23 décembre 2012 7 23 /12 /décembre /2012 07:00

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L'ordre des boissons est des plus tempérées aux plus fumeuses et aux plus parfumées...

 

 

- Que voulez-vous ?

 

Bonne question aux amis cosmopolites dans le jardin d'hiver au moment de l'apéritif.  

 

- Que des bonnes choses !

 

C'est Noël dans quelques jours, mais nous avons décidé d'honorer un autre calendrier, un calendrier hors du temps - pour changer un peu. La fête, aujourd'hui et maintenant.

 

- Illum temp bnazzi.

 

- Iva.

 

- Champagne, donc !

 

Toutes sortes de vins de Champagne, du sec, du doux, du blanc et du rosé, du frais et du capiteux...

 

Adossé au tronc du figuier, les bons compagnons formant un cercle autour de moi, nos coupes en teintes sonores, je lis un fragment de cette histoire :

 

Au bout de cette marche je trouvai un pays découvert, qui semblait porter sa pente vers l’ouest ; une petite source d’eau fraîche, sortant du flanc d’un monticule voisin, courait à l’opposite, c’est-à-dire droit à l’est. Toute cette contrée paraissait si tempérée, si verte, si fleurie, et tout y était si bien dans la primeur du printemps, qu’on l’aurait prise pour un jardin artificiel.

 

Je descendis un peu sur le coteau de cette délicieuse vallée, la contemplant et songeant, avec une sorte de plaisir  secret - quoique mêlé de pensées affligeantes - que tout cela était mon bien, et que j’étais Roi et Seigneur absolu de cette terre, que j’y avais droit de possession, et que je pouvais la transmettre comme si je l’avais eue en héritage, aussi incontestablement qu’un lord d’Angleterre son manoir. J’y vis une grande quantité de cacaoyers, d’orangers, de limoniers et de citronniers, tous sauvages, portant peu de fruits, du moins dans cette saison. Cependant les cédrats verts que je cueillis étaient non seulement fort agréables à manger, mais très sains ; et, dans la suite, j’en mêlai le jus avec de l’eau, ce qui la rendait salubre, très froide et très rafraîchissante.

 

Je trouvai alors que j’avais une assez belle besogne pour cueillir ces fruits et les transporter chez moi ; car j’avais résolu de faire une provision de raisins, de cédrats et de limons pour la saison pluvieuse, que je savais approcher.

À cet effet je fis d’abord un grand monceau de raisins, puis un moindre, puis un gros tas de citrons et de limons, et, prenant avec moi un peu de l’un et de l’autre, je me mis en route pour ma demeure, bien résolu de revenir avec un sac, ou n’importe ce que je pourrais fabriquer, pour transporter le reste à la maison.

 

Le citron : lumi. L'orange : larinġ . Le raisin : żbib. Et le vin : inbid...

 

Des gouttres de champagne sont tombées sur un bebbuxu qui s'en va divagant sous le fusain. 

 

Joyeux Milied ! À toi, petite créature, et à tous...

 

 

 

 
5 décembre 2012 3 05 /12 /décembre /2012 07:00

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Je m'écriai : « Quelle merveille ! quelle merveille ! Il n'y a plus ni naissance, ni mort et il n'y a plus aucune connaissance suprême à poursuivre ! Toutes les complications passées et présentes qu'on compte par mille et sept cents ne sont plus dignes de soucis ! »

 

 

Je consulte mon agenda et m'aperçois que j'ai complètement oublié ce rendez-vous avec un certain public estudiantin à Lübeck. Où ai-je la tête en ce moment ? Si ça continue, tel un gnome, je vais me retrouver coiffé d'un cône orange et blanc. Il faut dire que depuis cette rentrée, je suis en état d'alerte. Rentrée ? Mais laquelle, au juste ? Bon, l'Italie dont, l'autre jour, en Bretagne, je dessinais les contours soyeux, ça sera pour plus tard. Le Nord, ne pas le perdre ! Ainsi que raison garder. Je vais donc m'aventurer un peu plus encore dans ces corridors nordiques de l'esprit et leur glorieux passé hanséatique. Doktor Faustus sera peut-être de la partie, mais ce n'est pas de Thomas Mann dont je parlerai. Pour ma conférence, le feuillet qui me sert de prétexte et que je glisse vite dans mon sac porte ce titre tout de clarté énigmatique : Mutations

 

Dans le train saute-frontières qui file droit en Allemagne, le silence me prend peu à peu. Une journée sur les rails : c'est ce que j'ai pensé tout à l'heure sur le marchepied après un coup d'œil aux manchettes de la presse internationale qui font ici et toujours voler les murs de la gare en gros éclats sans couleurs. Terrorisme, hystérie, énervement et apathie, son double, tueries, restauration, doux vocable bien ambigu, enfumage. Le THÉÂTRE, comme d'hab...

 

Köln, Düsseldorf, Essen, Münster, Bremen, Hamburg. Le sillage fantomatique de B-17 Flying Fortress par centaines dans le ciel. De l'herbe verte, de belles forêts, des villages reluisants. Vent panique : je réalise que je laisse tomber les conjonctions de coordination. Suspension of my disbelief...Et puis les opérateurs logiques. Au point où nous en sommes. Au point où j'en suis. Régression de prime abord. Au début. Avant tout. En premier lieu - je me demande bien où sont les autres. Continuons donc à nous éclater : ensuite, en deuxième lieu - ah, le voici, ce deuxième spot ! - mais aussi, mais encore, de surcroît, en outre, je commence à avoir soif, d'une part et d'autre part, la part maudite et celle des anges, également - égal ment, il n'y a jamais eu aussi peu de preuves d'égalité - au fond, en définitive, tout compte, conte ?, fait, in other words, pour résumer, la vie n'est pas un résumé, ainsi, entre autres et par exemple, et même au demeurant, chers demeurés, par ailleurs, en substance, il est indéniable que ça va franchement mal ! À mon avis, il n'est pas exclu, il me semble bien, je suis tenté de dire, il est probable, je suis persuadé, je penche plutôt du côté de, certes, il va de soi, à ce sujet, à ce propos, à cet égard, indiscutablement, autrement dit, il faut souligner, considérons ce cas, attirons l'attention sur le fait, ce qui signifie, malgré, néanmoins, quand même et quoi qu'il en soit, toute considération faite, par conséquent, il faut que ça change ! Ça peut changer...Le changement, mais quand ?

 

 

Dans mon bagage, avec le feuillet de ma conférence et le CD que l'amie pianiste m'a offert, j'ai pris ce livre que je n'avais pas ouvert depuis des années. Le room service à roulettes me propose un café. Va pour l'or noir ! Je lis à présent des tranches de vie réflexive comme celles-ci :

 

Quand je sors pour la promenade, bien disposé et débarrassé de tout souci, je sens poindre au fond de mon âme, dès les premiers pas, une joie d'un ordre inaccoutumé et d'une vivacité singulière...

 

Il est des choses qu'on ose à peine dire, et pourtant ce sont celles qui exigent le plus d'être dites, qui pressent le plus vers le dehors, étant sans doute les plus vivantes en nous...

 

Quand j'eus dix-sept ans, j'étais résolu à étudier le bouddhisme. Je m'attendais à terminer cette étude dans l'espace d'une année, mais je n'y parvins pas. Une autre année passa sans beaucoup de progrès, et trois autres années suivantes me trouvèrent encore sans progrès...

 

Je veux dire que la langue dans laquelle il me serait donné peut-être, non seulement d'écrire, mais de penser, n'est ni le latin, ni l'anglais, ni l'italien, ni l'espagnol, mais une langue dont pas un mot ne m'est connu, une langue que me parlent les choses muettes...

 

Ne faire qu'un avec tout, n'est-ce pas vivre comme les dieux et posséder le ciel sur terre ?

 

Et savez-vous ce qu'est pour moi l'univers ? Vous le montrerai-je en mon miroir ?

 

Nous entrons dans l'ère d'une nouvelle spiritualité, qui sera la contre-partie de la matérialisation de notre monde...(Ah ! quel indécrottable optimisme !)

 

Les sens deviennent d'une finesse et d'une acuité extraordinaire. Les yeux percent l'infini. L'oreille perçoit les sons les plus insaisissables, au milieu des bruits les plus aigus...Oui !

 

 

Le train arrive enfin à Lübeck. Taxi, vieille ville, la porte de Holstein, Marienkirche, ponts, clochetons, rivières Trave et Wakenitz, île de beauté en briques rouges, hôtel calme, douche, bar, whisky. Je remonte avec le verre dans ma chambre. Par la fenêtre ouverte malgré le froid, je devine le centre où je dois me rendre, sur la gauche, plein sud. Je m'allonge sur le lit. Le piano et le violoncelle, complices divins du CD, m'offrent Debussy comme jamais. Le livre s'ouvre mentalement de lui-même à cette page : par qui lancé, le mental va-t-il frapper sa cible ?

 

 

Credo : il y eut de tout temps une réalité secrète dans l'univers, plus précieuse et plus profonde, plus riche en sagesse et en joie que tout ce qui a fait du bruit dans l'histoire...

 

 


(Jacques Masui, De la vie intérieure, Choix de textes, collection Documents spirituels, Éditions des Cahiers du Sud, Paris, 1952 / Hélène Grimaud & Sol Gabetta, Duo, Deutsche Grammophon, 2012)

 

 

 

17 octobre 2012 3 17 /10 /octobre /2012 06:00

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Just think it, and chances are it will happen...

 

 

Au bord du gouffre les salauds qui veulent te bouffer eux aussi la lumière de plus en plus glauque je ne suis pas d'accord un chat noir tu es gentil toi la rivière le parc le kiosque une histoire embrouillée déferlante d'images un écart des échos tornade qu'est-ce qui s'est passé aujourd'hui ? je marche depuis des heures la nausée le bleu du ciel tu parles ! monter descendre monter vite vite j'ai soif les taxis hurlent cent dollars je lui ai filé cent dollars la climatisation en panne le soleil brûlant une garce ce n'est pas mon temps sale temps les affaires au bureau central le tir de barrage incessant c'est une garce dégoût condamnation des harmonies je trébuche vitrines d'artifice à droite à gauche triangle pointu dans ma tête allez vous faire foutre mon vœu formel sa robe soyeuse ses lèvres acharnées les fichiers les enregistrements n'est-ce pas ? étant donné leur situation mais qu'est-ce que je fais ici ? paquets d'humanité à la bouche du métro indexation restitution substitution ça ne s'efface pas ça arrose partout rock cascade flash infirmité grotesque ses seins énergie lactée il était une fois combien de fois je me suis retourné laideur consommation hallucinée béton d'époque inutile le comble du chiffre tout est perméable le ponton les mouettes le vacarme les voix tranchantes je les entends sa peau l'odeur du tabac sur sa peau c'est une direction sans issue le vent le destin le grand dossier noueux sur la table c'est l'ennui je le sais je l'ai toujours su la ménagerie qui court qui se propulse quiproquos les cris stridences de l'abondance boulevard de l'azur soyez libres la vie elle était très excitée légers divers tarés saouls coutumiers regardez-vous perceptions la gloire du crédit j'ai chaud ses deux seins en forme de poires rush rush ivresse révélations plurielles ce monsieur bon pied bon œil toute cette machinerie c'est dérisoire cette mythologie le public le privé les circuits le courrier les écritures les tentacules qui se décomposent maintenant cadres pas grand-chose changeons de logiciel d'algèbre les millions les gros symboles impératifs parodie je veux me laver me doucher le garçon par terre dans un tas de journaux angoisse anthropophagie le flux bruit de fond un mot de travers elle l'a prononcé c'est trop comique je regarde l'abîme des gratte-ciel le chemin des murettes j'ai bu ce vin avant le départ débarquement majeur de l'homme pressé c'est obscène nos liens convertis en métal conscient inconscient plus d'onde comment allons-nous le réanimer ? des mouvements des secousses mon cœur battant partout des vigiles butés le temps qui file son tympan corrompu avoir le bon réflexe ce monde moulé sous injection le bourdon faux faux acheté achevé courir je veux courir à mon tour c'est tragique des bouts de papier dans ma poche j'ai toujours des bouts de papier sur moi je suis nu quel est son nom ? suis ta voie lumière des lettres sacrement des voyelles je me suis vu dans les jardins au sommet des arbres dans les bosquets ma fente vision sérieuse ça continue de plus belle j'ai joui c'est certain je suis venu à la connaissance tout le monde y vient-il un jour ou l'autre ? pas sûr pas sûr cette bienfaitrice un grand coup historique la mémoire s'insémine naturellement où sont les sourires ? les traces ? intrigues chez sodome et gomorrhe un clochard manque se faire écraser parcours céleste intercepté les cloches de l'église en draperies sonores je m'enfonce gravement dans le milieu de la nuit hystérie express l'écueil le même son dépassement l'espace où je pourrais respirer rassembler mes fragments cette autre publicité blasphème nouvelle version de l'enfumage généralisé c'est selon la programmation sans virgule

 

Au bout de l'avenue, j'ai trouvé un bar. Harlem nocturne jouait pour moi. Tout est alors rentré dans l'ordre.

 

 

 

23 septembre 2012 7 23 /09 /septembre /2012 06:00

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Le vert paradis des amours enfantines...


 

La rose blanche

 

Le mûrier d'Asie

 

L'hortensia grimpant

 

Le callicarpe de l'atelier

 

Les fusains mystérieux

 

Le figuier du hasard

 

L'anis étoilé

 

Le plumbago du Cap

 

Le solanum

 

Le rosier des mazets

 

Les phoenix dans le vent

 

L'orme de Sibérie

 

Le géranium rouge

 

Les escargots

 

Le lierre saxifrage

 

Les poissons japonais du bassin

 

Le micocoulier pour l'ombre

 

Les lianes du monstera

 

La tonnelle au chèvrefeuille

 

Les abeilles de la chaleur

 

L'hibiscus sauvé des griffes du chat

 

La bougainvillée - ardente

 

Le jet d'eau à intervalles presque réguliers

 

Les ombelles du fatsia

 

Le miroir des elfes - surprise dans le jour

 

Le buis qui a le temps

 

La montagne au Nord, la mer au Sud

 

Plein Ouest, l'Atlantique

 

Gribouille et les hirondelles en dialogue secret

 

Les orchidées

 

Le tulipier enfant

 

Les impatiens de Nouvelle-Guinée

 

C'est sur la mappemonde, là

 

Et la mousse exquise...

 

 

Mon jardin des quatre saisons. Amours, amitiés, amours. La tonnelle, oui, toujours, vue oblique sur la vie qui va. Temps pour moi suspendu. J'ai sept ans. J'ai soixante-dix-sept ans.

 

 

 

5 septembre 2012 3 05 /09 /septembre /2012 06:00

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Un patch de verdure normande et une malle qui déborde de livres rieurs...

 

 


L’heure avancée, le courrier qui piaffe dans la cour, l’apéritif qui m’attend pantelant dans sa coupe, tout se conjure pour que j’emprunte à la plume d’autrui ma tâche de ce jour.


Je ne sais pas si mon jeune et vaillant ami Narcisse Lebeau destinait à la publicité l’amicale épistole que je reçus, de lui, ce matin. Je n’ai de son intention qu’un souci relatif.


Et puis, d’ailleurs, je n’ai de comptes à rendre à personne.  

 

Quelques fragments de ladite correspondance :

 

« Voici que, tel notre vieil ami Deibler, les jours raccourcissent, mon cher Allais, et, je comprends le désir qui te hante, au moment où tu vas rentrer à Paris, de savoir quelles sont les nouvelles modes, les récentes créations de nos grands couturiers, en un mot, ce qu’on devra porter cet hiver, sous peine de passer pour l’avant-dernier des conducteurs de bestiaux.


Côté des hommes : Nulle transformation palpitante, sauf en ce qui concerne le chapeau haut de forme, lequel, désormais, sera à claire-voie, pour permettre à nos élégants d’en faire une volière où prendront leurs ébats des oiseaux multicolores.


Côté des dames, autre barcarolle :  sache qu’à partir de l’année prochaine, les jeunes filles ne se marieront plus en blanc. Cette couleur était trop salissante. En effet, une jeune mariée s’était à peine roulée dans le charbon de terre que sa robe n’était plus mettable : d’où dépense incompatible avec la plupart des budgets parisiens.


On adoptera, pour les hyménées, le costume mi-partie vert et rouge, plus économique et d’un effet autrement gai.


Le marquis de Lachaize-Persay qui, jeudi, mariera ses deux filles à Saint-Augustin, a l’intention de leur faire porter le costume de son écurie : casaque bleue, manches et toque cerises. On ne sait encore laquelle des deux, Yseult ou Radegonde, aura l’écharpe dans cette épreuve bien parisienne.


 — On a soupé aussi, me disait, l’autre  soir, le prince X…, des coiffures de mariées dont la fleur d’oranger fait tous les frais… La fleur d’oranger ! À quoi rime, par le temps qui court, ce prétentieux symbole ?

Et le prince ajoutait :

 — Remplacez donc cet emblème usé par une bonne garniture de légumes frais, de légumes de pot-au-feu, de préférence.


Et l’idée a si bien fait son chemin que, déjà, plusieurs de nos grandes modistes viennent d’adjoindre à leur magasin une petite fruiterie.


Ces détails paraîtraient peut-être frivoles à tes lecteurs, mon cher Allais ; n’oublie pas de dire à ceux de tes correspondants qui s’étonneraient de notre sollicitude pour les choses de la mode, que toi et moi sommes dans la vie les derniers refuges du dandysme, et qu’il n’est pas de jour que  Dieu fasse — on avouera que le bougre en fait quelques-uns — où nous ne mettions en pratique cette assertion de Beaudelaire : Le véritable dandy doit vivre et mourir devant sa glace (au moins pour ce qui concerne la première partie de cette phrase remarquable).


Permets-moi de terminer par une anecdote qui te montrera que, pendant ton absence, nous n’avons pas cessé d’être le peuple le plus poli et le plus spirituel de la terre.


Pas plus tard qu’hier soir, dans l’omnibus Gare Saint-Lazare-Place Saint-Michel, un jeune homme chauve qui gelait sur la plate-forme est allé offrir sa place à une vieille dame, logée au fond du véhicule.


…À bientôt, mon cher Allais ; je profite de ce que tu es à Honfleur, pour te prier de me rapporter un gros coquillage avec cette inscription : Souvenir de Biarritz.

 Ton vieux franco-russe,
 Narcisse Lebeau. »

 

Sois tranquille, mon vieux Lebeau, tu auras ta conque.


Te souviens-tu, l’année dernière, quand je suis revenu de Belgique et que je t’ai rapporté un bouchon sur lequel j’avais fait graver ces mots : Souvenir de Liège ?


On était jeune, alors.

 

 

(Alphonse Allais, Rose et Vert-Pomme, Paul Ollendorff Éditeur, Paris, 1894)

26 août 2012 7 26 /08 /août /2012 06:00

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Oui l’heure nouvelle est au moins très-sévère.

 

Car je puis dire que la victoire m’est acquise : les grincements de dents, les sifflements de feu, les soupirs empestés se modèrent. Tous les souvenirs immondes s’effacent. Mes derniers regrets détalent, — des jalousies pour les mendiants, les brigands, les amis de la mort, les arriérés de toutes sortes. — Damnés, si je me vengeais !

 

Il faut être absolument moderne.

 

Point de cantiques : tenir le pas gagné. Dure nuit ! le sang séché fume sur ma face, et je n’ai rien derrière moi, que cet horrible arbrisseau !… Le combat spirituel est aussi brutal que la bataille d’hommes ; mais la vision de la justice est le plaisir de Dieu seul.

 

Cependant c’est la veille. Recevons tous les influx de  vigueur et de tendresse réelle. Et à l’aurore, armés d’une ardente patience, nous entrerons aux splendides villes.

 

Que parlais-je de main amie ! Un bel avantage, c’est que je puis rire des vieilles amours mensongères, et frapper de honte ces couples menteurs, — j’ai vu l’enfer des femmes là-bas ; — et il me sera loisible de posséder la vérité dans une âme et un corps.

 

 

(Arthur Rimbaud, Une saison en enfer, 1873) 

 

 

 

12 août 2012 7 12 /08 /août /2012 06:00

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Si j'ai du goût, ce n'est guère que pour la terre et les pierres...

 

 

Ciel d'hiver austral.

 

Il ne faisait pas chaud ce matin-là au Thanta Katu, le grand marché à la brocante de ce district populaire de La Paz.

 

Bonnets et chandails étaient une nécessité contre la rigueur. Colorés par l'ancienne saison, les pimentos eux-mêmes se serraient dans les jarres de jute pour résister au froid pointu.

 

Un peu à l'écart, sur deux planches en guise d'étal, un vieil Indien avait disposé toutes sortes de roches, minéraux et pierres. Son visage que fendait un large sourire invitait à la discussion. J'ai donc appris qu'il avait trouvé ces expressions de la nature au gré de courses dans la montagne et qu'il s'était dit que les vendre, pour des prix modiques, sur ce marché en plein air était, somme toute, un commerce comme un autre. Cet Indien était philosophe.

 

J'ai immédiatement été attiré par sa petite collecte de pierres à  images. Les paysages plus ou moins fantastiques, plus ou moins métaphoriques qui montaient des fragments n'offraient pas la splendeur graphique de ceux que l'on peut admirer sur certains exemplaires de marbres toscans. Mais deux ou trois parmi eux ont fini par exercer leur effet onirique sur mon esprit flottant et, pour une poignée de bolivianos, après avoir salué celui qui m'a dit s'appeler Kasa, les trois pierres dans un sac de cuir, je me suis évadé dans un rêve.

 

Évasion, oui, c'est ça.

 

De retour à mon hôtel, lu mentalement cette phrase de Caillois : De tout temps, on a recherché non seulement les pierres précieuses, mais aussi les pierres curieuses, celles qui attirent l'attention par quelque anomalie de leur forme ou par quelque bizarrerie significative de dessin ou de couleur...

 

Vérifié une fois encore : les chemins de l'existence ont la complexité des chemins lithiques.

 

(Roger Caillois, L'Écriture des pierres, Albert Skira, 1970) 

 

 

 

15 juillet 2012 7 15 /07 /juillet /2012 06:00

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Souviens-toi...

 

 

Une autre fois, j'avais encore claqué une porte. J'étais très chat écorché à l'époque.

 

Je suis parti sur un chemin plongé dans une brume bien épaisse. Il faisait chaud, il n'y avait pas de vent et les genets en fleurs me servaient de balises. La contradiction avait disparu.

 

J'ai marché longtemps. Ce qu'il y a de bénéfique, c'est qu'avec une telle énergie rageuse, on peut aller loin.

 

Sur la lande, adossé à un monticule, un appentis en dur au fronton duquel j'ai lu le temps d'une éclaircie : Remember...

 

Des années plus tard, j'ai retrouvé l'endroit et l'inscription. Rien n'avait changé. Les lettres lovées dans l'ovale de la pierre avaient gardé la netteté de leurs caractères.

 

Un ami maçon me dit que ce mutus liber est parlant.

 

Une amie psychanalyste me déroule les cycles sensibles de la vie.

 

Un ami écrivain écoute, attentif.

 

Entre-temps, je n'ai plus claqué de porte et suis devenu l'apprenti de ma propre existence. 

 

Et pour bien me souvenir de tout, j'ai appris des dizaines de textes par cœur, dans des langues diverses, et les ai associés à un élément minéral, animal ou végétal.

 

L'art de la connaissance, l'art de la mémoire et l'art de la récitation sont liés. 

 

Au fait, la récitation : un viatique pédagogique pour notre école en déclin ?

 

 

(Frances Amelia Yates, L'Art de la mémoire, traduit de l'anglais par Daniel Arasse, Gallimard, 1975)

 

 

 

4 juillet 2012 3 04 /07 /juillet /2012 06:00

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Pour le parfait flâneur, pour l’observateur passionné, c’est une immense jouissance que d’élire domicile dans le nombre, dans l’ondoyant, dans le mouvement, dans le fugitif et l’infini...

 

 

Nous sommes à la toute fin des années 1960. Londres est alors en pleine mutation sociologique : ça bouge dans tous les sens. Stratégie ? Dans l'ombre, sans aucun doute. Quoi qu'il en soit, un laissez-faire qui tranche sur la grisaille continentale.

 

À l'isolement volontaire au sein de communes peu ordinaires au fin fond des Rocheuses prôné, non sans raison, par quelques irréductibles - un couple, un chien et une cabane en bois de récupération tous les deux miles -, c'est le mode, la mode, du happening très groupal qui prévaut, pour un oui ou pour un non, downtown London.

 

Cette effervescence, après une décennie moralement difficile, comme à peu près partout en Europe, certains, par conformisme culturel et frilosité politique, finissent par la juger dangereuse : We must keep Britain right ! - Pas de ça chez nous...Réplique inévitable : Keep things left ! - Vive le changement !

 

Ce joyeux babil ambiant m'amusait. Je me rendais vite compte que beaucoup de déclarations fracassantes lancées par tel ou tel artiste en vogue étaient déjà périmées du point de vue de la vraie culture, et qu'en général les comportements des jeunes adultes qui ruaient diversement dans les brancards de l'Old England dénotaient un goût situé massivement au niveau des sucettes. Mais bon, il me fallait trier ce qui flottait sur l'écume et toutes les expressions, individuelles ou coopératives, n'était pas que de pacotille. 

 

Donc, sur la carte du temps, on peut me croiser du côté de Leicester Square, d'Oxford Circus ou de Saint Martin's Lane.

 

Logé hors du tumulte de la capitale dans une famille qui avait fui la répression de l'automne 1956 à Budapest, je prenais le train quasiment chaque jour à la gare de Welling pour arriver, une petite demi-heure après, tantôt à London Victoria, tantôt à Charing Cross Station.

 

Dans mon esprit, Welling rimait avec swinging

 

Les membres de cette famille exilée parlaient un anglais impeccable, buvaient du porto vintage et connaissaient sur le bout de la mémoire des chapitres entiers des plus universels récits du grand Charles Dickens.

 

J'avais, cet été-là, le meilleur des deux voies : la tradition et la transition.

 

L'idée de marcher dans l'odeur d'asphalte chaud me procurait une joie à l'avance et c'est pourquoi, quitte à allonger le pas vers mes quartiers de prédilection, je préférais descendre à la gare de Victoria. J'aimais bien aussi le son des lourdes portières que l'on claquait une fois le train à quai, le sourire des porteurs indiens et le théâtre cockney des infatigables crieurs de journaux.

 

Je sortais à droite pour remonter Victoria Street, - les marchands de tabac, de timbres, de pièces de collection, les boutiques serrées les unes contre les autres, il est cinq heures du soir, dit le clerk, l'employé, je sors du bureau, j'entre et emporte un peu de la grandeur fanée de l'Empire dans ma banlieue -,  puis Westminter Abbey, Big Ben, phare dans la brume estivale, Whitehall et Trafalgar Square enfin.

 

Une autre fois, sur cette avenue, j'ai été invité à découvrir les tours et détours de Scotland Yard. À la fin de la visite, l'un des bobbies m'a offert ce sifflet de policeman reconnaissable entre tous. Je l'ai toujours.

 

J'ai aussi beaucoup fréquenté la National Gallery. Longues conversations muettes avec Gainsborough et Van Gogh. Le porche de Saint-Martin-in-the-Fields ensuite, de l'autre côté de la place, à la fraîcheur duquel je notais avidement mes choses vues dans le musée.

 

Pêle-mêle sur Pall Mall, j'échangeais souvent des cigarettes avec des filles plus extravagantes les unes que les autres qui, revenues de Carnaby Street-frou-frou, étaient incapables d'aligner trois mots sensés. Mariage et ribambelle de gamins, leur destin, ça me sautait aux yeux, était gravé dans le marbre des conventions. Saoulantes quand elles lâchaient le mot revolution à jet continu, voulant sans doute imiter les hommes, pardon, leurs homologues masculins, car incapables de la moindre réforme personnelle. À Berlin, Amsterdam, San Francisco, Rome ou Paris, dans ces heures similaires, d'autres filles, elles bien plus futées.

 

Je les saluais et remontais vers le nord, vers le district que j'estimais infiniment plus sûr des libraires d'occasion. J'ai toujours eu un besoin radical de compagnons vraiment vivants. Revêtus de leur cuir vert et rouge aux titres coruscants, ils me tendaient les bras aux étals de Charing Cross Road. Exultation. Plaisir. C'est dans l'une de ces librairies, l'une des plus fameuses, Marks & Co., que j'ai découvert un de ces bons compagnons, Arabia Deserta écrit par Charles Montagu Doughty en 1888. Je venais de lire The Time of the Assassins : A Study of Rimbaud de mon cher Henry Miller et trouvais dans l'ouvrage de Doughty une coïncidence juteuse à méditer.

 

Dans la bascule des années 1990, une amie m'offre un souvenir romancé, plein de charme, 84, Charing Cross Road, d'une certaine Helene Hanff. Je retrouve instantanément ma librairie-monde et toutes les autres. Les échange épistolaires entre l'auteur et le bouquiniste, matière du livre, forment, pour ainsi dire, l'anagramme de mon corps en mouvement à l'époque.

 

Depuis, Marks & Co. a disparu. L'autre jour, j'ai feuilleté ce petit livre, sans nostalgie mais avec émotion. Est-ce bien moi qui ai vécu tout ça ?

 

 

 

(Helene Hanff, 84, Charing Cross Road, Sphere, London, 1982 / Le Livre de Poche, Paris, 2003 / Barry Miles, In The Sixties, Pimlico, 2003 / Charles Montagu Doughty, Arabia Deserta, Jonathan Cape, 1931 / Henry Miller, The Time of the Assassins : A Study of Rimbaud, New Directions, New York, 1956 - Le Temps des assassins, Denoël, Paris, 2000)

 

 

 

20 juin 2012 3 20 /06 /juin /2012 06:00

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Je méditais cette nuit ; j’étais absorbé dans la contemplation de la nature ; j’admirais l’immensité, le cours, les rapports de ces globes infinis que le vulgaire ne sait pas admirer...

 

 

Les écrivains ou les peintres qui prennent un pseudonyme ont souvent de bonnes raisons de le faire : François-Marie Arouet n'est pas terrible alors que Voltaire...

 

Voici ce que je me dis ce matin au British Museum devant une série d'estampes de mon cher Hiroshige. Il a recomposé son patronyme non pas pour se fondre jusqu'à une totale dilution dans les paysages naturels qu'il exalte de son pinceau magique mais au contraire pour mieux éclater de vérité.

 

Le bel été au présent.

 

Je sors et me repose un moment sur les marches. Sommet de l'extase silencieuse. Il n'est pas encore midi. Soleil très haut sur la capitale anglaise. Hortensias en fleurs. Chênes indéracinables. Mésanges bleues et jaunes. Rumeurs lointaines comme apaisées. Agréable frisson le long de l'échine. Suspension du tout. Comprenne qui pourra.

 

Allez, je récapitule :

 

petite Terre fatiguée, crises économiques, qu'est-ce qui nous est vraiment vital ?, mensonges d'État, fusillades, terrorisme, I am watching you, panade humaine, groupuscules nauséabonds, pétrole plombé, barbares en embuscade, guerre ici, guerre là, vous ne voyez pas pourquoi ?, faciès délictueux, enfermement d'office, Artaud aurait du souci à se faire, Net interdit, roublardise sociale avérée, avenir bien portant d'une illusion, sur un chemin montant, sablosé et maloseux, une campagne présidentielle d'un ennui sidéral, urban cancer galopant, but de la pub : pub au but, ronronnement des marchés financiers, vous ne voyez toujours pas pourquoi ?, Weltanschauung univoque, bavures et encore bavures, fascisme larvé, continents incontinents, chômage, mais qui va payer les retraites ?, les glaciers fondent, eux aussi n'en peuvent plus, captations, reptations, langue détruite, école flinguée, bofisme ravi, diplômes pliés, violence sans vergogne, à cheval sur la discipline, par les vallons, je vais devant moi, j'extermine les bataillons, conquérir la Lune ou Mars, ils sont fous, frilosité, empêchement, handicap général, jalousie, j'en suis déjà à la deuxième page de mon carnet, un authentique Moleskine, salut à toi Ernest, ressentiment, méchanceté gratuite, rat race, panier de crabes, pingrerie, vide d'anges, retard à l'allumage, perte de plasticité neuronale, fuites, ragots, délations, clans, larrons en foire, pôles pollués, au secours !, au sec, l'ours !, sondages insondables, redressement tous azimuts du dressage, la bêtise est votre fort, écrans de la platitude, paradis fiscaux, affirmations, dénégations, servitude volontaire, complaisance, connivence, complicité, suffisance, voyous sans idéal, capitaines d'industries, banque, usine, la banquusine, pandémie redondante, on ne rigole pas, sibylline organisation du sauvetage, trucs et trucages, eau douteuse, drogues dures, galimatias aux nues, les coqs font une drôle de tête, du bruit, du bavardage, du bruit. En boucle.

 

À part ça, tout va très bien, madame la marquise - il n'y a plus de marquises, que des top models rachitiques. Qui plus  est, on ne dit pas madame la marquise, mais marquise. Nous vivons une époque formidable.

 

Ma chère et brave petite Terre, je t'aime.

 

On verra bien.

 

Massif de violettes multicolores. Elles sont entrées dans les lignes, dans cette encre noire sur fond blanc.

 

L'homme ne doit pas créer le malheur dans ses livres. D'accord ?

 

Ukiyo-e. Monde flottant et subtil. Je m'y sens bien - au-delà des images.

 

Luxe, calme, élégance.

 

 

 

(Hiroshige : The Master of Nature, Skira Editore, 2009 )