6 février 2019 3 06 /02 /février /2019 07:00
Voyage-voyance

Avril en hiver.

 

Parvenu à Saint-Jean-du-Gard sous un franc soleil, j'ai repensé au pèlerinage de Stevenson, traversant les Cévennes, ses bosses boisées, ses creux éreintants, ses collines plissées, ses margerides courues de lièvres et de sangliers. Car il s'agit bien de cela pour Robert Louis : un voyage expérimental au bout de lui-même afin d'éclairer ses propres ténèbres, susciter une vision, ouvrir des perspectives. Qu'on ne se contente pas d'une approche superficielle ainsi qu'en classe écolière de ses aventures cévenoles, contées signe après signe au grain du papier, selon le temps, selon le bon vouloir de Modestine, selon les méandres de la terre et des pierres.

 

Dans mon carnet, je retrouve ce témoignage :

 

« Le romancier accueilli peut prendre son roman par le haut et le reprendre par le bas, peiner en vain des jours sur son livre et n’écrire que jusqu’à ce qu’il se fourvoie. Il n’en est pas ainsi du débutant. La nature humaine a certains droits. L’instinct de conservation empêche qu’aucun homme qui n’est pas soutenu par la conscience d’une victoire antérieure, endure les misères d’un travail littéraire sans succès au-delà d’une période qui se mesure en semaines. Il faut qu’il y ait quelque chose qui l’alimente d’espérance. Le débutant doit avoir un souffle. Une veine de chance doit l’encourager ; il doit être dans une de ces heures où les mots viennent et les phrases se balancent d’elles-mêmes, même au début. Et même quand il s’est mis en train, quels regards terrifiés il jette devant lui, jusqu’à ce que le livre soit terminé ! Car aussi longtemps que la brise souffle sans varier, que la veine continue à courir, aussi longtemps peut-il conserver ses mêmes qualités de style, aussi longtemps ses marionnettes seront toujours vivantes, toujours fortes, toujours vigoureuses !

 

Je me rappelle que j’avais l’habitude de regarder, dans ces jours-là, tout roman en trois volumes avec une sorte de vénération, comme une prouesse – non pas, s’entend, de littérature –, mais au moins d’endurance physique et morale pour laquelle il fallait le courage d’Ajax. »

 

Avec Voyage avec un âne dans les Cévennes, il semble bien que Stevenson, brûlant chercheur d'or, se soit, pas à pas, mis en tête d'ouvrir un passage hors des belles lettres...

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