9 janvier 2011 7 09 /01 /janvier /2011 07:00

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Stockholm la blanche. Bleu acier au-dessus, ponts invisibles, bise hurlante qui emporte tout sur son passage.

 

Matinée dans les lettres. Icicles filled the long window with barbaric glass overnight. Une trentaine de lignes. Beau fixe. Cigare hollandais. Respighi, Pini di Roma, à la radio. Rechercherait-on la chaleur ?

 

L'endroit est propre, tranquille, confortable. Bouquet de tulipes rouges et jaunes -la maîtresse de la maison n'a pas oublié. Partitions éparses sur le piano, Haydn, Mozart et, curieusement, Scriabine.

 

Envie de sortir. Le jour ? La nuit ? Je marche dans les charmantes ruelles de Gamla stan, mon trench-coat trouvé il y a des années chez un Oxfam d'Oxford, un Oxfam des origines, me protège du froid. Mais je n'ai peut-être pas aussi froid que cela, après tout.

 

J'avance au hasard, au radar. Passe devant Riddarhuset, la maison de la noblesse suédoise, et entre un instant dans l'église de Riddarholmen. Plus loin, une affiche en noir et blanc attire mon regard. Ce cinéma local d'art et essai, grand comme un dé à coudre, joue Andreï Roublev, le film d'Andreï Tarkovsky, à la prochaine séance. Tu te souviens, Paris,1974, cet autre cinéma, rue de Rennes, la fine fleur des réalisateurs ? Oui, L'Arlequin !

 

Près de trois heures en terre russe au début du XVème siècle avec ce moine peintre. Fresque d'éternité. Souvenir dans le souvenir. Pourrait-on encore filmer de cette façon ?

 

Galerie Tretiakov, Moscou, dans le temps du dégel, là, sous tes yeux, les plus belles icônes de Saint André dit l'Iconographe pour toi seul...

 

À Stortorget, un verre d'aquavit, élixir du Suédois aux pas perdus que je suis, les yeux lointains.

 

Au temps des massacres et de la déchirure spirituelle, en silence et avec ruse, Andreï a cherché et trouvé sa séquence d'harmonie terrestre.

 

Aucun démenti, n'est-ce pas ? 

7 janvier 2011 5 07 /01 /janvier /2011 07:00

Faulkner

 

Jeune, je lisais le club des quatre : Melville et Hemingway, mais aussi Twain et Faulkner, plein soleil, au bord de la rivière. Mon imagination ne faisait pas un quart de tour : deux ou trois branchages échoués sur la berge suffisaient à bricoler un radeau d'aventure qui m'offrait une glissade au gré du courant jusqu'à point d'heure. La ligne d'horizon reculait sans fin. Tout périple a sa part de risque, n'est-ce pas ? Mais, Capitaine Achab en herbe et seul équipage à bord,  la perdition n'était pas au programme - les dieux et les déesses y veillaient.

 

Pour mon plus grand bonheur, ce quatuor décisif m'accompagne toujours.

 

Whisky de lune rue Servandoni, entre la place de l'Odéon et mon cher Luco, le jardin du Luxembourg. Le fantôme bien vivant de Faulkner est là, tout proche. Venu en 1925 visiter, parmi d'autres projets, les champs de bataille de la Somme, l'auteur de Sanctuaire (Sanctuary, 1931) a séjourné dans le Grand hôtel des Principautés unies. Présage, pour qui sait lire ?


Le plus étonnant, dans une vision rétrospective, est qu'il n'aura pas croisé Hemingway (imaginons le dialogue au sommet !) pourtant présent au même endroit dans ces heures de la coulisse, cardinales pour la littérature. Faulkner préférait sans doute la paix du vaste jardin et les haltes dans les églises du voisinage. J'entends encore la voix de Maurice-Edgar Coindreau, son grand traducteur français de l'anglais d'Amérique, parlant de l'ami Faulkner nativement at home dans le monde souverain de la Bible.

 

On se souvient du mot désarmant de candeur prononcé par William Faulkner en guise de réponse aux questions toujours plus pressantes des journalistes américains à l'époque de l'attribution du prix Nobel (1949) : I am not a writer -I'm just a farmer who likes to tell stories (Je ne suis pas un écrivain, je suis simplement un fermier qui aime raconter des histoires -défiance vis à vis du milieu, connaissance de la nature, de l'humaine nature, surtout, et dimension mythologique potentielle).

 

Outre les romans, le seigneur élégant de Rowan Oak, (belle demeure de planteur en blanc et vert), Oxford, Mississippi, en aura écrit des short stories : plus d'une centaine !  Il faut avoir vu de près sa modeste machine à écrire de marque Underwood (sous-bois...) sur la petite table de l'office, tagadak, tagadak, tagadak, le galop du langage - cheval mustang au souffle puissant qui cavalcade en liberté.

 

Dans la poche, cette vieille édition de The Sound and The Fury (1929). Et c'est de l'état de Virginie, pur entre les purs, se riant du bruit et de la fureur, que William Faulkner et ses personnages - loufoques, rusés, bavards, silencieux -, exilés d'un univers englouti, continuent à émettre des signaux intenses.

5 janvier 2011 3 05 /01 /janvier /2011 07:00

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L'élégance, la science, la violence chaude de la palette de Paul Cézanne sont venues à bout du gel compact de la Neva.

 

La nuit fait semblant de tomber, les lumières des balises clignotent autour du fort, la langue russe, des pas dans la neige à mon oreille, ciel bleu-gris sur ma chapka, je traverse, hasard ?, le Troïtsky Most, le pont de la Trinité (construit par des ingénieurs français comme me le rappelle mon vieux  Baedeker), intersigne parfait en cette saison, pas de doute, je suis à nouveau à Saint-Pétersbourg, Санкт-Петербург, de mon cœur.

 

Le palais de l'Ermitage est ici l'un des mes lieux préférés. À mes yeux, l'un des plus beaux musées vivants sur cette planète.


Van Gogh et Picasso s'y donnent la main. Paul Gauguin et Claude Monet dialoguent par delà le temps humain.


Vous ne savez pas quoi faire de vos heures ? Venez ! пойдём !

 

Transfiguration intégrale.

 

Un palais d'hiver qui flotte sur la Baltique ? Un mas provençal adossé à la Sainte-Victoire ?


Quant à moi, je prends les deux !

1 janvier 2011 6 01 /01 /janvier /2011 07:00

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Matin bleu-blanc limpide.

 

Mise au net dans l'atelier avant de m'envoler overthere.

 

Page froissée d'un vieux journal -je la garde pour que la bonne fasse les vitres avec pendant mon absence :

 

(...) Le peuple français s'est exprimé. Il a choisi de rompre avec les idées, les habitudes et les comportements du passé. Je veux réhabiliter le travail, l'autorité, la morale, le respect, le mérite. Je veux remettre à l'honneur la nation et l'identité nationale. Je veux rendre aux Français la fierté d'être Français. Je veux en finir avec la repentance qui est une forme de haine de soi, et la concurrence des mémoires qui nourrit la haine des autres.

Le peuple français a choisi le changement. Ce changement je le mettrai en oeuvre parce que c'est le mandat que j'ai reçu du peuple et parce que la France en a besoin. Mais je le ferai avec tous les Français. Je le ferai dans un esprit d'union et de fraternité. Je le ferai sans que personne n'ait le sentiment d'être exclu, d'être laissé pour compte. Je le ferai avec la volonté que chacun puisse trouver sa place dans notre République, que chacun s'y sente reconnu et respecté dans sa dignité de citoyen et dans sa dignité d'homme. Tous ceux que la vie a brisés, ceux que la vie a usés doivent savoir qu'ils ne seront pas abandonnés, qu'ils seront aidés, qu'ils seront secourus. Ceux qui ont le sentiment que quoi qu'ils fassent ils ne pourront pas s'en sortir doivent être sûrs qu'ils ne seront pas laissés de côté et qu'ils auront les mêmes chances que les autres. (...)

 

Voix d'autrefois. Voix d'aujourd'hui. On croit rêver... 

 

À la radio, dans le taxi :

 

- Tu as déjà vu un pont comme ça ?

- Non.

- Mais si ! Quand on a pris le RER pour arriver au musée. (Sinuosité hystérique de vieille fille)

- Dans cette oeuvre picturale (jargon), il faut comprendre (j'adore cette injonction...) que Claude Monet abaisse le champ visuel (abaisse ? non sans blague !, c'est trop beau !)

- Et tu as déjà vu des saules pleureurs comme ceux-là ?

- Non.

- Mais si, à côté de l'école dans la cité ! (si ce n'est pas de l'acharnement éducatif...)

- Madame, c'était la guerre, il a eu une maladie et après ses yeux sont devenus flous.

- C'est les meules...

 

Monet, s'échappant du salon philistin, aurait donc eu le regard meulé devant tant de beautés naturelles ? 

 

Poètes en temps de détresse, à quoi bon ? Et Hölderlin écrit aussitôt : Qui a pensé le plus profond aime le plus vivant et comprend la haute jeunesse.

 

Encore un peu plus de chômage. Qu'en pensent les chômeurs ?

 

Question d'angoisse compassée : faut-il quitter l'Euro ?

 

Publicité pour des appareils numériques dernier cri lessivée dans le brouhaha du trafic. Allô, Roubaix ? Ici Tourcoing...

 

Arrivée à l'aéroport : Beethoven, trio dit des Esprits

 

Éditorial du temps récapitulatif : l'âme du monde (ouh là, peut-être un peu plus de physique dans la métaphysique, non ?)

 

Salle d'embarquement. Animal Babel.

 

Cette année, petite ?, grande, moyenne ? va pour grande à mon endroit, de nouvelles espèces sont découvertes en Indonésie dont une étonnante chimère, en gris poudré des profondeurs sur la photo, proche parente des requins. Vive joie qui monte de l'enfance.

 

 

Ne pas chercher à s'expliquer. Écouter son bon plaisir.

 

 

Assez vu. La vision s'est rencontrée à tous les airs.

Assez eu. Rumeurs des villes, le soir, et au soleil, et toujours.

Assez connu. Les arrêts de la vie. - Ô Rumeurs et Visions !

Départ dans l'affection et le bruit neufs !

 

(Arthur Rimbaud, Départ, Illuminations, 1873)

 

 

 

Bonne année quand même chère petite planète ! 

30 décembre 2010 4 30 /12 /décembre /2010 07:00

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Une fois tous les deux ou trois mois, autour d'un verre, prendre le pouls du monde à l'écoute des médecins, généralistes, comme on dit, ou spécialistes, est, pour moi, source instructive et parfait régal. Surtout si le médecin est une femme, belle (oui !) et intelligente (oui, oui !). Au fil du temps, mon service personnel de documentation planétaire a pris des dimensions himalayesques -des informations de première main qui valent leur pesant d'or.

 

Pendant la conversation, l'humanité, la pauvre petite humanité, se retrouve vite nue. Le mot, terrible, juste et profond, de Kafka, très fatigué, à son médecin : Si vous ne me tuez pas, vous êtes un assassin.


Quand il m'arrive, à mon tour, de consulter, rarement, il est vrai, je ne peux pas m'empêcher de m'exclamer "Que de malades !" en poussant la porte de la salle d'attente. Ma forme d'humour est appréciée diversement...Oui, l'humanité des malades est bien patiente, surtout ces temps-ci où, en toute impunité, le faux scientifique vaut le vrai.

 

Immanquablement, je commence par demander au praticien s'il va bien. J'aurais pu faire un bon médecin, on me l'a soufflé.  Allure, précision, sûreté du diagnostic, British flegme - j'en suis un à ma façon, on m'appelle docteur à l'occasion...

 

Pour un écrivain, l'oreille est importante : un écrivain sans oreille est comme un boxeur sans main gauche. Eh oui, mon cher Ernest, et ton père connaissait la médecine. Fils de médecin, ce n'est pas indifférent. Les yeux aussi, et voir sa vue qui baisse redouble l'invitation au carpe diem.

 

Sur la table de travail dans cet autre domicile discret, une reproduction, époque classique, du voyage en rouge et bleu de Tobie en compagnie de l'archange Raphaël. C'est un archange bénéfique qui guérit la cécité.

 

Borges y pensait-il quand il dictait son Éloge de l'ombre ? 

28 décembre 2010 2 28 /12 /décembre /2010 07:00

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Jour de tempête sphérique au-dessus de l'île.

 

Je marche à l'Ouest dans un vent de valse sur les quais. Personne. Au Nord, Mull, au Sud, Rathlin et droit devant, de l'autre côté, Iglosuatiliratsuk, Labrador.

 

Au bout d'un moment, je trouve un abri dans le renfoncement d'un hangar à moitié démoli. Je suis un Eskimo sans la neige, cette idée me plaît bien. Une mouette blanche et noire vient me dire bonjour sur le granit du ponton et repart d'un battement d'aile arrière : pourrais-je en faire autant ? Il faudra que je m'entraîne devant la glace.

 

Avant de sortir, vu les conditions météorologiques, j'avais hésité sur le choix du liquide que je souhaitais verser dans ma flasque. J'entends soudain une voix lointaine : "Ah, oui, ah !, ah !, le pittoresque du carnet, du stylo et de l'alcool ! Parce qu'il s'agit bien d'alcool, ce fameux liquide, hein ?!"


Chère voix, je n'ai rien contre une pointe de pittoresque, mais sachez que l'essentiel est ailleurs. Toujours. Finalement, ce flacon, je l'ai rempli de whisky, un puissant whisky tourbé comme il en est produit par ici, dans ces distilleries qui, de près ou de loin, ont l'air de constructions vouées exclusivement à la villégiature. Tout aussi bien, j'aurais pu y verser de la vodka -cristal dedans, cristal dehors.

 

Uisge beatha. Whisky et vodka sont eaux de feu, et j'en ai grand besoin.

 

Pour me réchauffer, je bois une bonne rasade et me récite mentalement, mantra contre les fières rigueurs, ce chant de Robert Burns (au patronyme prédestiné...), A Red, Red Rose :

 

 

O my Luve's like a red, red rose
That’s newly sprung in June;
O my Luve's like the melodie
That’s sweetly play'd in tune.

As fair art thou, my bonnie lass,
So deep in luve am I :
And I will luve thee still, my dear,
Till a’ the seas gang dry:

Till a’ the seas gang dry, my dear,
And the rocks melt wi’ the sun :
I will luve thee still, my dear,
While the sands o’ life shall run.

And fare thee weel, my only Luve
And fare thee weel, a while!
And I will come again, my Luve,
Tho’ it were ten thousand mile.


 

 

Au moment de reprendre la route, une goutte de whisky tombe sur le sol gelé - mon diamant du jour offert à tous les dieux.

26 décembre 2010 7 26 /12 /décembre /2010 07:00

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Qu'il est doux de ne rien faire quand tout s'agite, vainement, dehors. Ou presque rien, en apparence. Avez-vous remarqué qu'un écrivain travaille sans arrêt, même lorsqu'il n'écrit pas ? Un peu à la manière des chats : amis de la science et de la volupté, ils cherchent le silence. Un certain silence, bien sûr. Baudelaire en sait quelque chose qui, lui-même farouche félin, est à l'écoute et de sa musique intérieure et des moindres bruissements du monde alentour. Un écrivain peut faire plusieurs choses simultanément, comme un chat, et, quelquefois, c'est l'apothéose : autant de cabrioles, galipettes, roulades et bondissements tigresques, si je peux dire, qui le font passer, dans le cirque social en miroir, ce continent (humain, trop humain) où rôde la folie, pour un parfait clown alors qu'il est le corps et la langue de la sagesse en acte. 

 

De tous les chats, il s'en trouve cinq qui ont mon affection sans borne. Le mien, à commencer par lui, mais j'en parlerai une autre fois. C'est, sans conteste, un pitre devant l'Eternel - à deux, nous faisons la paire.

 

Une planche de la bibliothèque dans l'atelier, deux grandes photos, deux écrivains et deux chats. Sur la première photo, on y voit Ernest Hemingway, un chat pris dans ses bras comme un jeune enfant, en haut du perron de la Finca Vigia, sa maison-refuge de San Francisco de Paula dans l'île de Cuba. Nous sommes en 1959. Dans un an, ce petit paradis aura disparu, englouti dans le bruit et la fureur. Les trois premiers chats d'une longue tribu à venir durant une quinzaine d'années se prénommaient Boise, Princessa et Good Will. Dans Islands in the Stream, Boise, par exemple, a very silent cat, a droit à la consécration.

 

Sur la deuxième photo, le décor est nettement moins luxuriant. Début 1964, à St. Petersburg, Floride, une log-cabin, une simple maison de bois pour Jack Kerouac, au bout de toutes ses routes. La critique l'éreinte une fois de plus, l'alcool le ravage et ses prises de position politique viennent à choquer la jeunesse américaine en ébullition.


Mais un chat dans les bras de celui qui, vêtu de cette chemise d'épais coton que portent les charpentiers, se demande, à travers l'objectif, ce qu'il peut bien faire là, sauf à montrer de la tendresse pour son ultime compagnon.

 

(Et si Hemingway et Kerouac s'étaient rencontrés ? Ou entr'aperçus ? On connait l'admiration de Ti Jean pour Ernest. Cinquante ans plus tard, ils savent, l'un comme l'autre, durer...)

 

Dans ce cœur de France, entre Sologne et Orléanais, Rroû était le chat indépendant de mœurs qui attisait la curiosité de Maurice Genevoix, et cet animal-là me fait aussitôt penser au chat de Kipling. Vous vous souvenez ? Le chat qui s'en va tout seul sur les chemins mouillés des bois sauvages...

 

Un (vrai) écrivain est comme un (vrai) chat : il donne à entendre et à voir des exemples de beauté exacte.

 

 

 

  • Ernest Hemingway, Islands in the Stream, Charles Scribner's Sons, 1970
  • Jack Kerouac, Mexico City Blues, Grove Press, 1959
  • Maurice Genevoix, Rroû, Flammarion, 1931
  • Rudyard Kipling, Just So Stories, The Cat That Walked by Himself, Doubleday, 1902
25 décembre 2010 6 25 /12 /décembre /2010 07:00

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(...)

La revanche des orages
A fait de la maison
Un tendre paysage
Pour les petits garçons
Qui brûlent d'impatience
Deux jours avant Noël
Et, sans aucune méfiance,
Acceptent tout, pêle-mêle :
La vie, la mort, les squares
Et les trains électriques,
Les larmes dans les gares,
Guignol et les coups de triques,
Les becs d'acétylène
Aux enfants assistés
Et le sourire d'Hélène
Par un beau soir d'été.

(...)

 

La Folle complainte, paroles et musique de Charles Trenet, 1945

 

23 décembre 2010 4 23 /12 /décembre /2010 07:00

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Oui, les Ramblas à Barcelone ont bien changé. Où sont tes marins lascars, tes bars interlopes, tes femmes de joie dans les venelles du plaisir explosé (Picasso saura s'en souvenir), ton temps d'éternité volé au temps du labeur ?

 

Du café Zurich, j'observe les vendeurs à la sauvette. Paquets de pacotille qui scintillent dans les yeux des touristes autocarisés - au bout de l'avenue, Christophe Colomb, gyrovague sur sa colonne, pointe résolument vers le large...

 

Et pourtant, de la clameur matinale montent des notes de guitare comme jamais. Pas du cante jondo, mais un dédoublement virtuose de la ligne mélodique que je reconnais aussitôt : I Cover the Waterfront sous les doigts de Joseph Antony Jacobi Passalaqua, autrement dit Joe Pass.

 

Avec élégance, le jour espagnol s'ouvre à nouveau.

21 décembre 2010 2 21 /12 /décembre /2010 07:00

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Freud s'échappe du vortex plombé de Vienne le 4 juin 1938 pour gagner l'Angleterre. Tout, désormais, dans la ville est bien propret. Le sucre et la crème pâtissière vont, pour un bon moment, l'emporter sur le sel sans fard de la vie.

 

Le pan de cette histoire est connu semble-t-il, mais l'ignorance grandissant, mieux vaut le rappeler rapidement. Après avoir vu ses œuvres brûlées en 1933 par les Nationaux-Socialistes, Freud se sait en grand danger. L'arrestation temporaire de sa fille Anna par la Gestapo va précipiter les évènements et pousser l'auteur de L'Avenir d'une illusion à l'exil. Grâce à l'intervention conjointe de William Bullitt, ambassadeur des États-Unis, et de Marie Bonaparte (ah !, chère Marie) qui, au passage, par les réseaux de la coulisse, aura versé une rançon de très précisément 4824 dollars aux Nazis, Freud, sa femme, sa fille Anna et leur dame de confiance Paula arrivent à Londres, au 20 Maresfield Gardens, dans le district de Camden Town, au nord de la capitale anglaise. Freud se fera un point d'honneur de rembourser cette somme, importante pour l'époque, rubis sur l'ongle, à la princesse Marie. Il lui reste une année à vivre.

 

Je bois un café à Vienne, à deux pas du 19 Berggaße, origine de beaucoup de choses. L'endroit ? L'envers de Londres ? S'il y a un texte de Freud que je relis souvent et dont je vante le sens des perspectives auprès des publics divers qui ont la gentillesse de m'écouter, c'est bien Malaise dans la civilisation (Das Unbehagen in der Kultur), rédigé en 1929. 

 

Le constat synthétique y est d'une noirceur totale, mais combien juste : la bêtise supplante l'intelligence, la méchanceté des hommes disqualifie toute tentative d'éducabilité, et seuls les poètes montrent la voie de la rédemption. Moins de 200 pages de feu écrites avec le sang de celui dont le patronyme signifie joie.

 

Nous étions en 1929. Crise dans la crise. Que dire à peine un siècle plus tard ?

 

Ite missa est.