30 mars 2011 3 30 /03 /mars /2011 06:00

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Ciel œuvré au rouge.

 

Il y a belle lurette que Wolfe Robe, l'un des chefs cheyennes dont le portrait en lame de couteau a été magistralement saisi pour les siècles par Frank Rinehart, a quitté la terre des pouvoirs sacrés, autrement dit Rapid City.

 

Oui, tout ici va très vite, pas de temps à perdre, vibrations en ellipses. Je gare la Dodge devant une librairie, une énorme librairie comme sortie des sables au beau milieu de l'échiquier urbain. Je ne vais pas rater cette oasis après 300 miles rectilignes sous un cagnard à faire pâlir d'envie mes amis grecs.

 

Du bon café italien et un choix remarquable d'ouvrages, mais oui, dans tous les domaines. Le présentoir à périodiques de dix yards de long offre même des exemplaires quasi instantanés de la presse...suisse en langue romane ! 

 

Et là, je tombe sur ce texte que j'envoie illico en guise de devinette transatlantique à un éditeur de mes connaissances :

 

My turn now. The story of one of my insanities.

For a long time I boasted that I was master of all possible landscapes and I thought the great figures of modern painting and poetry were laughable.

What I liked were: absurd paintings, pictures over doorways, stage sets, carnival backdrops, billboards, bright-colored prints; old-fashioned literature, church Latin, erotic books full of misspellings, the kind of novels our grandmothers read, fairy tales, little children's books, old operas, silly old songs, the nave rhythms of country rimes.

I dreamed of crusades, voyages of discovery that nobody had heard of, republics without histories, religious wars stamped out, revolutions in morals, movements of races and continents: I used to believe in every kind of magic.

 

J'ajoute ce poème :

 

I only find within my bones
A taste for eating earth and stones.
When I feed, I feed on air,
Rocks and coals and iron ore.

My hunger, turn. Hunger, feed,
A field of bran.
Gather as you can the bright
Poison weed.

Eat the rocks a beggar breaks,
The stones of ancient churches' walls;
Pebbles, children of the flood,
Loaves left lying in the mud.

 

Un moment passé à observer des groupes d'étudiants japonais et sud-américains en plein travail universitaire. L'espagnol comme vernacular tongue. On trouve partout maintenant le concept incarné du lounge bookstore : un vaste espace privé-public, des tables rondes, des fauteuils en cuir, des prises électriques à discrétion pour toutes sortes de moyens de communication, et une paix royale.

 

L'éditeur finit par me répondre qu'il ne voit pas, qu'il ne connaît pas la réponse. Ah !, ce vocabulaire...Un poète contestataire new-yorkais contemporain, peut-être ?

 

C'était une blague, mais, au fond, tout est dit.

 

Je monte dans la voiture et file vers le Nord.

27 mars 2011 7 27 /03 /mars /2011 06:00

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Gris acier. Gare silencieuse, immense hangar humain hagard. La France du très-bas.

 

Je vois la misère redoublée alentour et ça n'a pas l'air de gêner les gens. C'est donc qu'ils sont d'accord, ensemble, avec ce qui se passe sous leurs yeux, dans leurs oreilles, leurs trous de nez.

 

Et pourtant...

 

Invité sur les planches par une troupe provinciale de comédiens, j'assiste activement aux répétitions de La Tempête (The Tempest, 1611 - année ultime de la traduction autorisée de la Bible en terre anglaise), sans doute la comédie shakespearienne que j'aime relire parmi toutes. Vents fous, mer démontée, rochers grotesques, arbres bruissants, harmonie chaotique, chaos harmonieux, utopie atopique. Oui, plus que l'intrigue (même avec l'immense William, plus ça change, plus c'est, vu de Sirius, la même dramaturgie existentielle), j'écoute davantage les remous naturels.

 

Les comédiens mobiles dans le texte ne sont pas les cadets mais ceux qui ont la cinquantaine prononcée. Comme quoi. Expériences de la vie. Combats d'autrefois. Volonté vivace que ça change un peu. Caliban est vraiment un monstre infréquentable, Prospéro, un magicien à livre ouvert et Ariel, particulièrement aérien. Quant à Miranda à la voix détimbrée,  sa rousseur la sauve. Ces individus veulent bien faire à leur rythme, artisans d'un soir pour un maigre public qui sait de quoi il retourne.

 

Patatras : les corps ne tombent plus. Se montrent au contraire avec vigueur dans une langue de vérité. Pour une fois, les humains - comédiens glissés dans leurs personnages et l'inverse -, sortent des tréfonds.

 

Ils ont l'air de l'aimer, leur île. N'ont plus envie de la quitter. Mais c'est qu'ils vont semer le désordre, la pagaille, l'anarchie ! Ce n'est pas ce qu'a écrit l'auteur ! Voici ce qui a toutes les chances de se produire quand une œuvre de Shakespeare rencontre la réalité de la dure politique.

 

J'ai dû m'endormir un instant - it was merely a daydream, we are such stuff as dreams are made on, and our little life is rounded with a sleep, mes notes sont assez confuses. Où est le fil rouge ? Pas de doute, je viens d'écrire Shakespeare : le petit chat se meure (délicieuse allusion ambiguë...), mais surtout,  secouez-moi cette lance ! Exit les faux-semblants !

 

Fronde, révolte, refus : à l'évidence, ce sont des émeutiers. Pas de doute, c'est bien qu'il y a quelque chose de pourri dans le royaume, pardon, l'État.

 

C'est dit, l'heure de la tempête a sonné ! 

24 mars 2011 4 24 /03 /mars /2011 07:00

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Berlin tuxedo.


 

Dans l'agitation nocturne sur la Postdamer Platz, trois accords de Dream A Little Dream of Me flottent dans l'air bleuté.

 

Cher Max Raabe, votre Palast Orchester est un enchantement de tous les instants.

 

Je ne résiste pas au plaisir de citer les paroles de Meiner kleiner grüner Kaktus -votre interprétation, après celle des Comedian Harmonists, est d'une drôlerie magistrale :

 

 

Blumen im Garten, so zwanzig Arten,

von Rosen, Tulpen und Narzissen,
leisten sich heute die kleinsten Leute,
das will ich alles gar nicht wissen.

Mein kleiner grüner Kaktus steht draußen am Balkon,
hollari, hollari, hollaro.
Was brauch ich rote Rosen, was brauch ich roten Mohn,
hollari, hollari, hollaro.
Und wenn ein Bösewicht was Ungezognes spricht,
dann hol ich meinen Kaktus und der sticht, sticht, sticht.
Mein kleiner grüner Kaktus steht draußen am Balkon,
hollari, hollari, hollaro.

Man find gewöhnlich,
den Frauen ähnlich
die Blumen, die sie gerne tragen.
Doch ich sag täglich,
das ist nicht möglich,
was soll'n die Leut sonst von mir sagen.

Mein kleiner grüner Kaktus steht draußen am Balkon,
hollari, hollari, hollaro.  

Heute um viere klopft's an die Türe.
Nanu, Besuch so früh am Tage?
Es war Herr Krause vom Nachbarhause,
der sagt: "Verzeih'n sie, wenn ich frage,"
sie hab'n doch einen Kaktus, da draußen am Balkon,
der fiel soeben runter, was halten sie davon?
Er fiel mir auf's Gesicht, ob's glauben oder nicht,
nun weiß ich, daß ihr kleiner grüner Kaktus sticht.
Bewahr'n sie ihren Kaktus gefälligst anderswo,
hollari, hollari, hollaro.

 

 

Ah, ironie joyeuse, c'est ce soir ou jamais !

 

 

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(Max Raabe & Palast Orchester, Heute Nacht oder nie, SPV Recordings, 2008) 

 

20 mars 2011 7 20 /03 /mars /2011 07:00

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Comme l'air est doux, je décide de prolonger mon séjour dans la baie d'Audierne et de prendre la première navette pour revoir, le temps d'une journée, l'Île de Sein, me plonger dans mes souvenirs tout en songeant aux escapades inspirées d'André Breton.

 

Après un petit-déjeuner de pain au beurre salé et de café dont les reflets granitiques d'un noir profond  feraient rêver Pierre Soulages, je ficelle mon fidèle rucksack. Je laisse entendre à l'hôtelière qu'après tout, je pourrais rentrer, qui sait ?, le lendemain, puis descends d'un pas tranquille la route sinueuse vers le port discrètement embrumé. En chemin, je tombe sur S.B., une connaissance amicale, médecin à Quimper-la-grande-ville, plutôt bon peintre à ses heures. Il se rend, me dit-il, à Sein dans la maison de sa grand-mère (elle a peut-être servi une bolée de cidre à Breton et Perret en 1949...), empruntant le même bateau avec sa femme, son fils et sa fille, autrement dit, sa petite famille. Ni une ni deux, l'invitation est lancée de joindre nos projets. En général, je décline ce genre de proposition, je n'aime pas être ensemble. Mais je me dis qu'un puissant hasard est à l'œuvre en cette matinée de mars. Je reste donc dans l'île jusqu'au surlendemain -un léger compromis, un de temps à autre. J'imagine la tête de l'hôtelière lorsqu'elle s'avisera que la pointe du Raz, les îles en essaim et la mer celtique ne sont pas encore assez à l'Ouest pour ma constitution.

 

Ce qu'il y a de bien avec ce toubib, c'est qu'il n'est pas trop bavard. Non pas un taiseux, non, un homme qui lâchera, déformation professionnelle oblige, une phrase-diagnostic toutes les heures, ce qui est amplement suffisant. Très vite nous passons la baie mondialement connue pour ses courants redoutables et nous voici quasi à quai. Flanquée sur la gauche d'un hortensia pourpre, la Louisette - Louison, Louisette, liard, Ancien Régime -, bâtisse de grosses pierres sombres, nous accueille dans une odeur de sel et le grincement de ses gonds anoblis par les ans. Ah!, famille, famille...Bon, juré, I shall remain utterly well-mannered...

 

- Bienvenue à la maison ! 

- Montrez-moi mes quartiers, je me débrouillerai.

- Je vous offre la chambre du haut avec la vue sur le phare.

- Parfait. Ne vous occupez pas de moi, je pose mon sac et sors faire un tour.

 

Et comme je suis gentil, j'ajoute :

 

- Si vous avez besoin de quelque chose à l'épicerie...

 

Je pars presto dans le vent en direction de la zone la moins peuplée ou la plus dépeuplée (pessi-optimisme) de la lande insulaire.

 

Ils savent qu'un écrivain a ses habitudes et c'est très bien comme ça.

 

J'ai oublié l'épicerie et marché longtemps dans une sorte de grésil frais pour atteindre le phare.

 

Là-haut (le gardien qui m'a reconnu a lancé un retentissant : Vous êtes ici chez  vous ! à faire s'écrouler l'édifice), je suis resté l'après-midi entier à observer le mouvement de l'eau élémentaire sur la roche.

 

(...)

 

Dans la nuit maintenant profonde, le rayon salvateur de la côte jouant du morse sur  la vitre, un peu ivre, je note, j'essaie de noter, les variations du jour :

 

De retour à la Louisette, une agréable surprise m'attendait. S.B. avait eu la bonne idée d'emporter plusieurs DVD (Digital Versatile Disk - versatile, surtout...) et me proposait de choisir le film que nous regarderions après le dîner. J'ai trouvé que la grand'maternelle casa disposait du dernier confort électronique et qu'avec le mot dîner j'allais avoir droit à l'argenterie au grand complet ainsi qu'au saint-frusquin des couverts les plus biscornus imaginés par un esprit en proie au délire. Subitement, je me suis souvenu de l'épicerie et, tel un génie jaïn, en suis revenu les bras chargés. Dans le lot, deux bouteilles de Fitou médaille d'or en perdition de ce côté-ci de l'univers.

 

Le dîner ? Un festin finistérien aux bougies : pain local (bara en langue bretonne), terrine de saumon, bœuf braisé sorti de la cuisse de Jupiter et crumble highly British. Le vin (gwin, j'entends vinus), ouf !, avait trouvé son mirifique emploi.

 

De la pile, entre l'inévitable Indiana Jones et une comédie bien de chez nous, c'est-à-dire bien de chez eux, j'avais extrait une pépite : Dersou Ouzala réalisé en 1975 par Akira Kurosawa, un de mes films préférés. Nature sauvage, amitié durable, circonstances contrastées. Grand hymne écologique.

 

- Ce sont les enfants qui en ont entendu parler au lycée.

 

La fille est en terminale, le garçon en première. Je me disais à presque voix haute : dans la dévastation tous azimuts de l'École, une singulière éclaircie.

 

Et c'est dans un raccourci métaphorique que, pendant quelques heures, le feu crépitant dans la cheminée ancestrale et sur l'écran, l'Orient de l'Oussouri a rejoint cet Occident du bout du monde.

19 mars 2011 6 19 /03 /mars /2011 07:00

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Baie d'Audierne.

 

Vent d'Ouest, sable blanc, nuages d'oiseaux.

 

Parmi les notes prises dans le musée nordique, ces poèmes en prose concentrée :

 

Éclaircie après la chute de neige -le pont Nihonbashi

Ueno Yamashida

Jardins d'un temple à Nippori

La montée de Suwa à Nippori

Vue nord depuis le mont Asakayama

Le nouveau Fuji à Meguro

Le Fuji original à Meguro

Prunelaie à Kamada

L'Île Yanagishima

Chalands sur le canal Yotsuki dōri

La forêt du sanctuaire Suijin et Massaki au bord de la Sumidagawa

Premières lueurs de l'aube à Yoshiwara

La cabane de Bashō et la colline aux camélias au bord de l'aqueduc de Sekiguchi

Fleurs de cerisiers au bord de la Tamagawa

Vue du pavillon Seidō et de la rivière Kandagawa depuis le pont Shōheibashi

Averse soudaine sur le pont Shin -Ōhashi et Atake

Le bac près de Sakasai

Pins disséminés sur la rive de Tonegawa

Le pin de lune à Ueno

La maison de thé "Au grand-père" à Meguro

Langue de terre près de Shinagawa

Contemplation de la lune

La rivière Takinogawa à Ōji

Le pont-tambour de Meguro et la colline du soleil couchant

Le pin "pour accrocher la robe du moine" au bord du lac Senzoku no ike

 

et les fascinants Feux de renards dans la nuit du Nouvel An sous l'enoki près d'Ōji

(en japonais, l'enoki est le micocoulier aux branches vigoureuses).

 

Il me revient que c'est Mary McNeill, devenue entretemps Madame Fenollosa, la femme du grand Ernest, qui avait écrit l'une des premières biographies sensibles consacrées à Hiroshige. L'exemplaire, rare, dans cette librairie du côté du British Museum, il y a des années. Son titre ? Mais oui, Hiroshige, l'artiste du brouillard, de la neige et de la pluie (Hiroshige, the artist of mist, snow and rain : An essay, Vickery, Atkins & Torrey, San Francisco, 1901).

 

Ces estampes dans ma tête, je marche vers le soleil rouge de l'hiver... 

18 mars 2011 5 18 /03 /mars /2011 07:00

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Place de la Sorbonne déserte dans le froid piquant.

 

Un, puis deux, puis trois moineaux.

 

Le désert est soudain colonisé.

 

Colonie pénitentiaire ?

 

Associations d'idées. Pense à Ossip M.

 

Tu es venu faire une partie de tes études ici, vers 1907.

 

La Belle Époque, disait-on.

 

Tu ne savais pas encore que le pire t'attendait là-bas.

 

S'attendre au pire, toujours.

 

Ainsi, il reste des beaux jours.

 

Tu as été exilé à Voronej, car tu as dénoncé le plomb de la puissance tyrannique.

 

Oui, la poésie, c'est la guerre.

 

Voronej, nom de rêve.

 

Et comme ça ne suffisait pas, tu as été déporté à Vladivostok.

 

Plus à l'Est, tu meurs.

 

Et c'est ce qui est arrivé : ton corps a été jeté dans une fosse commune.

 

Nadejda, ta femme, te survit.

 

Elle apprend tes poèmes par cœur pour qu'ils voyagent en se moquant des frontières.

 

De toi dans la bibliothèque universelle, l'Entretien sur Dante et Le Bruit du temps.

 

Les oiseaux sont partis, ta parole demeure.

 

 

(Ossip Mandelstam, Entretien sur Dante, L'Âge d'homme, 2000 et Le Bruit du temps, préface de Nikita Struve, Christian Bourgois, 2006)

16 mars 2011 3 16 /03 /mars /2011 07:00

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La pluie d'hiver est parvenue à s'insinuer dans le musée Van Gogh pour ajouter de l'eau aux estampes détrempées.

 

Amsterdam au Nord, Venezia au Sud : mes deux polarités aquatiques, mes deux mondes flottants vers lesquels je retourne en joie aussi souvent que possible. Aujourd'hui, c'est le Dam, l'edam et la dame. Le jeu de mots est idiot, mais vu les conditions atmosphériques, je me remonte le moral comme je peux, et de toute façon, j'ai envie d'être un idiot à la manière de Bashō. Nous serons donc entraînés dans une idiotie tourbillonnante, la dame et moi.

 

Sur le pont, une japonaiserie de Vincent (1887), je suis ce flâneur japonais  pris dans un déluge vertical. Et sur cet autre pont, trente années plus tôt, c'est encore moi - je suis éternel :

 

 

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Vous ne me voyez pas ? Regardez bien. Mon ami Hiroshige (歌川広重, Utagawa Hiroshige, 1797-1858) m'a reconnu et a peint le passage...

15 mars 2011 2 15 /03 /mars /2011 07:00

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Mars vrombissant.

 

Souvent, je me sens de plus en plus comme Freud. Quand j'apparais, j'ai l'impression que, de la tête aux pieds, je suis couvert de peinture fraîche.

 

Ils viennent vous embêter, vous empêcher, vous ennuyer. Manger votre temps, vous déranger, vous mettre des bâtons dans les roues, vous faire la morale et encore la morale. Vous assommer. Vous fatiguer, vous tanner, vous barber. Vous importuner, les indiscrets. Colporter des ragots, des rumeurs, des racontars à votre endroit. Et vous déloger aussi. Vous embellir pour vous noircir et l'inverse. Vous rebuter. Siffler dans vos oreilles. Vous empoisonner. Perquisitionner vos moindres recoins. Vous déstabiliser. Vous inquiéter. Vous contredire exprès.

 

En somme, vous punir d'exister.

 

Tous de gros jaloux nourris au ressentiment depuis leur enfance ratée. Les chiens peuvent bien aboyer, la caravane nomade, elle, continue de passer.

 

All this is immaterial to me, semble dire, bon pied bon œil, le bel Indifférent...

12 mars 2011 6 12 /03 /mars /2011 07:00

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(...)

 

Par conséquent, puisque chaque individu tâche, le plus qu’il peut, d’employer son capital à faire valoir l’industrie nationale, et de diriger cette industrie de manière à lui faire produire la plus grande valeur possible, chaque individu travaille nécessairement à rendre aussi grand que possible le revenu annuel de la société. À la vérité, son intention, en général, n’est pas en cela de servir l’intérêt public, et il ne sait même pas jusqu’à quel point il peut être utile à la société. En préférant le succès de l’industrie nationale à celui de l’industrie étrangère, il ne pense qu’à se donner personnellement une plus grande sûreté ; et en dirigeant cette industrie de manière à ce que son produit ait le plus de valeur possible, il ne pense qu’à son propre gain ; en cela, comme dans beaucoup d’autres cas, il est conduit par une main invisible à remplir une fin qui n’entre nullement dans ses intentions ; et ce n’est pas toujours ce qu’il y a de plus mal pour la société, que cette fin n’entre pour rien dans ses intentions. Tout en ne cherchant que son intérêt personnel, il travaille souvent d’une manière bien plus efficace pour l’intérêt de la société, que s’il avait réellement pour but d’y travailler. je n'ai jamais vu que ceux qui aspiraient, dans leurs entreprises de commerce, à travailler pour le bien général, aient fait beaucoup de bon­nes choses.

 

(By preferring the support of domestic to that of foreign industry, he intends only his own security; and by directing that industry in such a manner as its produce may be of the greatest value, he intends only his own gain, and he is in this, as in many other cases, led by an invisible hand to promote an end which was no part of his intention. Nor is it always the worse for the society that it was no part of it. By pursuing his own interest he frequently promotes that of the society more effectually than when he really intends to promote it. I have never known much good done by those who affected to trade for the public good. It is an affectation, indeed, not very common among merchants, and very few words need be employed in dissuading them from it.)

 

Adam Smith, An Inquiry into the Nature and Causes of the Wealth of Nations, 1776 / La Richesse des nations, traduction Germain Garnier, 1881.

9 mars 2011 3 09 /03 /mars /2011 07:00

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(...)

 

Nous aurons peu de questions à faire sur cette première lettre de tous les alphabets. Cet article de l’Encyclopédie, plus nécessaire qu’on ne croirait, est de César Dumarsais, qui n’était bon grammairien que parce qu’il avait dans l’esprit une dialectique très profonde et très nette. La vraie philosophie tient à tout, excepté à la fortune. Ce sage, qui était pauvre et dont l’Éloge se trouve à la tête du septième volume de l’Encyclopédie, fut persécuté par l’auteur de Marie à la Coque, qui était riche; et sans les générosités du comte de Lauraguais, il serait mort dans la plus extrême misère. Saisissons cette occasion de dire que jamais la nation française ne s’est plus honorée que de nos jours par ces actions de véritable grandeur faites sans ostentation. Nous avons vu plus d’un ministre d’État encourager les talents dans l’indigence et demander le secret. Colbert les récompensait, mais avec l’argent de l’État, Fouquet avec celui de la déprédation. Ceux dont je parle ont donné de leur propre bien; et par là ils sont au-dessus de Fouquet, autant que par leur naissance, leurs dignités et leur génie. Comme nous ne les nommons point, ils ne doivent pas se fâcher. Que le lecteur pardonne cette digression qui commence notre ouvrage. Elle  vaut mieux que ce que nous dirons sur la lettre A, qui a été si bien traitée par feu M. Dumarsais, et par ceux qui ont joint leur travail au sien. Nous ne parlerons point des autres lettres, et nous renvoyons à l’Encyclopédie, qui dit tout ce qu’il faut sur cette matière.

 

On commence à substituer la lettre a à la lettre o dans français, française, anglais, anglaise, et dans tous les imparfaits, comme il employait, il octroyait, il ploierait, etc.; la raison n’en est-elle pas évidente ? ne faut-il pas écrire comme on parle autant qu’on le peut ? n’est-ce pas une contradiction d’écrire oi et de prononcer ai ?

 

Nous disions autrefois je croyois, j’octroyois, j’employois, je ployois : lorsque enfin on adoucit ces sons barbares, on ne songea point à réformer les caractères, et le langage démentit continuellement l’écriture.

 

(Voltaire, Dictionnaire philosophique, 1764)