J’étais dans une sorte d’extase, par l’idée d’être à Florence, et le voisinage des grands hommes dont je venais de voir les tombeaux. Absorbé dans la contemplation de la beauté sublime, je la voyais de près, je la touchais pour ainsi dire. J’étais arrivé à ce point d’émotion où se rencontrent les sensations célestes données par les Beaux-Arts et les sentiments passionnés. En sortant de Santa Croce, j’avais un battement de cœur, la vie était épuisée chez moi, je marchais avec la crainte de tomber.
La contemplation active, dans un temps compressé, d'une surabondance d'œuvres artistiques peut, on le sait, provoquer des états seconds chez n'importe quel humain pas encore trop abruti : excitation de tout l'appareil nerveux, vertige vagal, voire perte temporaire d'identité...
Vous venez de le lire, Marie-Henri Beyle, Stendhal pour les happy few, en fit l'expérience soudaine qu'il a relatée dans son Rome, Naples et Florence, publié en 1826 (éditions Gallimard, 1987).
À l'attention des cinéphiles, je leur signale la prestation hallucinée d'Asia Argento dans le film réalisé en 1996 par son père, Daria Argento, intitulé Le Syndrome de Stendhal (La Sindrome di Stendhal).
Avant de regagner la mia camera que me prêtent des amis italiens - et son comodino de feuilles éparses à l'encre bleue -, je m'arrête quelques instants pour regarder le roulement sans fin de l'activité marchande sur la lagune et lire au soleil d'hiver. Si je trouve un banc de pierre un peu retiré de la chiennerie touristique. Je finis par en trouver un juste sous les cloches muettes d'une église. C'est par charité chrétienne que je mentionne ce film avec l'espoir secret que ceux qui estiment, bien à tort selon moi, que l'œuvre de Stendhal appartient désormais à un temps révolu, voient monter l'urgence de s'y rafraîchir un peu les neurones. Soyez curieux et relisez La Chartreuse de Parme, Lucien Leuwen ou Les Mémoires d'un touriste : autant d'approches introspectives qui sauront élargir votre horizon quotidien en raccourcissant les degrés vers l'intelligence sensible.
Ah !, mariage fortuné des sens et de la raison : un homme passionné voit toutes les perfections dans ce qu'il aime...