merci chers amis papetiers !, et un feutre noir Japan made - j'inscris ces noms de lieux : Unter den Linden (sous les tilleuls), Humboldt-Universität, Bauhaus-Archiv, le Denkmal für die ermordeten Juden Europas, Postdamer Platz et cette Propststraße pour y faire, à l'occasion, quelques emplettes.

 

Aujourd'hui (quel mot magnifique de la langue française !), je pense à un grand allemand en particulier dont les textes ne cessent de m'accompagner. Il est le souvenir fait homme. Je suis heureux d'écrire son nom : Friedrich Hölderlin.