Du rire et des chansons...
Le train vers Bruxelles. Conférence. Journaux : pétrole, consortiums mondialisés, l'avenir d'une illusion.
Lecture :
« Vers cette époque, je me suis trouvé, un jour, encore assez riche pour enlever aux démolisseurs et racheter en deux lots les boiseries du salon, peintes par nos amis. J’ai les deux dessus de porte de Nanteuil ; le Watteau de Vattier, signé ; les deux panneaux longs de Corot, représentant deux paysages de Provence ; le Moine rouge, de Chatillon, lisant la Bible sur la hanche cambrée d’une femme nue, qui dort ; les Bacchantes de Chassériau, qui tiennent des tigres en laisse comme des chiens ; les deux trumeaux de Rogier, où la Cydalise, en costume régence, — en robe de taffetas feuille morte, triste présage ! — sourit, de ses yeux chinois, en respirant une rosé, en face du portrait en pied de Théophile, vêtu à l’espagnole. L’affreux propriétaire, qui demeurait au rez-de-chaussée, mais sur la tête duquel nous dansions trop souvent, après deux ans de souffrances, qui l’avaient conduit à nous donner congé, a fait couvrir depuis toutes ces peintures d’une couche à la détrempe, parce qu’il prétendait que les nudités l’empêchaient de louer à des bourgeois. — Je bénis le sentiment d’économie qui l’a porté à ne pas employer là peinture à l’huile.
De sorte que tout cela est à peu près sauvé. Je n’ai pas retrouvé le Siège de Lérida, de Lorentz, où l’armée française monte à l’assaut, précédée par des violons ; ni les deux petits Paysages de Rousseau, qu’on aura sans doute coupés d’àvance ; mais j’ai, de Lorentz, une maréchale poudrée, en uniforme Louis XV. — Quant à mon lit renaissance, à ma console Médicis, à mes buffets, à mon Ribeira, à mes tapisseries des Quatre Éléments, il y a longtemps que tout cela s’était dispersé.
— Où avez-vous perdu tant de belles choses ? me dit un jour Balzac.
— Dans les malheurs ! lui répondis-je en citant un de ses mots favoris. »
Tiens, encore des oiseaux dans les arbres...