Si j'ai du goût, ce n'est guère que pour la terre et les pierres...
Ciel d'hiver austral.
Il ne faisait pas chaud ce matin-là au Thanta Katu, le grand marché à la brocante de ce district populaire de La Paz.
Bonnets et chandails étaient une nécessité contre la rigueur. Colorés par l'ancienne saison, les pimentos eux-mêmes se serraient dans les jarres de jute pour résister au froid pointu.
Un peu à l'écart, sur deux planches en guise d'étal, un vieil Indien avait disposé toutes sortes de roches, minéraux et pierres. Son visage que fendait un large sourire invitait à la discussion. J'ai donc appris qu'il avait trouvé ces expressions de la nature au gré de courses dans la montagne et qu'il s'était dit que les vendre, pour des prix modiques, sur ce marché en plein air était, somme toute, un commerce comme un autre. Cet Indien était philosophe.
J'ai immédiatement été attiré par sa petite collecte de pierres à images. Les paysages plus ou moins fantastiques, plus ou moins métaphoriques qui montaient des fragments n'offraient pas la splendeur graphique de ceux que l'on peut admirer sur certains exemplaires de marbres toscans. Mais deux ou trois parmi eux ont fini par exercer leur effet onirique sur mon esprit flottant et, pour une poignée de bolivianos, après avoir salué celui qui m'a dit s'appeler Kasa, les trois pierres dans un sac de cuir, je me suis évadé dans un rêve.
Évasion, oui, c'est ça.
De retour à mon hôtel, lu mentalement cette phrase de Caillois : De tout temps, on a recherché non seulement les pierres précieuses, mais aussi les pierres curieuses, celles qui attirent l'attention par quelque anomalie de leur forme ou par quelque bizarrerie significative de dessin ou de couleur...
Vérifié une fois encore : les chemins de l'existence ont la complexité des chemins lithiques.
(Roger Caillois, L'Écriture des pierres, Albert Skira, 1970)