Bonheur exclusif.
Écarté du brouhaha dans la pénombre de ma chambre que trois roses rouges fleurissent, personne ne vient me dévisager, me déranger, m'embêter.
Le subtil labyrinthe que forment en bleu pastel l'été, en bleu soutenu l'hiver, les canaux, les ponts, les coursives crée la plus sûre des habitations abritées. Le lieu et la formule, une fois pour toujours. Cette raison, nulle justification.
Fare bacari ! Jouis de ce qui t'advient. Le jour levé de fraîches couleurs, j'irai me perdre parmi les étals du marché aux poissons vers San Polo, goûtant les pétales de sauvages senteurs qui montent invariablement des bassinoires que disposent les manœuvriers musicaux le long des sestieri.
Je me prépare à me disperser dans l'ambiance :
« Un marché, c'est ce qui se rapproche le plus d'un bon musée comme le Prado ou comme l'Accademia aujourd'hui, pensa le colonel. Il prit un raccourci et se trouva dans le marché aux poissons. [...] Il y avait beaucoup d'anguilles vivantes et ayant perdu confiance en leur vertu d'anguilles, désormais. Il y avait de beaux bouquets, de quoi faire un scampi brochetto, embrochés et grillés sur un instrument à l'allure de rapière dont on aurait pu se servir à Brooklyn pour casser la glace. Il y avait des crevettes de taille moyenne, grises et opalescentes, attendant elles aussi leur tour d'eau bouillante et d'immortalité et le moment où leurs carcasses vides flotteraient doucement sur le Grand Canal, s'en allant vers la mer avec le jusant. »
Vitales sensations raflées incognito...