17 décembre 2014 3 17 /12 /décembre /2014 07:00

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Du rire et des chansons...

 

 

Le train vers Bruxelles. Conférence. Journaux : pétrole, consortiums mondialisés, l'avenir d'une illusion.

 

Lecture :

 

« Vers cette époque, je me suis trouvé, un jour, encore assez  riche pour enlever aux démolisseurs et racheter en deux lots les boiseries du salon, peintes par nos amis. J’ai les deux dessus de porte de Nanteuil ; le Watteau de Vattier, signé ; les deux panneaux longs de Corot, représentant deux paysages de Provence ; le Moine rouge, de Chatillon, lisant la Bible sur la hanche cambrée d’une femme nue, qui dort ; les Bacchantes de Chassériau, qui tiennent des tigres en laisse comme des chiens ; les deux trumeaux de Rogier, où la Cydalise, en costume régence, — en robe de taffetas feuille morte, triste présage ! — sourit, de ses yeux chinois, en respirant une rosé, en face du portrait en pied de Théophile, vêtu à l’espagnole. L’affreux propriétaire, qui demeurait au rez-de-chaussée, mais sur la tête duquel nous dansions trop souvent, après deux ans de souffrances, qui l’avaient conduit à nous donner congé, a fait couvrir depuis toutes ces peintures d’une couche à la détrempe, parce qu’il prétendait que les nudités l’empêchaient de louer à des bourgeois. — Je bénis le sentiment d’économie qui l’a porté à ne pas employer là peinture à l’huile.

De sorte que tout cela est à peu près sauvé. Je n’ai pas retrouvé le Siège de Lérida, de Lorentz, où l’armée française monte à l’assaut, précédée par des violons ; ni les deux petits Paysages de Rousseau, qu’on aura sans doute coupés d’àvance ; mais j’ai, de Lorentz, une maréchale poudrée, en uniforme Louis XV. — Quant à mon lit renaissance, à ma console Médicis, à mes buffets, à mon Ribeira, à mes tapisseries des Quatre Éléments, il y a longtemps que tout cela s’était dispersé.

— Où avez-vous perdu tant de belles choses ? me dit un jour Balzac.

— Dans les malheurs ! lui répondis-je en citant un de ses mots favoris. »

 

Tiens, encore des oiseaux dans les arbres...

19 novembre 2014 3 19 /11 /novembre /2014 07:00

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On peut voir rouge ou passer son chemin...


 

Plus ça change, plus c'est la même chose... L'actualité qui n'en est jamais vraiment une...

 

De retour d'Écosse — on a pu mettre en perspective, common decency oblige, ce que le récent référendum a produit — je trouve dans ma boîte aux lettres un prospectus rutilant envoyé par mon FAI (fournisseur d'accès à l'Internet) qui m'annonce, grammaire mandarinale et vocabulaire fleuri en caractères contrastés, que je suis, je cite, « éligible à la fibre » et me vante à gros renfort de ficelles commerciales, dans et entre les lignes, le bénéfice d'une installation jusqu'à ma maison, mon salon et, pourquoi pas ?, mon lit pour profiter au mieux de services (sic) dont je n'ai nul besoin. Je passe sur les mails, pardon, courriels pour parler comme nos amis Canadiens, qui m'ont relancé, tancé, abusé pendant plusieurs jours.

 

Ce dont j'ai besoin, c'est d'une connexion fiable par tous les temps, qui me laisse justement du temps pour faire autre chose que de la maintenance (débrouillardise) informatique matin, midi et soir vu les réalités dépréciatives ultra concrètes sur le terrain ici comme ailleurs, réalités qui ne vont pas en s'arrangeant contrairement aux idées reçues... J'utilise les technologies nouvelles avec discernement.

 

Je pousse, malgré tout, la curiosité jusqu'à prendre un rendez-vous avec l'équipe (équipe ?) d'experts techniques. Les experts... Eux savent... Ils savent si bien qu'ils n'ont même pas pris la peine d'établir un audit préalable de la situation physique, audit selon l'expression consacrée. En vrai, ils n'écoutent pas et n'entendent que leur satané cahier des charges. Le Diable est toujours dans les détails.

 

— Ouh là, vos murs font près d'un mètre d'épaisseur ! On va pas pouvoir percer !

 

Force moulinets de bras et dodelinements méridionaux des têtes.

 

— Je me suis pourtant fendu de longues conversations téléphoniques avec vos services respectifs pour vous décrire au plus juste la configuration locale...

 

Trois fois sur quatre, je reste zen (langage branché...) quant à l'avancée façon char d'assaut de la Technique (majuscule de circonstance) à l'époque d'antique modernisme. Un certain Martin brossé ces jours-ci comme, de reste, à l'accoutumée comme un vilain bonhomme au passif sulfureux a rempli des centaines de feuillets sur le sujet... Mais là, la moutarde commençait à me monter au nez.

 

— Ah, nous, on est la société qui sous-traite. On n'est pas le service commercial...

— C'est sûr. À l'évidence, sans paraître désobligeant, cette méthode de travail n'est pas la bonne...

— Ah, vous savez, chacun travaille dans son secteur. Et puis, de toute les façons, il va falloir changer toutes les paires de cuivre, les raccordements, et puis, on sait pas ce qu'on va trouver...

— Bref, vous ne voulez pas faire le travail...

— Ah, mais c'est trop compliqué. Pour un logement collectif ou un bâtiment public, je ne dis pas, mais là...

— Comment ça ? En tant que citoyen, je ne peux pas...

— Ah, nous, c'est ça la procédure pour les particuliers... On a des ordres... Tous vos appareils doivent être groupés au même endroit... Il faut faire simple... Et il faut prendre la box...

— La box ?

— Oui, c'est obligatoire... Et il y a un abonnement mensuel...

— OK. Je ne suis pas convaincu que la simplicité l'emporte... Restons-en là.

 

Le grand plan numérique, tu parles ! Incantations parlementaires.

 

Un jeune se serait exclamé : « Foutage de gueule ! ».

 

Numérique ou analogique, autre titre possible.

 

Analogique, c'est dans mon ADN.

15 octobre 2014 3 15 /10 /octobre /2014 06:00

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Des forces contraires... Vraiment ?

 

 

Le nom sur la carte, le globe, la mappemonde.

 

Qui n'a jamais rêvé de se promener dans le couloir maritime d'Arkhangelsk ?

 

Il y a des lieux comme ça. Des toponymies. Des topologies.

 

Nijni Novgorod. Sakhaline. Baïkal.

 

Denses forêts de pins. Cristal de neige. Saumon caracolant.

 

Parfois un pin solitaire.

 

Une attraction étrange.

 

Ce morceau de roche noire au fort de ma main.

 

Loups et ours.

 

Brume lumineuse.

 

Je vais vous dire : je connais un coin...

10 septembre 2014 3 10 /09 /septembre /2014 06:00

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Plus dégourdi que Péguy...

 

 


« Beargrass-Creek, l’un de ces délicieux cours d’eau qui arrosent les riches cultures du Kentucky, serpente sous les épais ombrages de superbes forêts de hêtres au milieu desquels sont dispersées diverses espèces de noyers, de chênes, d’ormes et de frênes qui le couvrent tout au long sur chacun de ses bords. C’est là, près de Louisville, que je fus témoin de la fête destinée à célébrer l’anniversaire de la glorieuse proclamation de notre indépendance. Au loin, dans l’ouest, les bois déployaient leur majestueux rideau de verdure, jusque vers les beaux rivages de l’Ohio ; tandis que, vers l’est et le sud, leurs cimes ondoyaient par-dessus les campagnes aux pentes légèrement inclinées. Sur chaque lieu découvert apparaissait une plantation, souriant dans la pleine abondance d’une moisson d’été, et le fermier semblait rester en extase devant la magnificence d’un tel spectacle. Les arbres de ses vergers inclinaient leurs branches, comme impatients de rendre à leur mère, la terre, les fruits dont ils étaient chargés ; nonchalamment étendus sur l’herbe, les troupeaux ruminaient à loisir, et la chaleur naturelle à la saison les invitait encore à s’abandonner plus complètement au repos.  


Libre et franc de cœur, hardi, droit, et s’enorgueillissant de ses aïeux virginiens, le Kentuckyen a fait ses préparatifs pour célébrer comme d’habitude l’anniversaire de l’indépendance de son pays. Ou est sûr qu’aux environs ils sont tous d’un même accord : qu’est-il besoin d’invitation personnelle, là où chacun est toujours bien reçu de son voisin ; là où, depuis le Gouverneur jusqu’au simple garçon de charrue, tout le monde se rencontre, l’allégresse dans l’âme et la joie sur le visage ?


C’était, en effet, un bien beau jour ! Le soleil étincelant montait dans le clair azur des cieux ; l’haleine caressante du zéphyr embaumait les alentours du parfum des fleurs ; les petits oiseaux modulaient leurs chants les plus doux sous l’ombrage, et des milliers d’insectes tourbillonnaient et dansaient dans les rayons du soleil ; fils et filles de la Colombie semblaient s’être réveillés plus jeunes ce matin-là. Depuis une semaine et plus, serviteurs et maîtres n’étaient occupés qu’à préparer une place convenable. On avait soigneusement coupé le taillis ; les basses branches des arbres avaient été élaguées, et l’on n’avait laissé que l’herbe, verdoyant et gai tapis pour le sylvestre pavillon. C’était à qui donnerait bœuf, jambon, venaison, poule d’Inde et autres volailles ; là se voyaient des bouteilles de toutes les boissons en usage dans la contrée ; la belle rivière avait mis à contribution le peuple écaillé de ses ondes ; melons de toutes sortes, pêches, raisins et poires eussent  suffi pour approvisionner un marché ; en un mot, le Kentucky, la terre de l’abondance, avait fait fête à ses enfants. »


 

Passé le 31 août, ils vont s'enfoncer dans les marnes :

 


« Vous n’avez plus connu la prodigalité
D’un monde qui savait se refaire à mesure.
Vous n’avez plus connu cette impudente usure
D’un monde ivre de sève et de vitalité.
 
Vous n’avez plus connu que de l’eau d’un canal.
Et le ménagement, et l’écluse, et le bief.
Et le gouvernement sous un si pauvre chef.
Et le lanternement sous un maigre fanal. »

 

 

Allez, New York, 57th Street...

3 septembre 2014 3 03 /09 /septembre /2014 06:00

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Les symptômes visuels...

 

 

 

« Trois mois après que je fus mousquetaire, c'est-à-dire en mars de l'année suivante, le roi fut à Compiègne faire la revue de sa maison et de la gendarmerie, et je montai une fois la garde chez le roi. Ce petit voyage donna lieu de parler d'un plus grand. Ma joie en fut extrême; mais mon père, qui n'y avait pas compté, se repentit bien de m'avoir cru et me le fit sentir. Ma mère, après un peu de dépit et de bouderie de m'être ainsi enrôlé par mon père malgré elle, ne laissa pas de lui faire entendre raison et de me faire un équipage de trente-cinq chevaux ou mulets, et de quoi vivre honorablement chez moi soir et matin. Ce ne fut pas sans un fâcheux contretemps, précisément arrivé vingt jours avant mon départ. Un nommé Tessé, intendant de mon père, qui demeurait chez lui depuis plusieurs années, disparut tout à coup et lui emporta cinquante mille livres qui se trouvèrent dues à tous les marchands dont il avait produit de fausses quittances dans ses comptes. C'était un petit homme, doux, affable, entendu, qui avait montré du bien, qui avait des amis, avocat au parlement de Paris, et avocat du roi au bureau des finances de Poitiers. »

 

On ne veut rien voir, rien savoir ? Langue de bois et arguments marketing.

 

Pendant ce temps-là, la tirelire s'invite chez l'oiseau de paradis...

4 septembre 2013 3 04 /09 /septembre /2013 06:00

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Cette rentrée vous ennuie et vous ne savez, au fond, dans quelle direction vous tourner. Lisez ou relisez Aeropagitica, a Speech for the Liberty of Unlicensed Printing, tract rédigé par John Milton, poète républicain, en 1644. Et retenez ce qui suit avec tous vos sens : "A good book is the precious lifeblood of a master spirit, embalmed and treasured up on purpose to a life beyond life."

 

La « Torche de Provence », autrement dit Mirabeau, s'est intéressé de près à ce discours fondateur au point de l'adapter en langue française à l'orée d'une certaine révolution.

 

140 caractères largement dépassés par un tempérament hors de la norme...

 

 

(John Milton, Areopagitica and other prose works, Everyman's Library, Dutton, 1927 / Écrits politiques, traduit de l'anglais par Marie-Madeleine Martinet, Belin, 1993)

 

 

 

7 août 2013 3 07 /08 /août /2013 06:00

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L'ordre des choses devrait plutôt être inversé — le dimanche devrait être le jour du labeur de l'homme...

 

 

C'est l'un de ces beaux matins du monde. Hors des sentiers battus (les pauvres...), je me réveille dans un village coloré de la communauté Miao. Pour bien démarrer la journée, lecture près du brasero :

 

« The history of the world, it has been justly observed, is the history of the progress of humanity; each epoch is characterized by some peculiar development; some element or principle is continually being evolved by the simultaneous, though unconscious and involuntary, workings and struggles of the human mind. Profound study and observation have discovered, that the characteristic of our epoch is perfect freedom — freedom of thought and action. The indignant Greek, the oppressed Pole, the zealous American, assert it. The skeptic no less than the believer, the heretic no less than the faithful child of the church, have begun to enjoy it. It has generated an unusual degree of energy and activity — it has generated the commercial spirit. »

 

(« L’histoire du monde, comme on l'a fait remarquer avec justesse, est l’histoire du progrès de l’humanité ; chaque époque se caractérise par un développement singulier ; un élément ou principe évolue continûment grâce aux activités et aux luttes simultanées, quoique inconscientes et involontaires, de l'esprit humain. L'étude approfondie et l'observation ont révélé que la spécificité de notre époque consiste en une parfaite liberté – liberté de pensée comme liberté d'action. Les Grecs indignés, les Polonais oppressés ainsi que les Américains vigilants l'affirment. Le sceptique autant que le croyant, l’hérétique autant que le fidèle enfant de l’Église, ont commencé à s’en réjouir. Elle a généré un degré inouï d’énergie et d’activité – elle a généré l’esprit commercial. »)

 

Un texte de jeunesse, dit-on, oui, et qui trouvera des prolongements fertiles dans le chapitre Économie de Walden...

 

Sur l'épaule de la femme qui me sert un bol de thé un aigle à ventre roux. Désirable estampe mobile.

 

Qu'en pense la grue à crête rouge ?

 

 

(Henry David Thoreau, The Commercial Spirit of Modern Times Considered in Its Influence on the Political, Moral, and Literary, 1837)

 

 

 

17 juillet 2013 3 17 /07 /juillet /2013 06:00

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J'ouvre le livre :

 

« Espiègle — On peut admirer comment une langue sait faire de la grâce et de l’agrément avec un mot qui semblait ne pas s’y prêter. Il y a en allemand un vieux livre intitulé Till Ulespiegle, qui décrit la vie d’un homme ingénieux en petites fourberies. Remarquons que Ulespiegel signifie miroir de chouette. Laissant de côté ce qui pouvait se rencontrer de peu convenable dans les faits et gestes du personnage, notre langue en a tiré le joli mot espiègle, qui ne porte à l’esprit que des idées de vivacité, de grâce et de malice sans méchanceté. C’est vraiment, qu’on me passe le jeu de mot, une espièglerie de bon aloi, que d’avoir ainsi transfiguré le vieil et rude Ulespiegle. »

 

Maître...

 

(Émile Littré, Pathologie verbale ou lésions de certains mots dans le cours de l'usage in Études et glanures pour faire suite à l'histoire de la langue française, Éditions Didier, 1880)

6 février 2013 3 06 /02 /février /2013 07:00

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Vivez, ah ! Vivez donc, et qu'importe la suite ! N'ayez pas de remords. Vous n'êtes pas Juge...

 

 

Oui, vivez, il en restera toujours quelque chose. 

Sénèque : apprendre à vivre.

Qu'est-ce qu'une vie ?

Est-ce ainsi que les hommes vivent ?

Le bien contre le mal.

Always.

L'oiseau, cette aurore, sur la branche.

Bonjour gentil petit oiseau.

Merle moqueur. 

Je lis : Notre ère est la première - la première, je souligne - à avoir fait de la pénétration des consciences collectives et publiques par des milliers de consciences individuelles, parmi les mieux formées d'entre elles, une activité à plein temps.

Des analyses sociologiques par tombereaux entiers. Très peu d'analyses politiques. Tu m'étonnes.

L'expression : les sans-grades.

L'humanité en haillons : Lumpenhumanität. Littéralement.

Je lis : Il est à présent question de s'introduire dans les consciences à des fins de manipulation, d'exploitation et de contrôle.

Perte des sensations - fin d'un monde.

Et la religion, tiens, qui se porte derechef comme un charme.

Il s'en trouve même quelques-uns prêts à mourir pour elle.

On est mal barré.

Athée, pas agnostique.

Ouh là là, tu vas avoir des ennuis.

Je suis comme je suis.

  Les coquillages sur le manteau de la cheminée.

Dialogues homériques silencieux.

Mon agenda.

Des bouts de papier sur chaque jour.

Mes contrats.

Il me faudra téléphoner au plombier.

La tuyauterie générale.

La remettre d'aplomb et d'équerre.

Je me ravise.

Illusoire, la maîtrise de la circulation des flux.

Emplir de graines fraîches l'assiette au jardin.

Dans certains pays, les chiens reçoivent des coups de pied au cul.

Le bulletin de santé. Le bulletin Dada.

La liste des courses. Le ravitaillement. La guerre joue les prolongations.

La conférence à Paris. Celles à Berlin et à Stockholm.

Billets de trains, billets d'avions. Les réservations.

Merci de confirmer votre arrivée.

Carte de paiement. Carte d'identité. Carte d'embarquement.

C'est vous ? Je ne vous ai pas reconnu...

C'est vous ! Je vous ai reconnu tout de suite !

L'hôtel. Les hôtels.

Les voix. Les visages. Les bars.

Madame Toutafait, Monsieur Departout-Menfinvoyons.

Des réseaux sociaux.

La journaliste, blonde, brune, rousse, veut que je parle à la radio.

Debout à cinq heures.

Pas un chat dans la rue.

J'allume la radio : votre temps est allé se coucher.

Le livre n'est vraiment plus la Bible.

Que m'importe !

La douche bien chaude, un café, le figuier fantomatique.

Velours, lin, ma casquette irlandaise.

Dans la bibliothèque mondiale.

Montaigne n'a pas écrit ses Essais ? Et alors ?

Une heure, rien qu'une heure avec Michel.

La machine à remonter le temps - tu parles d'une histoire !

Je travaille.

Et toi, toi et toi, travailles-tu ? Pas sûr. Et certain du contraire.

Des faiseurs, neuf fois sur dix. Qui compilent et truquent.

Rapports financiers exubérants par dessus le marché.

Comparaison n'est pas raison ?

La fin de l'empire romain - en pire.

Groupements brutaux d'intérêts, cliques, clans.

La colline verdoyante, le rivage ensoleillé, passe ton chemin.

Ce film d'autrefois l'autre jour à la télé.

L'Homme de Rio.

Un moins que rien, une bleusaille, un pitre hâbleur.

Mais le voici soudain roi de ses vingt-quatre heures à lui.

Héros masculin d'un jour.

S'il savait !

Sois le héros de tes jours !

Les manuscrits bruissent dans le jour qui se lève.

Cette annotation, hier était demain.

Les photos sur le mur nord.

Promenade.

The hot pursuit of pleasure.

Glenn Gould à l'orgue. Oui, à l'orgue.

Mon tour : je joue sur tous les claviers.

  Emma Peel est plongée dans les Voyages de Gulliver.

Le regard intense de Whitman.

Ce moine dans une lamaserie livresque, 1920.

Les mille pots de Willem de Kooning.

Pas d'hésitation sur le choix de la couleur.

Profil de Nietzsche.

Arthur Rimbaud en ovale décalé.

Près de la rivière, un pèlerin japonais.

Une femme, celle-ci, et cette autre.

The free voice.

Là, j'ai cinq ans, dix ans, tous les ans.

Sous la lampe, le testament, Deux ans de vacances.

 

Présent : monde mobile, je fais la magique étude du bonheur, que nul n'élude.

Et vous adresse mon salut fraternel.

 

 


23 janvier 2013 3 23 /01 /janvier /2013 07:00

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J'ai parcipité à une production arémicaine...

 

 

On vous promettait un accueil inoubliable. À commencer par une soirée radieuse au coin d'un feu de tourbe. Vraiment. Les guides touristiques compulsés et les sites Internet parcourus ne tarissaient pas d'éloge. Les clichés multifacettes en couleur non plus : The Best Resting Place In Ireland. Rien que ça !

 

Sur notre trajet, découverte de la redécouverte irlandaise, la halte apparaissait bigrement enchanteresse dans son écrin de verdure (sic). Les présentations similaires croulant comme toujours sous la vantardise la plus enfantine, nous étions, l'amie et moi, quand même sur nos gardes une fois la réservation effectuée. Et pourtant...Nous avions laissé la chance au hasard. Elle avait tout pour plaire, cette bâtisse ancestrale de beaux murs au toit de chaume (re-sic). Et ce qui allait avec : la rivière devant vos fenêtres, une cuisine amicale ouverte à tous, des facilités pour se garer (pas idiot dans un pays qui compte autant de parcmètres que de véhicules), les départs toutes les heures, été, hiver, en bateau aménagé pour les îles Aran, du chauffage à tous les étages et un bar du Diable, de la bière brune, rousse, blanche, des alcools du cru et intercontinentaux, not to mention le fameux brasier dans l'âtre pour votre arrivée. Confort, ouate, duvet de plumes pour vous redonner l'envie de vivre à l'abri d'un environnement hostile (la brochure numérique dixit)... What else ? Que demander de plus ? Hate River Hotel - l'Hôtel de la Rivière haineuse. C'était le nom du lieu et ça ne s'invente pas. J'ai relu trois fois l'annonce publicitaire pour m'assurer ne m'être pas trompé.

 

Nous avions roulé pendant des heures sous une pluie mesquine qui s'arrêtait pour mieux reprendre au premier tournant en embuscade. À vous dégoûter de saisir le volant. Les feuilles mortes qui s'entassaient sur la route sinueuse bordée de bosquets piquants s'ingéniaient à rendre l'asphalte aussi stable qu'un parquet flottant. Et puis le vent automnal s'en est mêlé. Le vertige vengeur faisait alors le va-et-vient entre le ciel et la terre. J'ai poussé la voiture sur le bas-côté boueux pour avaler une rasade de whiskey (avec un e), ajoutant encore à la divagation ambiante. L'amie commençait à se geler : le plaid sorti du coffre avait été la mangeoire aux mites...Au bout de trente autres kilomètres humides (l'Irlande a laissé tomber les miles et d'autres choses pour, dit-on, mieux se rapprocher de l'Europe), la silhouette de hôtel est enfin apparue avant la nuit d'un jour qui n'avait pas commencé derrière un banc de brume. Vu les conditions climatiques, je me disais : ouf ! Saint Pierre, le Paradis et tutti quanti !

 

La femme - ou devrais-je l'appeler notre hôtesse ? - ne nous a pas dit un mot quand je l'ai saluée par la vitre en arrivant à sa hauteur. Les iliens ou proches parents d'insulaires de cette région spécifique de la côte Ouest sont mutiques, c'est connu, mais là...Une fois la voiture à quai, j'ai demandé à la femme immobile dans l'embrasure de la porte d'entrée si nous pouvions faire un rapide tour du propriétaire, histoire de nous dégourdir les membres et de nous réchauffer. La construction nous a aussitôt fait penser à la maison du dingue dans Psycho, le film d'Alfred Hitchcock : noire, très noire avec peu d'ouvertures. Rien alentour. À vous donner des sueurs froides. Ça commençait bien. La rivière, en contrebas, froide et noire elle aussi, et je l'ai vue se diviser et lancer plein de bras méchants qui voulaient entraîner l'hôtel vers le fond pour le noyer. J'avais du trop boire.

 

Après avoir traversé une salle à tout faire parée de lourdes têtes de sangliers aux yeux mauvais, sans un mot, je le confirme, la femme nous a montré notre chambre au premier. Un lit d'époque intermédiaire dont les draps puaient la vase, des couvertures roulées dans un coin, une salle d'eau minuscule, des morceaux de savon dans le bac à douche, une serviette de bain pour deux et une lucarne au cas où il y aurait eu du soleil. Surtout : un froid glacial comme le reste. J'ai d'abord cru à une mauvaise, très mauvaise blague, genre caméra invisible : à la fin, tout le monde - acteurs comiques, machinistes et  dindons de la farce - éclate de rire tandis que la production vous glisse un chèque dans la main pour vous remercier d'avoir participé. Mais ce que nous étions en train de vivre was not a joke

 

- Fichons le camp tout de suite !

- Oui, fichons le camp de ce bourbier !

 

Je ne me souviens plus lequel de nous deux a parlé en premier. Toujours est-il que nous étions déjà revenus quatre à quatre au pied de l'escalier quand un bûcheron canadien du Connemara nous a barré le chemin.

 

- Que se passe-t-il ? Où est le problème ? Vous n'êtes pas contents ?

 

Au ton de sa voix, le gaélique l'emportant sur l'anglais, j'ai cru qu'il allait me casser la figure.

 

- Avez-vous vu l'état de la chambre ? C'est une plaisanterie...

- Je suis le patron ici et je fais ce que je veux ! Et puis, vous avez payé, il faut rester !

 

C'était donc lui le patron dont le portrait, nettement rajeuni, figurait en bonne place sur le site de l'hôtel. Il avait pris un sacré coup de vieux, le type.  Bourru, les deux mains dans les poches de son survêtement à grosses rayures jaunes et noires, made in China, j'en aurais juré, le menton en avant, prêt à mordre. Un Irlandais pas tranquille du tout.

 

- Nous partons maintenant.

- Non, vous ne partez pas ! Vais vous donner une autre chambre.

 

Il faisait nuit et la fatigue ne nous lâchait plus. Que faire ? Pas un bruit. À l'évidence, nous étions les seuls clients de l'hôtel. Ou peut-être le patron les avait-il déjà trucidés avec la complicité de la sorcière mutique. Oui,  je me suis souvenu de cette histoire criminelle : l'auberge rouge et infernale, du côté de Lanarce en Ardèche, transposée, qui sait ?, dans le nouveau siècle. L'amie m'a regardé bizarrement - je devais faire une drôle de tête. L'autre chambre en question était aussi crasseuse que la première, mais le patron a voulu y brancher un chauffage d'appoint pour nous prouver sa bonne volonté. C'est ce que j'ai cru. La prise murale était défectueuse. Il y a eu un sifflement bref suivi d'une gerbe d'étoiles brillantes. Le patron s'est mis à gueuler et à rire en même temps. Fantasia morbide chez les ploucs.

 

Manger un morceau et dormir. C'était tout ce qui comptait pour nous. Et de toute façon, il s'était mis à pleuvoir fort, une pluie mêlée à la grêle. Dans la cuisine où chacun, d'après la publicité, pouvait préparer ses repas, une foultitude de petites croix, en résine au toucher, les unes chrétiennes, les autres celtiques ou d'apparence celtique, étaient disposées militairement à tous les endroits stratégiques : autour de l'évier (pour y boire de l'eau bénite ?), sur le plan de travail (un sacerdoce pour découper un oignon ou beurrer sa tartine), aux angles des plaques électriques (exorcisme versus satanisme, même combat) et, incrédulité quand tu nous tiens, dans le réfrigérateur, à l'emplacement du beurre !  Nous étions logés au royaume des cinglés...

 

La femme qui avait disparu un moment se tenait raide comme un piquet devant l'écran de son ordinateur dans une petite pièce à droite de l'entrée. Un poste de douane ou d'octroi. L'amie et moi avions abandonné l'idée d'un repas ou de simple collation. Pendant que je cherchais au moins quelque chose à boire, je pouvais voir la femme qui actionnait la tirelire aux euros de la saison touristique finissante au moyen un logiciel comptable barré de colonnes en tous sens. L'amie s'est collée contre un maigre radiateur et je me suis dirigé vers ce qui ressemblait à un bar à l'autre bout de la salle commune pour y puiser des raisons d'espérer. Cinq ou six bouteilles en tout et pour tout composaient la soi-disant carte des alcools. Déboulant comme un bœuf Angus, Robur le Conquérant m'a encore barré le passage.

 

- On ne boit pas à cette heure ! On est vendredi ! C'est sacré !

- Vous pourriez nous offrir un verre...

 

J'avais de plus en plus de mal à comprendre les lois de l'hospitalité. Les catholiques s'étaient, sans que je le sache, mis à protester contre le catholicisme. Dans ma tête, c'était une hypothèse sérieuse.

 

- Ah ! j'en ai marre, a soudain lancé le patron tout en attrapant une canette de bière. Sortez ! Allez-vous en !

- Non mais ça va pas ! Qu'est-ce qui vous prend ? Vous êtes fou !

 

Qu'est-ce que je n'avais pas dit ! J'ai bien failli recevoir la canette sur le crâne. Le bœuf baveux était maintenant sur moi et tentait de me pousser carrément dehors. Je me suis protégé, l'amie est venue à ma rescousse, et une passe de toréro nous dont j'ai le secret nous a sauvés le temps pour nous de filer récupérer nos affaires dans la chambre. Nous avions retourné le dicton : nous étions sortis de l'auberge. Malgré le bruit du moteur sur la grand-route, je pouvais encore entendre beugler le patron. Alerter la Garda ? Interpol ? L'ambassade ? Basta ! Une bonne fée a alors mis entre nos mains la bouteille de whiskey que je n'avais pas eu la force d'aller chercher sur la banquette vu les trombes d'eau, et une autre bonne fée nous a indiqué un Bed & Breakfast qui se révèlera charmant.

 

De la folie pure, je vous dis. Heureusement qu'il y avait les fées.