22 avril 2012 7 22 /04 /avril /2012 06:00

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Cette exaspération générale des esprits...


 

Le beau joujou est cassé.

 

Allons, à quoi rime de trépigner comme ça à ton âge ?

 

Le peuple de la terre des arts, des armes et des lois n'en peut plus.

 

Il est irrité, congestif, crispé, rompu. Et violent dans l'adversité.

 

Un bon coup de balai et que chante derechef Du Bellay.

 

Zou ! Que l'on tourne tout de go l'odieuse page !

 

 

 

18 avril 2012 3 18 /04 /avril /2012 06:00

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Ces petits oiseaux ont beaucoup d'activité et d'agilité : ils sont dans un mouvement presque continuel, voltigeant sans cesse de branche en branche, grimpant sur les arbres, se tenant indifféremment dans toutes les situations...

 

 

Autrefois, chaque son avait sa propre signification et son importance. Lorsque le frappe-devant d'un forgeron retentissait sur le métal, il chantait : « Je forge, je forge, boum, boum, boum ! » Lorsque le rabot d'un menuisier grinçait, il s'encourageait au travail en répétant sans cesse : « Un grincement par ici, un grincement par là, ils sont tous pour toi ! » et lorsque les roues d'un moulin tournaient, elles résonnaient : « Que Dieu nous garde, clapotis, clapotas, que Dieu nous garde clac, clac ! » Lorsque le meunier était un filou, les roues du moulin en marche étaient au début très polies et demandaient : « Qui est là, qui est là ? » et se donnaient la réponse elles-mêmes : « C'est le meunier, c'est le meunier ». Et à la fin elles répétaient sans cesse : « Il vole comme une pie, tu n'auras qu'un demi-sac d'un huitième. »


Jadis, les oiseaux avaient aussi leur propre langage et tout le monde les comprenait, tandis que de nos jours leur piaillement n'est pour nous qu'un gazouillis, un jacassement, un cri ou un sifflement ou, dans le meilleur des cas, une musique sans paroles.


Un jour, les oiseaux décidèrent d'élire leur roi, parce qu'ils ne voulaient plus vivre sans maître. Un petit oiseau ne fut pourtant pas d'accord, car il vivait librement et voulait aussi mourir librement. C'était le vanneau. Il voletait tout affolé et gazouillait :


- Où dois-je voler, où dois-je m'en aller ?


Finalement il décida de vivre à l'écart, s'installa au bord d'un marécage isolé et ne rejoignit plus jamais les autres.


Les oiseaux voulurent se consulter avant de prendre leur décision et, un beau matin du mois de mai, ils quittèrent leurs forêts et leurs champs pour tous se rassembler. Il y avait l'aigle, le pinson, le hibou et la caille, l'alouette et le moineau, bref tous ceux qui existaient et il serait fastidieux de les énumérer tous. Se présentèrent également le coucou et la huppe, surnommée le sacristain du coucou, parce qu'on l'entend toujours quelques jours avant ce dernier. À la grande réunion arriva aussi, en sautillant, un tout petit oiseau, qui n'avait même pas encore de nom et qui se mêla aux autres. À cause d'un concours de circonstances la poule d'eau qui ignorait tout de l'élection prévue, fut très surprise par tout ce monde. Elle se mit à caqueter : « Quoi ? Quoi ? » mais le coq la rassura tout de suite en criant : « C'est un grand rassemblement ! »


Ensuite il expliqua à sa poule préférée ce qui se préparait, puis il se mit à se vanter :


- Ils ont invité les héros ! Et moi aussi !


L'assemblée générale décida qu'elle élirait roi celui qui volerait le plus haut. Une rainette cachée dans un buisson l'entendit et coassa un cri d'avertissement « Pourquoi pleurer ? Quelle idée insensée ! » car elle pensait qu'une telle élection ne pouvait apporter que des pleurs et des embêtements. Une corneille l'obligea pourtant à se taire et croassa qu'il n'y aurait pas de vacarme, que tout irait comme sur des roulettes et que la compétition serait « très belle, très belle ! »


Les oiseaux rassemblés décidèrent qu'ils partiraient tous à l'aube pour qu'aucun ne puisse crier en cherchant des excuses : « J'aurais sûrement pu voler plus haut encore mais la tombée de la nuit m'en a empêché. » Lorsque le départ fut donné, tous les oiseaux rassemblés se dirigèrent vers le ciel. Des nuages de poussière montèrent des champs, on entendit un bourdonnement intense, le battement des ailes, des soufflements et des sifflements et, à première vue, on aurait pu croire qu'un gros nuage tout noir s'élevait vers le ciel à toute vitesse. Les petits oiseaux furent vite à bout de souffle et prirent du retard. Puis, ne pouvant plus continuer, ils redescendirent au sol. Les oiseaux plus grands tinrent le coup plus longtemps, mais aucun ne put égaler l'aigle qui montait toujours plus haut, et encore et encore, et il aurait presque pu crever les yeux du soleil. Lorsqu'il s'aperçut que les autres n'arrivaient pas à le suivre, il se dit : « Pourquoi monter plus haut encore, puisqu'il est clair que le roi c'est moi ! » et il descendit lentement jusqu'au sol. Les oiseaux se mirent aussitôt à l'acclamer :


- C'est toi qui seras notre roi, car aucun de nous n'a pu monter aussi haut que toi !
- Sauf moi, s'écria le petit oiseau sans nom.


En effet, il s'était caché avant le départ de la course entre les plumes de la poitrine de l'aigle et n'étant donc pas fatigué, il s'envola et monta si haut qu'il pouvait apercevoir le bon Dieu assis sur son trône céleste. Ayant atteint cette hauteur incroyable, il replia ses ailes, descendit jusqu'au sol et cria d'une voix sifflante :


- Je suis le roi ! je suis le roi ! Le roi, c'est moi !
- Toi, notre roi ? s'écrièrent les oiseaux en colère. Tu n'as réussi que grâce à ta ruse, tricheur !


Et sur-le-champ, ils formulèrent une nouvelle condition d'élection : le roi serait celui qui saurait pénétrer le plus profondément dans la terre. C'était vraiment drôle de voir l'oie battre l'herbe avec sa large poitrine ! Et si vous aviez vu le coq s'efforçant de creuser un petit trou dans le sol ! Le sort le plus cruel fut réservé pourtant au canard qui sauta dans un fossé et se foula les deux pattes. Il réussit à en sortir en clopinant et il rejoignit difficilement un lac situé à proximité en se lamentant :


- Mon Dieu, quelle débâcle, quelle triste spectacle !


Le tout petit oiseau trouva en attendant un trou creusé par une souris. Il s'y glissa et fit entendre sa petite voix fluette :


- Je suis le roi ! je suis le roi ! Le roi, c'est moi !


Les autres oiseaux piaillèrent alors encore plus fort qu'auparavant :


- Toi, notre roi ? Tu ne crois tout de même pas que nous allons gober ton stratagème douteux, espèce de mauviette !


Et ils décidèrent de l'emprisonner dans le trou et de l'y laisser mourir de faim. Ils confièrent la garde au hibou auquel ils recommandèrent que, pour rien au monde, il ne devait laisser le tricheur s'échapper, s'il tenait à rester en vie.


La nuit tomba. Les oiseaux fatigués par leur long vol commencèrent à rentrer chez eux pour y retrouver leurs femmes et leurs petits, et pour se coucher. Le hibou resta tout seul près du trou et, immobile, il le fixait de ses yeux énormes. Néanmoins, lui aussi fut gagné par la fatigue. « Je peux tout de même fermer un œil, se dit-il, puisque je surveille aussi avec l'autre. Il veillera et ne permettra pas à ce roitelet infâme de s'enfuir. »


Il ferma donc un œil et guetta fixement le trou avec l'autre. Le petit oiseau coquin voulut s'enfuir et il sortit la tête du trou, mais le hibou s'approcha vite et il fut obligé de la rentrer immédiatement. Peu de temps après, le hibou ouvrit l'œil fermé et ferma l'autre, avec l'intention de répéter cette manœuvre toute la nuit. Mais une fois, en fermant l'œil ouvert, il oublia d'ouvrir l'autre, et à peine eut-il les deux yeux fermés qu'il s'endormit. Le petit oiseau, s'en étant très vite aperçu, sortit du trou et s'enfuit.


Depuis lors le hibou ne peut plus sortir à la lumière du jour, car les oiseaux se jetteraient sur lui, lui voleraient dans les plumes et lui en feraient voir de toutes les couleurs. C'est pourquoi il ne sort que la nuit et, plein de rancune, il chasse les souris. Il les déteste, car elles creusent d'horribles trous.


Mais le petit roitelet préfère lui aussi ne pas se montrer, car il ne veut pas risquer sa tête en se laissant attraper. Il se cache donc, se faufile dans les haies et parfois, lorsqu'il se sent vraiment en sécurité, il crie :


- Je suis le roi ! je suis le roi ! Le roi, c'est moi !


En l'entendant les autres oiseaux se moquent en criant :


- Roitelet, Roitelet, tu te caches dans les haies !


Tous les oiseaux étaient contents de ne plus devoir écouter le roitelet ; mais c'était l'alouette la plus heureuse. C'est pourquoi elle monte vers le ciel aux premiers rayons du soleil de printemps et grisolle :


- Quelle joie ! La Terre est belle, quel bonheur de vivre sur elle !

 

 

 

 

 

(Jacob et Wilhelm Grimm, Le Roitelet in Les Contes, traduit de l'allemand par Armel Guerne, Flammarion, 1967)

15 avril 2012 7 15 /04 /avril /2012 06:00

800px-James Joyce with Sylvia Beach at Shakespeare & Co Par

 

Shakespeare et compagnie...

 

 

Chant 1 : Chante, Déesse, du Pèlèiade Akhilleus la colère désastreuse, qui de maux infinis accabla les Akhaiens, et précipita chez Aidès tant de fortes âmes de héros, livrés eux-mêmes en pâture aux chiens et à tous les oiseaux carnassiers. 

 

 

Chant 2 : En ycelle les Kalendes feurent trouvées par les breviaires des Grecz. Le moys de mars faillit en Karesme, et fut la my oust en may. On moys de octobre, ce me semble, ou bien de septembre (affin que je ne erre, car de cela me veulx je curieusement guarder) fut la sepmaine, tant renommée par les annales, qu'on nomme la sepmaine des troys jeudis : car il y en eut troys, à cause des irreguliers bissextes, que le soleil bruncha quelque peu, comme debitoribus, à gauche, et la lune varia de son cours plus de cinq toyzes, et feut manifestement veu le movement de trepidation on firmament dict aplane, tellement que la Pleiade moyene, laissant ses compaignons, declina vers l'Equinoctial, et l'estoille nommé l'Espy laissa la Vierge, se retirant vers la Balance, qui sont cas bien espoventables et matieres tant dures et difficiles que les astrologues ne y peuvent mordre ; aussy auroient ilz les dens bien longues s'ilz povoient toucher jusques là. 

 

 

Chant 3 : Dans une bourgade de la Manche, dont je ne veux pas me rappeler le nom, vivait, il n’y a pas longtemps, un hidalgo, de ceux qui ont lance au râtelier, rondache antique, bidet maigre et lévrier de chasse. Un pot-au-feu, plus souvent de mouton que de bœuf, une vinaigrette presque tous les soirs, des abatis de bétail le samedi, le vendredi des lentilles, et le dimanche quelque pigeonneau outre l’ordinaire, consumaient les trois quarts de son revenu. Le reste se dépensait en un pourpoint de drap fin et des chausses de panne avec leurs pantoufles de même étoffe,  pour les jours de fête, et un habit de la meilleure serge du pays, dont il se faisait honneur les jours de la semaine.

 

Il avait chez lui une gouvernante qui passait les quarante ans, une nièce qui n’atteignait pas les vingt,  et de plus un garçon de ville et de campagne, qui sellait le bidet aussi bien qu’il maniait la serpette. L’âge de notre hidalgo frisait la cinquantaine ; il était de complexion robuste, maigre de corps, sec de visage, fort matineux et grand ami de la chasse. On a dit qu’il avait le surnom de Quixada ou Quesada, car il y a sur ce point quelque divergence entre les auteurs qui en ont écrit, bien que les conjectures les plus vraisemblables fassent entendre qu’il s’appelait Quijana. Mais cela importe peu à notre histoire ; il suffit que, dans le récit des faits, on ne s’écarte pas d’un atome de la vérité. 

 

 

Chant 4 : La magnificence et la galanterie n’ont jamais paru en France avec tant d’éclat que dans les dernières années du règne de Henri II. Ce prince était galant, bien fait, et amoureux : quoique sa passion pour Diane de Poitiers, duchesse de Valentinois, eût commencé il y avait plus de vingt ans, elle n’en était pas moins violente, et il n’en donnait pas des témoignages moins éclatants.


Comme il réussissait admirablement dans tous les exercices du corps, il en faisait une de ses plus grandes occupations : c’était tous les jours des parties de chasse et de paume, des ballets, des courses de bagues, ou de semblables divertissements. Les couleurs et les chiffres de madame de Valentinois paraissaient partout, et elle paraissait elle-même avec tous les ajustements que pouvait avoir mademoiselle de la Marck, sa petite-fille, qui était alors à marier.

 

 

Chant 5 : Resté dans l’angle, derrière la porte, si bien  qu’on l’apercevait à peine, le nouveau était un gars de la campagne, d’une quinzaine d’années environ, et plus haut de taille qu’aucun de nous tous. Il avait les cheveux coupés droit sur le front, comme un chantre de village, l’air raisonnable et fort embarrassé. Quoiqu’il ne fût pas large des épaules, son habit-veste de drap vert à boutons noirs devait le gêner aux entournures et laissait voir, par la fente des parements, des poignets rouges habitués à être nus. Ses jambes, en bas bleus, sortaient d’un pantalon jaunâtre très tiré par les bretelles. Il était chaussé de souliers forts, mal cirés, garnis de clous.


On commença la récitation des leçons. Il les écouta de toutes ses oreilles, attentif comme au sermon, n’osant même croiser les cuisses, ni s’appuyer sur le coude, et, à deux heures, quand la cloche sonna, le maître d’études fut obligé de l’avertir, pour qu’il se mît avec nous dans les rangs.


Nous avions l’habitude, en entrant en classe, de jeter nos casquettes par terre, afin d’avoir ensuite nos mains plus libres ; il fallait, dès le seuil de la porte, les lancer sous le banc, de façon à frapper contre la muraille en faisant beaucoup de poussière ; c’était là le genre.


 

Chant 7 : Comment s’étaient-ils rencontrés ? Par hasard, comme tout le monde. Comment s’appelaient-ils ? Que vous importe ? D’où venaient-ils ? Du lieu le plus prochain. Où allaient-ils ? Est-ce que l’on sait où l’on va ? Que disaient-ils ? Le maître ne disait rien ; et Jacques disait que son capitaine disait que tout ce qui nous arrive de bien et de mal ici-bas était écrit là-haut.

 

 

Le Maître : C’est un grand mot que cela.

 

Jacques : Mon capitaine ajoutait que chaque balle qui partait d’un fusil avait son billet.

 

Le Maître : Et il avait raison…

 

 

Chant 8 : Le 15 mai 1796, le général Bonaparte fit son entrée dans Milan à la tête de cette jeune armée qui venait de passer le pont de Lodi, et d'apprendre au monde qu'après tant de siècles César et Alexandre avaient un successeur. Les miracles de bravoure et de génie dont l'Italie fut témoin en quelques mois réveillèrent un peuple endormi; huit jours encore avant l'arrivée des Français, les Milanais ne voyaient en eux qu'un ramassis de brigands, habitués à fuir toujours devant les troupes de Sa Majesté Impériale et Royale: c'était du moins ce que leur répétait trois fois la semaine un petit journal grand comme la main, imprimé sur du papier sale.


 

Chant 9 : Stately, plump Buck Mulligan came from the stairhead, bearing a bowl of lather on which a mirror and a razor lay crossed. A yellow dressinggown, ungirdled, was sustained gently behind him on the mild morning air. He held the bowl aloft and intoned :


- Introibo ad altare Dei. 

 

Halted, he peered down the dark winding stairs and called out coarsely :

 

- Come up, Kinch ! Come up, you fearful jesuit !

 

Solemnly he came forward and mounted the round gunrest. He faced about and blessed gravely thrice the tower, the surrounding land and the awaking mountains. Then, catching sight of Stephen Dedalus, he bent towards him and made rapid crosses in the air, gurgling in his throat and shaking his head. Stephen Dedalus, displeased and sleepy, leaned his arms on the top of the staircase and looked coldly at the shaking gurgling face that blessed him, equine in its length, and at the light untonsured hair, grained and hued like pale oak.

 

Buck Mulligan peeped an instant under the mirror and then covered the bowl smartly.

 

- Back to barracks ! he said sternly.

 

He added in a preacher's tone:

 

- For this, O dearly beloved, is the genuine Christine: body and soul and blood and ouns. Slow music, please. Shut your eyes, gents. One moment. A little trouble about those white corpuscles. Silence, all.

 

He peered sideways up and gave a long slow whistle of call, then paused awhile in rapt attention, his even white teeth glistening here and there with gold points. Chrysostomos. Two strong shrill whistles answered through the calm.


- Thanks, old chap, he cried briskly. That will do nicely. Switch off the current, will you ?

 

He skipped off the gunrest and looked gravely at his watcher, gathering about his legs the loose folds of his gown. The plump shadowed face and sullen oval jowl recalled a prelate, patron of arts in the middle ages. A pleasant smile broke quietly over his lips.

 

- The mockery of it ! he said gaily. Your absurd name, an ancient Greek ! 

 

 

 

Encore ? Allez, c'est bien parce que c'est vous :

 

 

On n’est pas sérieux, quand on a dix-sept ans.
— Un beau soir, foin des bocks et de la limonade,
Des cafés tapageurs aux lustres éclatants !
— On va sous les tilleuls verts de la promenade.

 

 

Roman : l'existence, through times of despair and joy, d'individus singuliers.

 

 

 

11 avril 2012 3 11 /04 /avril /2012 06:00

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S'orientant grâce aux étoiles, la plupart des oiseaux migrent la nuit...

 

 

Dans l'anse de Reine, cette aube-là, le froid mordait encore un peu.

 

Mais pour rien au monde, je ne voulais manquer l'arrivée des oies migratrices en provenance directe de l'Orient extrême. Vol faisant, certaines s'offrent même une halte sur l'humus tout neuf de la taïga sibérienne. Histoire de dire bonjour aux ami(e)s sylvestres et de reprendre des forces.

 

En avril, dans la géographie majestueuse de cette partie des îles Lofoten - la pente aiguë des pics noirs me faisait penser aux Southern Alps dans la région d'Otago -, les schplouf, schplouf produits à intervalles réguliers par ces grands volatiles qui amerrissent sept par sept sur les eaux cristallines sont le signe sûr que l'on glisse à nouveau vers la belle saison. Haru higan.

 

Tout est en suspens. À l'aplomb du promontoire, guettant les premières manœuvres mobiles.

 

Des battements d'ailes soudain et une cacophonie comme jamais.

 

Puis plus rien dans l'éveil du jour.

 

Passage nordique : à la surface du fjord, un bon millier de plumes ont alors composé une estampe muette en or et blanc - mon secret.

 

Oie, oie sauvage,

tu l'as fait à quel âge

ton premier voyage ?

8 avril 2012 7 08 /04 /avril /2012 06:00

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O the stale old dogs who pretend to guard the morals of the masses...

 

 

Au fond du trou à Taos.

 

Un bar borgne au bout de la rue.

 

This is any somewhere.

 

D. H. Lawrence, Kiowa Ranch.

 

Agaves bleus sur adobe jaune.

 

Georgia a kiffé les couleurs jaillies du désert.

 

Deux sacrés tempéraments.

 

Reconnaissance par-dessus l'époque rance.

 

Apocalypse : révélation.

 

Prends soin de toi.

 

Chihuahua and Sonora.

 

Le soleil, la chaleur -de la tequila.

 

Une chambre nue à la verticale du printemps.

 

Les carnets lovés au creux des nattes.

 

Une femme brune qui fume un cigarillo.

 

Eine kleine Frühlingsweise, nimmt mein Herz mit auf die Reise...

 

Du gramophone, une fantaisie de Dvořák s'invite soudain au bal.

 

 

 

4 avril 2012 3 04 /04 /avril /2012 06:00

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They teach you there's a boundary line to music. But, man, there's no boundary line to art...

 

 

Le bus de neuf heures vers l'Ouest s'étirait en bleu acier sous le soleil de la gare routière.

 

Buffle assoupi prêt à traverser les plaines.

 

Venais de quitter Saint-Louis et ses quartiers français. 

 

Lafayette Square, Street, Circle.

 

Jolliet ici, Marquette là.

 

Et Cavelier de La Salle -René Robert, découvreur de la Nouvelle-France à la Louisiane.

 

Parlé de Twain, beaucoup, et d'Eliot, non moins.

 

De Kerouac aussi. Pas squatté dans les parages, pourtant, sauf erreur. Mais ma guise, as usual.

 

À la buvette, peu avant l'embarquement, la serveuse longiligne dont la famille est restée à Cuba.

 

Ses créoles en nacre. Ses mains, oiseaux légers des îles sur le comptoir.

 

Le café, long, suave, et un vieil air à la radio.

 

The Bird pour moi dans toute sa fraîcheur.

 

Constellation & Anthropology.

 

Deux thèses en une.

 

J'ai ouvert mon carnet des lettres musicales :

 

A lot of people ask me why I wrote this book or any book. All the stories I wrote are true because I believe in what I saw. I was traveling west one time at the junction of the state line of Colorado -its arid western one, and the state line of poor Utah. I saw in the clouds huge and massed above the fearing golden desert of even fall-  the Great Image of God with four fingers pointed straight at me. Through halos and rolls and gold foals that were like the existence of the gleaming spear in His right hand which sayeth c’mon boy, go thou across the ground. Go moan for man. Go moan. Go groan. Go groan alone. Go roll your bones. Alone. Go thou and be little beneath my sight. Go thou and be minutest seed in the pod. Go thou go thou -die hence, and if this world report you well and truly.


I'm writing this book because we're all going to die -In the loneliness of my life, my father dead, my brother dead, my mother far away, my sister and my wife far away, nothing here but my own tragic hands that once were guarded by a world, a sweet attention, that now are left to guide and disappear their own way into the common dark of all our death, sleeping in me raw bed, alone and stupid : with just this one pride and consolation : my heart broke in the general despair and opened up inward to the Lord, I made a supplication in this dream.


So in the last page of On the Road, I describe how the hero Dean Moriarty has come to see me all the way from the West Coast just for a day or two. We’d just been back and forth across the country several times in cars, and now our adventures are over. We’re still great friends, but we have to go into later phases of our lives. So there he goes, Dean Moriarty, ragged in a motheaten overcoat he brought specially for the freezing temperatures of the East, walking off alone, and last I saw of him he rounded the corner of Seventh Avenue, eyes on the street ahead and bent to it again. Gone.


So in America when the sun goes down and I sit on the old broken-down river pier watching the long, long skies over New Jersey and sense all that raw land that rolls in one unbelievable huge bulge over to the West Coast, and all that road going, all the people dreaming in the immensity of it, and in Iowa I know by now the children must be crying in the land where they let the children cry, and tonight the stars’ll be out, and don’t you know that God is Pooh Bear ? The evening star must be drooping and shedding her sparkler dims on the prairie, which is just before the coming of complete night that blesses the earth, darkens all rivers, cups the peaks and folds the final shore in, and nobody, nobody knows what’s going to happen to anybody besides the forlorn rags of growing old...

 

Dans le bus qui a fini par s'ébrouer, je l'ai vu tout de suite à travers la vitre : un équipage d'hier qui remontait le fleuve, pile sur ma gauche.

 

A regular cargo and a ration of courage.

 

Ces deux trappeurs plus le chat m'ont regardé avec un étonnement intense.

 

 

(Jack Kerouac, Visions of Cody, Penguin Books, 1993)

1 avril 2012 7 01 /04 /avril /2012 06:00

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Qui donc a dit que le dessin est l'écriture de la forme ? La vérité est que l'art doit être l'écriture de la vie...

 

 

Le printemps renaît un peu partout. Et le peuple se prend d'espérance. Ne nourrissant ni espoir ni désespoir, je préfère poursuivre mon tour d'Europe des beautés plastiques qui ne demandent qu'à s'échapper des musées.

 

Munich, Neue Pinakothek. De Zurich, ce n'est pas si loin et du temps, j'en ai à revendre. Pendant une longue conversation avec ma chère amie pianiste, nous avons évoqué tout l'intérêt d'une nouvelle déambulation dans la pinacothèque bavaroise.

 

Manet et Monet se sont beaucoup salués jusqu'à la fin, on le sait. Sous les yeux, Claude Monet peignant sur son bateau, petite toile liquide de son ami Édouard, 1874. La Commune a tourné la page, semble-t-il, et les bords de Seine sont plus verdoyants que jamais. Pourtant, un bleu outremer explose, littéralement, au premier plan sur fond d'usines distanciées. Que peint Claude ? Le tableau dans la toile. Barque pagode qui glisse sur le fil du temps. Une coiffe coloniale pour se prémunir du frais soleil.

 

Mais ce matin-là, c'est un autre chapeau qui, comme à chaque fois, fait impression. Ce canotier, quelle insolence ! De cette trinité d'individus chacun dans son monde, celui de 1868, c'est Léon qui apparaît le plus magistralement moderne. Voici, dit la chronique, l'enfant d'Édouard en filiation biologique. Est ? Serait ? Ou produit d'une tout autre configuration ? Il a l'air si peu français et très américain. J'aurais pu le croiser à Boston. Velours noir profond de la veste - ainsi de la robe des chats mystérieux -, et pantalon de la meilleure flanelle. Idéal pour une régate. Une main dedans, une main dehors. Dans le triangle inversé de son visage, les rêves de l'adolescent. Il flâne, le jeune Léon. Il a raison : hard times are about to come.

 

Un an de vie supplémentaire et, qui sait ?, Baudelaire ne serait pas passé à côté du duel significatif que Manet a engagé toute son existence contre le freinage humain.

 

 

 

28 mars 2012 3 28 /03 /mars /2012 06:00

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À un carré de gazon deux fois vert, Elias Canetti et James Joyce entretiennent une intense conversation silencieuse.

 

C'est pour cette raison et cette autre, puisqu'une chère amie pianiste m'avait lancé une invitation, qu'immédiatement, billet pris, voyage en train excellent, quittant pour quelques heures dans les jours le pays plombé, je me suis baladé, bras dessus, bras dessous, en sa compagnie dans les rues fleuries de Zurich, ville de montagne, oui, ville sur l'eau surtout.

 

La pelouse de marbre et deux roses.

 

Restés là un moment dans le froid, le silence et l'éternité.

 

Comme deux camarades, nous nous sommes étreints pour retenir l'intention et avons allongé le pas vers les quais.

 

D'une beauté l'autre.

 

Accordés, un petit tour du côté de la Kunsthaus. Dans la grande ville, griffonné avant l'hiver les dates de cette exposition, je le lui ai dit, Miró, Monet, Matisse. Pour une autre fois.

 

Avalanche de couleurs mises en perspective de Ruisdael à Manet. Révolution picturale permanente. Alberto au plus haut.

 

Vous saisissez ?

 

Ma mutine pianiste m'a alors entraîné dans le cabinet des estampes. Elle est gauchère et très adroite.

 

Sous les yeux, cadeau pour l'au revoir, de Turner, ce Jour de fête à Zurich.

 

Bien vu. Bien croqué.   

25 mars 2012 7 25 /03 /mars /2012 06:00

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Chaque vague en passant d'un butin s'est chargée...

 

 

Empreintes du printemps.

 

La route bien claire par les vallons.

 

Une escapade du côté du vivant.

 

Joyeux trilles et de drôles de drilles.

 

Saint-Valery sans accent mais avec beaucoup de talents.

 

Une conversation, un café, une décision.

 

Un  fantôme sans relief, cette vieille lune d'Anatole.

 

André t'en a lancé, des banderilles.

 

Une puissance qui jamais ne s'endort, le grand Victor.

 

Allez, cheval au front dégagé : hue ! Go !

 

Tous deux ont, paraît-il, respiré l'air de ce large.

 

Même lieu, inspirations diverses.

 

 

 

Longtemps marché dans ce monde vertical.

 

Au bout des terres, il y a encore un peu de terre.

 

Sur la gauche, au milieu des marais, un fanal rouge, bancal.

 

Une marque en terre.

 

Des sarcelles et des avocettes.

 

Danseuses contre l'inertie.

 

Le ciel, très haut, le sable mouillé, en miettes.

 

 

Une idée d'ordre, somme toute - fragile et singulier.

 

 

 

 
21 mars 2012 3 21 /03 /mars /2012 07:00

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Comme dans l'éponge il y a dans l'orange une aspiration à reprendre contenance après avoir subi l'épreuve de l'expression. Mais où l'éponge réussit toujours, l'orange jamais : car ses cellules ont éclaté, ses tissus se sont déchirés. Tandis que l'écorce seule se rétablit mollement dans sa forme grâce à son élasticité, un liquide d'ambre s'est répandu, accompagné de rafraîchissement, de parfums suaves, certes, -- mais souvent aussi de la conscience amère d'une expulsion prématurée de pépins.


Faut-il prendre parti entre ces deux manières de mal supporter l'oppression ? -- L'éponge n'est que muscle et se remplit de vent, d'eau propre ou d'eau sale selon : cette gymnastique est ignoble. L'orange a meilleurs goût, mais elle est trop passive, -- et ce sacrifice odorant... c'est faire à l'oppresseur trop bon compte vraiment.


Mais ce n'est pas assez avoir dit de l'orange que d'avoir rappelé sa façon particulière de parfumer l'air et de réjouir son bourreau. Il faut mettre l'accent sur la coloration glorieuse du liquide qui en résulte et qui, mieux que le jus de citron, oblige le larynx à s'ouvrir largement pour la prononciation du mot comme pour l'ingestion du liquide, sans aucune moue appréhensive de l'avant-bouche dont il ne fait pas hérisser les papilles.


Et l'on demeure au reste sans paroles pour avouer l'admiration que suscite l'enveloppe du tendre, fragile et rose ballon ovale dans cet épais tampon-buvard humide dont l'épiderme extrêmement mince mais très pigmenté, acerbement sapide, est juste assez rugueux pour accrocher dignement la lumière sur la parfaite forme du fruit.


Mais à la fin d'une trop courte étude, menée aussi rondement que possible, -- il faut en venir au pépin. Ce grain, de la forme d'un minuscule citron, offre à l'extérieur la couleur du bois blanc de citronnier, à l'intérieur un vert de pois ou de germe tendre. C'est en lui que se retrouvent, après l'explosion sensationnelle de la lanterne vénitienne de saveurs, couleurs, et parfums que constitue le ballon fruité lui-même, -- la dureté relative et la verdeur (non d'ailleurs entièrement insipide) du bois, de la branche, de la feuille : somme toute petite quoique avec certitude la raison d'être du fruit.


 

Au grand aquarium de Montpellier, je contemple les beautés silencieuses des accessibles abysses. Des huîtres, des éponges épidermiques et même des ébauches de poissons.

 

Leurs formes stylisées.

 

Oui, Francis, les choses ont donc une âme...

 

 

(Francis Ponge, L'Orange in Le parti pris des choses, Poésie / Gallimard, 1980)