Libérer les hommes est l'objectif de l'art. Par conséquent, pour moi, l'art est la science de la libération.
Dans le train qui me porte ce matin à Bruxelles, j'ai eu envie de relire l'essai de Heiner Stachelhaus sur Joseph Beuys (éditions Abbeville, 1994).
Pendant plusieurs années, Stachelhaus a fréquenté cet individu énigmatique hors du commun, véritable mythe en chair et en os. Au-delà de certains aspects histrionesques bien connus (son aventure de trois jours à New York enfermé dans une cage avec un coyote en 1974), de page en page, ma sympathie pour l'homme et son aventure terrestre se confirme, tour à tour et tout à la fois plasticien, concepteur, pédagogue, expérimentateur et citoyen engagé dans les débats de son Allemagne natale en relation avec les grandes interrogations planétaires en matière d'écologie humaniste. Une fièvre à la Jacques Brel aussi dans le regard de celui qui a traversé le miroir des illusions sans se départir d'un humour bienveillant.
Je m'attarde sur quelques photos en noir et blanc. Sur l'une, on le voit nager dans un bras côtier de la mer du Nord, son éternel chapeau-gri-gri en feutre sur la tête : action dans les marais. Sur une autre, un porte-voix et deux yeux saillants lors d'un happening à Rome. Sur une autre encore, je me demande ce que ces deux-là font ensemble, Andy Warhol, costumé-cravaté, et Beuys en vareuse farniente, l'air passablement goguenard.
Jeune, Joseph Beuys se voyait berger. À coup sûr, il y a quelque chose chez lui du chaman des hauts-plateaux qui donne à son œuvre l'étendue d'un champ magnétique à la charge durable.