15 février 2017 3 15 /02 /février /2017 07:00

File:Boken "Emile" av Rousseau - Skoklosters slott - 86175.tif

 

Le symposium n'en finissait plus, et personne n'était d'accord sur les avantages et les inconvénients des méthodes pédagogiques présentées devant le parterre éclectique.

 

Heureusement, il y avait un jardin. Sur un banc, j'ai lu :

 

« L’attention générale est en ce moment très occupée de notre enseignement public : c’est un bon signe, La pire indifférence est celle d’un peuple qui ne s’inquiète pas de la manière dont on élève ses enfants. Quand il délaisse ce grand intérêt, c’est qu’évidemment rien ne le touche plus, qu’il n’a plus de souci de l’avenir, et qu’il s’abandonne lui-même. Ce mouvement auquel nous assistons, et dont il faut s’applaudir, est en grande partie l’ouvrage du ministre actuel de l’instruction publique. Il est certain que ses essais de réformes ont communiqué aux esprits une agitation salutaire, et qu’il a posé des questions que, malgré nos répugnances, il nous faudra bien résoudre. C’est un service très réel qu’il nous a rendu. Ceux même qui lui reprochent des témérités, des hésitations, des incertitudes, ne doivent pas oublier qu’à un moment où les plus forts politiques ne se confiaient que dans le silence il n’a pas eu peur de la parole, qu’il a provoqué la contradiction, et que les controverses animées que ses projets ont soulevées dans tous les partis n’ont pas été inutiles à ce réveil de l’esprit public dont nous sommes témoins. Laissons s’en plaindre tous ces effrayés que le moindre bruit épouvante, tous ces satisfaits qui ne comprennent pas qu’il y ait encore des mécontents depuis que leur fortune est faite ; pour nous qui croyons que l’habileté ne consiste pas seulement à éluder les difficultés ou à maintenir éternellement le provisoire, et que le respect timide du passé ne fait pas toujours la sécurité de l’avenir, nous devons savoir gré aux gens qui osent dire que l’inertie n’est pas la sagesse, et que le mouvement est la vie. »

 

Hausser le niveau.

 

Oui, sans rien négliger de la réalité des faits, Jean-Jacques, toi et tes thuriféraires...

1 février 2017 3 01 /02 /février /2017 07:00

File:Haeckel Actiniae.jpg

 

Visitant un ami dans la ville d'Aix-en-Provence fouettée ce matin par un rêche mistral, celui-ci me montre sa dernière splendide trouvaille.

 

Dans son édition de 1904, un exemplaire fort rare de Kunstformen der Natur - Les Formes artistiques de la nature, élégant ouvrage savant composé par le biologiste Ernst Haeckel.

 

Feuilletant les planches, l'ami y a découvert ce texte tracé d'une fine graphie bleue :

 

« Comme dans l'éponge il y a dans l'orange une aspiration à reprendre contenance après avoir subi l'épreuve de l'expression. Mais où l'éponge réussit toujours, l'orange jamais: car ses cellules ont éclaté, ses tissus se sont déchirés. Tandis que l'écorce seule se rétablit mollement dans sa forme grâce à son élasticité, un liquide d'ambre s'est répandu, accompagné de rafraîchissement, de parfums suaves, certes, mais souvent aussi de la conscience amère d'une expulsion prématurée de pépins.

Faut-il prendre parti entre ces deux manières de mal supporter l'oppression ? L'éponge n'est que muscle et se remplit de vent, d'eau propre ou d'eau sale selon: cette gymnastique est ignoble. L'orange a meilleurs goût, mais elle est trop passive, – et ce sacrifice odorant. C'est faire à l'opresseur trop bon compte vraiment.

Mais ce n'est pas assez avoir dit de l'orange que d'avoir rappelé sa façon particulière de parfumer l'air et de réjouir son bourreau. Il faut mettre l'accent sur la coloration glorieuse du liquide qui en résulte et qui, mieux que le jus de citron, oblige le larynx à s'ouvrir largement pour la prononciation du mot comme pour l'ingestion du liquide, sans aucune moue appréhensive de l'avant-bouche dont il ne fait pas hérisser les papilles.

Et l'on demeure au reste sans paroles pour avouer l'admiration que suscite l'enveloppe du tendre, fragile et rose ballon ovale dans cet épais tampon-buvard humide dont l'épiderme extrêmement mince mais très pigmenté, acerbement sapide, est juste assez rugueux pour accrocher dignement la lumière sur la parfaite forme du fruit.

Mais à la fin d'une trop courte étude, menée aussi rondement que possible, il faut en venir au pépin. Ce grain, de la forme d'un minuscule citron, offre à l'extérieur la couleur du bois blanc de citronnier, à l'intérieur un vert de pois ou de germe tendre. C'est en lui que se retrouvent, après l'explosion sensationnelle de la lanterne vénitienne de saveurs, couleurs, et parfums que constitue le ballon fruité lui-même, la dureté relative et la verdeur (non d'ailleurs entièrement insipide) du bois, de la branche, de la feuille: somme toute petite quoique avec certitude la raison d'être du fruit. »

 

Je pose la question : hasard objectif ?

18 janvier 2017 3 18 /01 /janvier /2017 07:00

File:Robert Louis Stevenson, his family and Samoans, and the band of HMS Tauranga at Vailima, ca. 1890.jpg

 

Neige et pluie mêlées.

 

Musée de la Marine. Toutes les voiles de mon enfance.

 

Des orages, des vents fous, de l'aventure.

 

De longues plages méditatives aussi.

 

Repense à Robert Louis. Le conteur loquace sous la frondaison au lointain Vailima :

 

« Nous laissâmes porter le long de la côte. Sur tribord retentissaient les explosions du ressac ; des oiseaux volaient en péchant sous la proue ; nul autre bruit ou signe de vie, humaine ou animale, sur tout ce côté de l’île. Aidé par son élan et par la brise mourante, le Casco rasa des falaises, découvrit une crique où se montrait une plage avec quelques arbres verts, et la dépassa, piquant dans la houle. Les arbres, de notre distance, auraient pu être des noisetiers ; la plage, une plage d’Europe, dominée par des montagnes modelées en petit d’après les Alpes et revêtues de bois d’une taille guère plus élevée que notre bruyère d’Écosse. De nouveau, la falaise s’entrebâilla, mais cette fois avec une entrée plus profonde, et le Casco, serrant le vent, se glissa dans la baie d’Anaho. Le cocotier, cette girafe végétale, si gracieusement dégingandé, si exotique pour un œil européen, se pressait en foule sur la plage et grimpait en festons sur les pentes abruptes des montagnes. Des hauteurs âpres et nues enserraient des deux côtés la baie, que fermait vers l’intérieur un entassement de collines éboulées. Dans chaque crevasse de cette barrière, la forêt trouvait un asile, juchée et nichée comme des oiseaux dans une ruine, et, tout au haut, sa verdure émoussait les lames de rasoir des crêtes. »

 

Grâce à une embarcation de fortune, j'y suis pour quelques jours.

4 janvier 2017 3 04 /01 /janvier /2017 07:00

Calle dello Squero (Venise) (5020244430).jpg 

 

Sur le canal doré en compagnie de trois sternes.

 

L'an neuf. Parfait. Je relis :

 

« Je déteste autant de suivre que de conduire.
Obéir ? Non ! Et gouverner jamais !
Celui qui n’est pas terrible pour lui, n’inspire la terreur à personne :
Et celui seul qui inspire la terreur peut conduire les autres.

 

Je déteste déjà de me conduire moi-même !
J’aime, comme les animaux des forêts et des mers,
À me perdre pour un bon moment,
À m’accroupir ; rêveur, dans des déserts charmants,
À me rappeler enfin, moi-même, du lointain,
À me séduire moi-même – vers moi-même. »

 

Ah !, le voici qui file d'un pas ardent vers la pointe sous l'azur.

21 décembre 2016 3 21 /12 /décembre /2016 07:00

File:Hauteville House door Victor Hugo in Guernsey.jpg

 

 

Revisitant Hauteville-House par une mer de houle, je tombe sur cette prose plutôt d'actualité.

 

On peut bien se frotter les yeux :

 

« Ceux qu’on appelle les insurgés de Cuba me demandent une déclaration, la voici :

Dans ce conflit entre l’Espagne et Cuba, l’insurgée c’est l’Espagne.

De même que dans la lutte de décembre 1851, l’insurgé c’était Bonaparte.

Je ne regarde pas où est la force, je regarde où est la justice.

Mais, dit-on, la mère patrie ! est-ce que la mère patrie n’a pas un droit ?

Entendons-nous.

Elle a le droit d’être mère, elle n’a pas le droit d’être bourreau.

Mais, en civilisation, est-ce qu’il n’y a pas les peuples aînés et les peuples puînés ? Est-ce que les majeurs n’ont pas la tutelle des mineurs ?

Entendons-nous encore.

En civilisation, l’aînesse n’est pas un droit, c’est un devoir. Ce devoir, à la vérité, donne des droits ; entre autres le droit à la colonisation. Les nations sauvages ont droit à la civilisation, comme les enfants ont droit à l’éducation, et les nations civilisées la leur doivent. Payer sa dette est un devoir ; c’est aussi un droit. De là, dans les temps antiques, le droit de l’Inde sur l’Égypte, de l’Égypte sur la Grèce, de la Grèce sur l’Italie, de l’Italie sur la Gaule. De là, à l’époque actuelle, le droit de l’Angleterre sur l’Asie, et de la France sur l’Afrique ; à la condition pourtant de ne pas faire civiliser les loups par les tigres ; à la condition que l’Angleterre n’ait pas Clyde et que la France n’ait pas Pélissier.

Découvrir une île ne donne pas le droit de la martyriser ; c’est l’histoire de Cuba ; il ne faut pas partir de Christophe Colomb pour aboutir à Chacon.

Que la civilisation implique la colonisation, que la colonisation implique la tutelle, soit ; mais la colonisation n’est pas l’exploitation ; mais la tutelle n’est pas l’esclavage.

La tutelle cesse de plein droit à la majorité du mineur, que le mineur soit un enfant ou qu’il soit un peuple. Toute tutelle prolongée au delà de la minorité est une usurpation ; l’usurpation qui se fait accepter par habitude ou tolérance est un abus ; l’usurpation qui s’impose par la force est un crime.

Ce crime, partout où je le vois, je le dénonce.

Cuba est majeure.

Cuba n’appartient qu’à Cuba.

Cuba, à cette heure, subit un affreux et inexprimable supplice. Elle est traquée et battue dans ses forêts, dans ses vallées, dans ses montagnes. Elle a toutes les angoisses de l’esclave évadé.

Cuba lutte, effarée, superbe et sanglante, contre toutes les férocités de l’oppression. Vaincra-t-elle ? oui. En attendant, elle saigne et souffre. Et, comme si l’ironie devait toujours être mêlée aux tortures, il semble qu’on entrevoit on ne sait quelle raillerie dans ce sort féroce qui, dans la série de ses gouverneurs différents, lui donne toujours le même bourreau, sans presque prendre la peine de changer le nom, et qui, après Chacon, lui envoie Concha, comme un saltimbanque qui retourne son habit.

Le sang coule de Porto-Principe à Santiago ; le sang coule aux montagnes de Cuivre, aux monts Carcacunas, aux monts Guajavos ; le sang rougit tous les fleuves, et Canto, et Ay la Chica ; Cuba appelle au secours.

Ce supplice de Cuba, c’est à l’Espagne que je le dénonce, car l’Espagne est généreuse. Ce n’est pas le peuple espagnol qui est coupable, c’est le gouvernement. Le peuple d’Espagne est magnanime et bon. Otez de son histoire le prêtre et le roi, le peuple d’Espagne n’a fait que du bien. Il a colonisé, mais comme le Nil déborde, en fécondant.

Le jour où il sera le maître, il reprendra Gibraltar et rendra Cuba.

Quand il s’agit d’esclaves, on s’augmente de ce qu’on perd. Cuba affranchie accroît l’Espagne, car croître en gloire c’est croître. Le peuple espagnol aura cette ambition d’être libre chez lui et grand hors de chez lui. »

 

Du panache et une vision, c'est sûr.

7 décembre 2016 3 07 /12 /décembre /2016 07:00

 

Je remonte le cours du temps.

 

Conférence à Tübingen. Généalogie et géologie.

 

Dans la chambre, à l'hôtel :

 

« Celui qui veut seulement dans une certaine mesure arriver à la liberté de la raison n’a pas le droit pendant longtemps de se sentir sur terre autrement qu’en voyageur, – et non pas même pour un voyage vers un but final : car il n’y en a pas. Mais il se proposera de bien observer et d’avoir les yeux ouverts pour tout ce qui se passe réellement dans le monde ; c’est, pourquoi il ne peut attacher trop fortement son cœur à rien de particulier ; il faut qu’il y ait toujours en lui quelque chose du voyageur, qui trouve son plaisir au changement et au passage. Sans doute un pareil homme aura des nuits mauvaises, où il sera las et trouvera fermée la porte de la ville qui devait lui offrir un repos ; peut-être qu’en outre, comme en Orient, le désert s’étendra jusqu’à cette porte, que les bêtes de proie hurleront tantôt loin, tantôt près, qu’un vent violent se lèvera, que des brigands lui raviront ses bêtes de somme. Alors peut-être l’épouvantable nuit descendra pour lui comme un second désert sur le désert, et son cœur sera-t-il las de voyager. Qu’alors l’aube se lève pour lui, brûlante comme une divinité de colère, que la ville s’ouvre, il y verra peut-être sur les visages des habitants plus encore de désert, de saleté, de fourbe, d’insécurité que devant les portes – et le jour sera pire presque que la nuit. Ainsi peut-il en arriver parfois au voyageur ; mais ensuite viennent, en compensation, les matins délicieux d’autres régions et d’autres journées, où dès le point du jour il voit dans le brouillard des monts les chœurs des Muses s’avancer en dansant à sa rencontre, où plus tard, lorsque paisible, dans l’équilibre de l’âme des matinées, il se promène sous des arbres, verra-t-il de leurs cimes et de leurs frondaisons tomber à ses pieds une foison de choses bonnes et claires, les présents de tous les libres esprits qui sont chez eux dans la montagne, la forêt et la solitude, et qui, tout comme lui, à leur manière tantôt joyeuse et tantôt réfléchie, sont voyageurs et philosophes. Nés des mystères du matin, ils songent à ce qui peut donner au jour, entre le dixième et le douzième coup de cloche, un visage si pur, si pénétré de lumière, si joyeux de clarté, – ils cherchent la philosophie d’avant-midi. »

 

Ouvrir – malgré tout.

23 novembre 2016 3 23 /11 /novembre /2016 07:00

 

Dans le quartier de la Pláka, les citoyens s'affairent à la politique tandis que l'Europe entière voulue par tous vole en éclats.

 

Je m'offre un gobelet d'ouzo et une assiette de poulpes aux aubergines.

 

Le livre s'ouvre à la bonne page :

 

« Ce verbe, qui est vrai, est toujours incompris des hommes, soit avant qu’ils ne l’entendent, soit alors qu’ils l’entendent pour la première fois. Quoique toutes choses se fassent suivant ce verbe, ils ne semblent avoir aucune expérience de paroles et de faits tels que je les expose, distinguant leur nature et disant comme ils sont. Mais les autres hommes ne s’aperçoivent pas plus de ce qu’ils font étant éveillés, qu’ils ne se souviennent de ce qu’ils ont fait en dormant. »

 

Allez, une sieste quoi qu'il puisse advenir.

9 novembre 2016 3 09 /11 /novembre /2016 07:00

Senlis (60), marais de la Bigue.jpg

 

Une belle journée automnale.

 

Partout, aux carrefours des mairies et des prairies qui ondulent sous le vent, on s'active aux préparatifs de la grande commémoration. Pour une fois, il ne pleut pas.

 

Je traverse la forêt à cheval. Ma monture du jour, une brave bête au pelage bai, se nomme Pidou et se régale de carottes.

 

Près d'un étang qu'enserre le feuillage, je croise Jean-Jacques qui tient à me lire ce qui suit :

 

« Le bonheur est un état permanent qui ne semble pas fait ici-bas pour l’homme. Tout est sur la terre dans un flux continuel qui ne permet à rien d’y prendre une forme constante. Tout change autour de nous. Nous changeons nous-mêmes, et nul ne peut s’assurer qu’il aimera demain ce qu’il aime aujourd’hui. Ainsi tous nos projets de félicité pour cette vie sont des chimères. Profitons du contentement d’esprit quand il vient, gardons-nous de l’éloigner par notre faute, mais ne faisons pas des projets pour l’enchaîner, car ces projets là sont de pures folies. J’ai peu vu d’hommes heureux, peut-être point : mais j’ai souvent vu des cœurs contents, et de tous les objets qui m’ont frappé, c’est celui qui m’a le plus contenté moi-même. Je crois que c’est une suite naturelle du pouvoir des sensations sur mes sentiments internes. Le bonheur n’a point d’enseigne extérieure ; pour le connaître il faudrait lire dans le cœur de l’homme heureux ; mais le contentement se lit dans les yeux, dans le maintien, dans l’accent, dans la démarche, et semble se communiquer à celui qui l’aperçoit. Est-il une jouissance plus douce que de voir un peuple entier se livrer à la joie un jour de fête, et tous les cœurs s’épanouir aux rayons expansifs du plaisir qui passe rapidement, mais vivement, à travers les nuages de la vie ? »

 

Mais tout va bien, Jean-Jacques : la nature que tu herborises se porte à merveille ! 

26 octobre 2016 3 26 /10 /octobre /2016 06:00

File:Tholos de Delphes 2015.jpg

 

Affranchi de la cohue, j'ouvre le livre :

 

« Eh bien ! qu’adviendra-t-il de tout ce que les hommes ont élaboré ? Que deviendra la civilisation ?

« Le retour au singe, la lettre de Voltaire à Rousseau, disant qu’il faut apprendre à marcher à quatre pattes : le retour à une vie animale quelconque », disent les hommes qui sont tellement convaincus que la civilisation dont nous jouissons est un très grand bien qu’ils n’admettent pas même la pensée de renoncer à la moindre chose donnée par elle.

« Comment remplacer par la forme déjà dépassée par l’humanité – les communes agricoles, grossières, perdues au fond de la campagne — nos villes avec leurs chemins de fer électriques, souterrains et aériens, leurs phares électriques, leurs musées, leurs théâtres, leurs monuments ? » diront ces hommes. – « Oui, et avec leurs quartiers miséreux, les slums de Londres, de New-York, des grandes villes, avec leurs maisons de tolérance, les banques, les bombes explosives contre les ennemis extérieurs et intérieurs, avec leurs prisons, leurs échafauds, leurs millions de soldats » dirai-je, moi.

« La civilisation, notre civilisation, est un grand bien », disent les hommes. Mais ceux qui ont cette conviction appartiennent à cette minorité qui vit non seulement dans cette civilisation, mais par elle ; qui vit dans l’aisance, presque dans l’oisiveté, en comparaison du labeur des ouvriers, et ainsi uniquement parce que cette civilisation existe.

Tous ces hommes : rois, empereurs, présidents, princes, ministres, fonctionnaires, militaires, propriétaires fonciers, marchands, ingénieurs, médecins, savants, peintres, professeurs, prêtres, écrivains, sont si sûrs que notre civilisation est un grand bien qu’ils ne peuvent admettre la pensée de la voir disparaître ou même se modifier. »

 

J'ai encore un peu de temps et m'offre un beau flacon de vin résiné.

12 octobre 2016 3 12 /10 /octobre /2016 06:00

 

Spinoza vient de m'adresser un courriel réclamant de me rendre chez lui à Rinjsburg le plus tôt possible. Je fonce secourir l'ami.

 

Au seuil de sa demeure automnale cernée de brume, je le trouve plus inquiet que d'habitude.

 

Il me tend un texte d'une écriture nerveuse, et me demande de le lire.

 

J'entre dans les signes :

 

« Je passe enfin à cette partie de l’Éthique qui a pour objet de montrer la voie qui conduit à la liberté. J’y traiterai de la puissance de la raison, en expliquant l’empire que la raison peut exercer sur les passions ; je dirai ensuite en quoi consistent la liberté de l’âme et son bonheur ; on pourra mesurer alors la différence qui sépare le savant de l’ignorant. Quant à la manière de perfectionner son esprit et de gouverner son corps pour le rendre propre aux fonctions qu’il doit remplir, cela n’est pas de notre sujet, et rentre dans la médecine et dans la logique. Je ne traite ici, encore un coup, que de la puissance de l’âme ou de la raison, et avant tout, de la nature et de l’étendue de l’empire qu’elle exerce pour réprimer et gouverner nos passions. Nous avons déjà démontré que cet empire n’est pas absolu. Les stoïciens ont voulu soutenir que nos passions dépendent entièrement de notre volonté, et que nous pouvons les gouverner avec une autorité sans bornes ; mais l’expérience les a contraints d’avouer, en dépit de leurs principes, qu’il ne faut pas peu de soins et d’habitude pour contenir et régler nos passions. C’est ce que, si j’ai bonne mémoire, quelqu’un s’est avisé de démontrer par l’exemple de deux chiens, l’un domestique, l’autre chasseur, que l’on parvint à dresser de telle sorte que le chien domestique faisait la guerre aux lièvres, tandis que le chien de chasse s’abstenait de les poursuivre. Descartes est tout à fait favorable à cette opinion. »

 

Cher Baruch, au temps contrit de la servitude, un flambeau dans la nuit !