Qu'il est doux de ne rien faire quand tout s'agite, vainement, dehors. Ou presque rien, en apparence. Avez-vous remarqué qu'un écrivain travaille sans arrêt, même lorsqu'il n'écrit pas ? Un peu à la manière des chats : amis de la science et de la volupté, ils cherchent le silence. Un certain silence, bien sûr. Baudelaire en sait quelque chose qui, lui-même farouche félin, est à l'écoute et de sa musique intérieure et des moindres bruissements du monde alentour. Un écrivain peut faire plusieurs choses simultanément, comme un chat, et, quelquefois, c'est l'apothéose : autant de cabrioles, galipettes, roulades et bondissements tigresques, si je peux dire, qui le font passer, dans le cirque social en miroir, ce continent (humain, trop humain) où rôde la folie, pour un parfait clown alors qu'il est le corps et la langue de la sagesse en acte.
De tous les chats, il s'en trouve cinq qui ont mon affection sans borne. Le mien, à commencer par lui, mais j'en parlerai une autre fois. C'est, sans conteste, un pitre devant l'Eternel - à deux, nous faisons la paire.
Une planche de la bibliothèque dans l'atelier, deux grandes photos, deux écrivains et deux chats. Sur la première photo, on y voit Ernest Hemingway, un chat pris dans ses bras comme un jeune enfant, en haut du perron de la Finca Vigia, sa maison-refuge de San Francisco de Paula dans l'île de Cuba. Nous sommes en 1959. Dans un an, ce petit paradis aura disparu, englouti dans le bruit et la fureur. Les trois premiers chats d'une longue tribu à venir durant une quinzaine d'années se prénommaient Boise, Princessa et Good Will. Dans Islands in the Stream, Boise, par exemple, a very silent cat, a droit à la consécration.
Sur la deuxième photo, le décor est nettement moins luxuriant. Début 1964, à St. Petersburg, Floride, une log-cabin, une simple maison de bois pour Jack Kerouac, au bout de toutes ses routes. La critique l'éreinte une fois de plus, l'alcool le ravage et ses prises de position politique viennent à choquer la jeunesse américaine en ébullition.
Mais un chat dans les bras de celui qui, vêtu de cette chemise d'épais coton que portent les charpentiers, se demande, à travers l'objectif, ce qu'il peut bien faire là, sauf à montrer de la tendresse pour son ultime compagnon.
(Et si Hemingway et Kerouac s'étaient rencontrés ? Ou entr'aperçus ? On connait l'admiration de Ti Jean pour Ernest. Cinquante ans plus tard, ils savent, l'un comme l'autre, durer...)
Dans ce cœur de France, entre Sologne et Orléanais, Rroû était le chat indépendant de mœurs qui attisait la curiosité de Maurice Genevoix, et cet animal-là me fait aussitôt penser au chat de Kipling. Vous vous souvenez ? Le chat qui s'en va tout seul sur les chemins mouillés des bois sauvages...
Un (vrai) écrivain est comme un (vrai) chat : il donne à entendre et à voir des exemples de beauté exacte.
- Ernest Hemingway, Islands in the Stream, Charles Scribner's Sons, 1970
- Jack Kerouac, Mexico City Blues, Grove Press, 1959
- Maurice Genevoix, Rroû, Flammarion, 1931
- Rudyard Kipling, Just So Stories, The Cat That Walked by Himself, Doubleday, 1902