23 février 2011 3 23 /02 /février /2011 07:00

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Oui, au-delà de l'admission commune (la neige, le froid), il peut faire beau et chaud sur les places, dans les rues aux balcons fleuris et sur les toits-terrasses pour mille oiseaux de l'ancienne capitale polonaise.

 

Krakow. La vie détraquée de Cracovie au sortir de la dernière grande déflagration d'abord et de la guerre froide ensuite s'est remembrée et brille aujourd'hui d'un éclat étonnant. La cité qu'étudiant Copernic avait fréquentée abrite toujours des établissements d'enseignement supérieurs prestigieux : s'y promener emplit largement vos semaines. Et si cela ne suffit pas, églises, chapelles et théâtres pourvoiront à votre curiosité -les noms de Jan Niecisław Baudouin de Courtenay et de Tadeusz Kantor signifient encore quelque chose dans le coin.

 

Mais...

 

J'ai beau savourer un roboratif petit-déjeuner servi dans de la porcelaine fine sur nappes blanches en compagnie d'étudiants tous plus volubiles les uns que les autres sur la Rynek Główny, la grand' place locale, je ressens un malaise de nature pernicieuse. L'écrin architectural, la rumeur de la ville et même le soleil abondant d'aujourd'hui m'apparaissent brutalement factices. Une ruralité torve, très Mitteleuropa, s'agite d'un seul coup sous mes yeux dans ce décorum :  inquiétante jovialité excessive.

 

L'esprit de l'escalier me pousse à mettre un pied dans le plat. Je pose cette question à mes voisins étudiants : 

 

- Et Auschwitz dans tout ça ? 

- Auschwitz ? Ah, vous voulez dire Oświęcim ? 

- Oui, le Konzentrationslager Auschwitz qui se trouve à quelques kilomètres d'ici...

- C'est du passé, de l'histoire ancienne, on en a marre d'entendre parler de ça. Oui, on comprend, vous êtes un touriste...

- Ah, bon ?

 

En Petite-Pologne, on peut parler de tout, mais on ne peut pas parler de tout. J'aurais pu continuer et mettre le deuxième pied dans le plat. J'avais mieux à faire : sortir de la ville, quitte à emprunter, une fois de plus, la grande route rectiligne et, par endroits, complètement défoncée, qui mène dangereusement jusqu'à Varsovie. Et je me disais qu'il aura fallu attendre pas mal d'années (par exemple, le tournage sur place, en 1992, de La Liste de Schindler par Steven Spielberg) pour que le quartier juif de Cracovie - Kazimierz - connaisse une réhabilitation officielle bien concrète.

 

Milieu de l'après-midi. 


Un endroit ombragé à l'écart du vacarme autoroutier.


La voiture et son chauffeur ont besoin de se reposer.


En tailleur sur un talus, je tire des provisions de mon sac.


Et pense à ceux qui, au fond du gouffre, n'ont pas eu cette chance, hier à l'échelle des temps historiques, de toucher des lèvres un simple quignon de pain.

 

À l'Ouest, soudain, dans un ciel chauffé à blanc, un vol de colombes...

12 février 2011 6 12 /02 /février /2011 11:00

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Soleil en abysse inversée sur Grand Central Station, New York.

 

Avant de prendre le train qui me mènera jusqu'à White Plains et son puzzle de lacs miniatures, je fais un tour à la librairie souterraine de la gare et tombe sur l'essai de Matthew B. Crawford, Shop Class as Soulcraft : An Inquiry Into the Value of Work (Penguin Press, 2009).

 

Cet ancien universitaire, lassé sans doute de l'inanité du milieu, décide un beau jour d'ouvrir un atelier de réparation de motos. Hands on experience ou les mains dans le cambouis ! Belle première de couverture (BMW R69S rouge, et peut-être 69US, des années 1950 pour les intimes, devant une grange typiquement américaine) et propos intelligents sur la valeur intrinsèque du travail artisanal bien fait.

 

Je me dis que cet essai est à rapprocher, sans les confondre, du célèbre Zen and the Art of Motorcycle Maintenance : An Inquiry into Values publié par Robert M. Pirsig en 1974 (William Morrow & Company). Dans les deux cas, humour et détachement salutaires.

 

Ah !, motos, motos...Quant à moi, les anciennes, bien sûr, celles qui sont entrées dans une collection pour ressortir dès les premiers beaux jours. La fortune vous sourit, des amis vous prêtent des machines reluisantes et  vous voici, seul maître de votre destin, gentleman rider, en pétarades mémorables le nez au vent !

 

Par exemple, sur la corniche des Cévennes (quelles magnifiques routes serpentines en cette région française, de Saint-Jean-du-Gard à Florac, bonjour Stevenson, au coeur du vaste parc arboré !) ou dans le massif des Maures (Cogolin, Gonfaron, Collobrières, La Garde-Freinet, bonjour Rezvani, le golfe de Saint-Tropez, la chartreuse de la Verne, Cavalaire, Sainte-Maxime, cap Lardier et cap Taillat, thym, lavande, genêts, cistes, mimosas, lauriers, chênes-lièges...) ou, si vous êtes particulièrement chanceux, cavalier pour montures originales, votre croisière vous porte sur les dernières portions carrossables de la Route 66, entre Flagstaff et Kingman (halte à Hackberry - les bikers d'Easy Rider ne sont pas loin).

 

Mais, rétrospectivement, l'expérience la plus cocasse et digne d'un risque-tout aura été de piloter ou plutôt de tenter de piloter une Royal Enfield sur les routes turbulentes du continent indien !

 

Il Signor Rider, l'ultimo Cavaliere... Avanti !

9 février 2011 3 09 /02 /février /2011 07:00

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La prévoyance des renards qui cachent leur gibier en différents endroits pour le retrouver au besoin.

 

 

Brouillard bleuté aux abords des bois.

 

J'aime beaucoup le au besoin sous la plume de Buffon qui décrit le renard dans son Histoire naturelle des animaux (1753). Balade matinale, presque une randonnée, comme un grand solitaire des lieux dans ce joyau, la forêt de Compiègne, à une courte heure de la capitale en automobile. Dans la poche, outre une édition commode du bon Buffon, sa biographie, fine et sensible, par Pierre Gascar (Gallimard, 1983), que j'avais envie de relire.

 

Une souche à la croisée des chemins et des routes non loin du charmant village de Saint-Jean-aux-Bois et son chêne rouvre dont on dit qu'il fut planté au temps de Louis IX de France plus connu sous le nom de Saint Louis. Tiens, il me revient qu'il est mort à Tunis en 1270. Ah, ces sacrés chevaliers croisés ! Mais la Terre sainte est partout aurait dit mon ami Thoreau qui pratiquait à merveille the art of sauntering, une de ses expressions familières, l'art de la marche inspirée et inspiratrice. Évangile du temps présent : c'est exactement ce que j'essaie de faire en ce lever du jour parcourant ce limon de mousses odorantes.

 

Animaux, mes voisins : le cerf élaphe, le lapin de garenne, le renard roux, le hérisson des haies, le faisan de Colchide, le daim, l'écureuil, le faon, le singulier sanglier, le marcassin, la chauve-souris, le putois, le pic noir, la chouette chevêche (répéter dix fois, très vite), la tourterelle, le chat sauvage, le loir gris, le rossignol des murailles, l'ours brun et le loup (oui, mais pas dans les parages), le blaireau, le coucou, le lynx, le geai, le lérot, le chevreuil des futaies...Encore ! Encore !

 

Arbres, mes totems : le bouleau, le hêtre, le cèdre, le merisier, le peuplier, le mélèze, l'érable, le frêne, le châtaignier, le pin sylvestre, le pin maritime, le sapin tout simple, et le beau charme. Il ne manquerait alentour que l'arbre du voyageur, aussi extravagant que moi ! Je vais les saluer les uns après les autres comme le faisait un autre de mes grands amis, John Cowper Powys, en appuyant mon front un moment contre leurs écorces fraîches.

 

Les derniers mots prononcés par Henry David Thoreau : Indien...Caribou... 

 

Caribou, ouh ouh ! Où es-tu ?

7 février 2011 1 07 /02 /février /2011 07:00

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Bleu sur bleu dans l'atelier.

 

Le sympathique journaliste de la radio belge est littéralement émerveillé par la profusion de cartes anciennes que je viens de dérouler sur la grande table.

 

- Celle-ci n'est en rien un mutus liber. Les contours géographiques de l'Europe sont nettement dessinés, l'organisation des états récemment constitués saute aux yeux, mais ce qui m'intéresse, ce sont précisément les zones non cartographiées qui attirent mon regard. Il s'en trouve une grande quantité à la fin du XVIIème siècle, qui sont, pour moi, comme autant de blancs psychiques. Regardez à l'Est, regardez à l'Ouest, c'est frappant. La carte n'existe pas encore, elle ne va pas tarder à venir. Les territoires dans leur réalité subtile, c'est une autre affaire. Le cartographe anonyme de cette œuvre, car c'en est une, a-t-il rêvé d'une quelconque harmonie humaine, si j'ose ce vocable, en exécutant cette projection de notre vieux continent que vous avez sous les yeux ? Trois siècles plus tard, on peut se poser la question. Pour ce qui est de l'harmonie, cette aspiration que je qualifierais d'idéaliste, l'Europe, d'un point de vue transculturel, s'en est passablement éloignée. La véritable culture est aujourd'hui complètement négligée, voire empêchée. Le constat psychologique, sociologique, et même psycho-social !, a été fait cent, mille, dix mille fois.

 

- Au cours de votre existence, vous avez beaucoup voyagé. Mais, à vous lire, c'est vers l'Europe que vous revenez souvent. Vous insistez sur notre appartenance à un héritage culturel européen diversifié et très riche.

 

- Oui, mais, vu le contexte global et les contextes qui sentent le renfermé, j'essaie de mettre en valeur certains aspects de cet héritage avec le sens des nuances et pas mal de discernement ! Je viens, en effet, d'ici, pour aller vite. Et parlant de l'Europe, ses avenues comme ses marges, je décris aussi mon propre parcours existentiel. Une sorte de psychocosmogramme qui, plongeant dans les archives continentales, éclaire a posteriori le sens de tout mon travail, de tout ce qui m'attire depuis l'enfance, depuis, en fait, que je sais marcher et lire, et qu'il m'arrive de partager en affinités électives, par exemple oralement, avec un certain public. Ce qui m'intéresse, c'est le passage. Le matin, je peux me trouver en Norvège et le soir en Italie. Dans la réalité de l'extrême concentration spatiale et temporelle, je note une foultitude de détails géographiques, culturels, des épiphanies, des bribes de conversations, des expressions parfois symptomatiques d'un état de choses particulier, autant d'éléments apparemment disparates mais qui obéissent à une logique souterraine et à une cohérence intime que rend ensuite visibles, pour partie, l'écriture. Tout ceci, le grand réel européen, retient mon attention, une attention flottante, comme dit Freud, ce qui pourrait passer pour un paradoxe parlant d'intensité de vie, mais une attention, c'est-à-dire une sensibilité constante -et, pour mon bonheur, jamais défaillante.

 

- D'où, par exemple, pour capter ce qui se manifeste, la quantité impressionnante de carnets à proximité du stylo et des feuilles ?

 

- Oui, bien sûr, je puise en permanence dans cette armada pacifique des éléments, au sens chimique, voire alchimique, très divers en vue d'essais, de notes, de poèmes, de conférences, de blogs ultérieurs, composés, dans ce lieu ou ailleurs, sans composition trop évidente !

 

(...)

 

- En écrivant et en parcourant le continent européen comme vous le faites, vous continuez sans relâche à élargir votre horizon...

 

- Bon, vous savez bien que l'on écrit d'abord, et peut-être dans certains cas exclusivement, pour soi. La publication est une deuxième et décisive étape, sans parler de la réception. Nous avons déjà évoqué cette dimension complexe du travail intellectuel à notre époque. Je veux parler du travail qui a une véritable valeur. J'élargis, et c'est le sens, la direction des travaux en cours, autant que je le peux, mon champ des possibles avec beaucoup d'aller et retours. Je reviens de plus en plus vers le continent européen, en retrouvailles migratoires pour ainsi dire. Je ne l'ai jamais quitté, car je n'ai pas fini d'en faire le tour. En élargissant le propos, j'ai un besoin vital et très ancien de savoir que j'ai des espaces inconnus en moi.

 

(...)

 

- Ce que je vous dis là ce matin est très certainement lié dans mon esprit à une visée, disons, euro-encyclopédique. Encyclopédie, voici un mot cardinal pour le fil de notre entretien, ne trouvez-vous pas ?

14 janvier 2011 5 14 /01 /janvier /2011 07:00

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Ciel charbon à Cape Wrath, Am Parbh. Cap de la Colère. Lettres venteuses du bout du monde. Lettres en finisterre.

 

Tu voulais la paix, une solitude intelligente, une géologie abrupte ? Tu es servi ! Mais c'est parfait.

 

Le cottage : porte ogivale, parquets en pin, murs d'un bleu lavande clair, collection de compas en cuivre, portulans colorés, odeur de mousse, son de braise.

 

Du bow-window, bonheur, j'ai une vue imprenable sur le large.

 

Voici des mouettes tapageuses en bandes compactes, des fous de Bassan (Morus bassanus), qui percent sans relâche les vagues, cascade de poignards blancs fondant des cimes et là, droit devant, de gentils canards bicolores venus au spectacle. Sur ma gauche, le signal intermittent du phare rouge et blanc construit, me dit le prospectus, en 1828 par Robert Stevenson, le grand-père de Robert Louis. Cet ingénieur royal aura, souligne l'article, conçu les plans d'une bonne partie des phares en cette région écossaise.

 

Le facteur vient d'apporter les journaux du jour. Je relève le courrier pour les amis qui me font la joie de me prêter cet isolement temporaire au charme, pour moi, féérique. « Vous montez la garde ! », me décoche ce sympathique fonctionnaire à vélo. Eh, oui, je l'avoue, il y a chez moi un côté hallebardier pour autrui, reliquat de préjugé aristocratique, c'est terrible, je pourrais lui expliquer entre deux lettres à distribuer et une mesure de whisky à savourer que l'aristocratie n'a rien à voir avec l'appartenance à une classe du temps naufragé, au sens pesamment sociologique du terme, et tout à voir avec la noblesse puissance N de l'esprit -le signe de reconnaissance des happy few. « Bye bye, see you tomorrow ! » J'aurais pu, tout aussi bien, de mémoire, lui citer Shakespeare, « We few, we happy few, we band of brothers... » Trop long, pas d'école, nous sommes frères le temps d'un regard, well, it is not too bad. It is, isn't it ?

 

Travail dégagé au feutre sur le grand carnet. Intérieur du langage. Intérieur de mon langage. Travail artisanal, pour ainsi dire, avant l'imprimatur définitif que permet plus tard la machine dite à écrire. Ma machine ? J'ai une tendresse infinie pour elle et chaque fois, c'est-à-dire tous les jours, que j'entends la musique qu'à deux nous produisons, les mains d'Ernest H., de William F., de Frantz K., d'Ossip M., de Jack K. et de tant d'autres s'animent par magie sous mes yeux.

 

Comme je ne suis pas tout à fait idiot, rara avis in terris, sic (encore que...Non, je plaisante), je sais aussi me servir d'un ordinateur (ce n'est quand même pas lui qui irait à se servir de moi !), laissant les contraptions, les objets, where they belong, à leur place. Mais il y a cette affaire d'écran. Or, je ne veux le moins d'écran possible entre le monde et moi.

 

La mienne - je vois d'ici les futurs thésards en quête d'anecdotes pittoresques, je vais les aider, aime ton prochain -, est une Smith-Corona Skyriter, gris-bleu, 1957, Syracuse, New York. La glisser dans une poche est enfantin.


« Et vous trouvez encore des rubans ? »

« Mais oui, des rubans standard. Prudent, j'ai un jour effectué une razzia mémorable chez un papetier à Londres. Tout est à présent dans un compartiment du frigidaire, sorry, du réfrigérateur. »

 

Skyriter. Ciel en écriture. Dévoilement lacté. Constellations. Axe zodiacal. Redistribution des cartes. Astronomie majeure. La première fois que j'ai atterri à Londres, c'était à bord d'un Lockheed Constellation à l'effigie de l'hippocampe dans le temps d'avant. Regarde les étoiles. Regarde les galaxies. Tu as ces conjonctions astrales en firmament quand tu traverses Grand Central Station, bénédiction, le jour ne ressemblera à aucun autre. Et tu as cette voûte céleste, flamboiement de juillet, une fois égale toujours, au-dessus de ta tête, en Arizona.   

 

De la matière sèche, crée la puissance liquide.

28 décembre 2010 2 28 /12 /décembre /2010 07:00

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Jour de tempête sphérique au-dessus de l'île.

 

Je marche à l'Ouest dans un vent de valse sur les quais. Personne. Au Nord, Mull, au Sud, Rathlin et droit devant, de l'autre côté, Iglosuatiliratsuk, Labrador.

 

Au bout d'un moment, je trouve un abri dans le renfoncement d'un hangar à moitié démoli. Je suis un Eskimo sans la neige, cette idée me plaît bien. Une mouette blanche et noire vient me dire bonjour sur le granit du ponton et repart d'un battement d'aile arrière : pourrais-je en faire autant ? Il faudra que je m'entraîne devant la glace.

 

Avant de sortir, vu les conditions météorologiques, j'avais hésité sur le choix du liquide que je souhaitais verser dans ma flasque. J'entends soudain une voix lointaine : "Ah, oui, ah !, ah !, le pittoresque du carnet, du stylo et de l'alcool ! Parce qu'il s'agit bien d'alcool, ce fameux liquide, hein ?!"


Chère voix, je n'ai rien contre une pointe de pittoresque, mais sachez que l'essentiel est ailleurs. Toujours. Finalement, ce flacon, je l'ai rempli de whisky, un puissant whisky tourbé comme il en est produit par ici, dans ces distilleries qui, de près ou de loin, ont l'air de constructions vouées exclusivement à la villégiature. Tout aussi bien, j'aurais pu y verser de la vodka -cristal dedans, cristal dehors.

 

Uisge beatha. Whisky et vodka sont eaux de feu, et j'en ai grand besoin.

 

Pour me réchauffer, je bois une bonne rasade et me récite mentalement, mantra contre les fières rigueurs, ce chant de Robert Burns (au patronyme prédestiné...), A Red, Red Rose :

 

 

O my Luve's like a red, red rose
That’s newly sprung in June;
O my Luve's like the melodie
That’s sweetly play'd in tune.

As fair art thou, my bonnie lass,
So deep in luve am I :
And I will luve thee still, my dear,
Till a’ the seas gang dry:

Till a’ the seas gang dry, my dear,
And the rocks melt wi’ the sun :
I will luve thee still, my dear,
While the sands o’ life shall run.

And fare thee weel, my only Luve
And fare thee weel, a while!
And I will come again, my Luve,
Tho’ it were ten thousand mile.


 

 

Au moment de reprendre la route, une goutte de whisky tombe sur le sol gelé - mon diamant du jour offert à tous les dieux.

21 décembre 2010 2 21 /12 /décembre /2010 07:00

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Freud s'échappe du vortex plombé de Vienne le 4 juin 1938 pour gagner l'Angleterre. Tout, désormais, dans la ville est bien propret. Le sucre et la crème pâtissière vont, pour un bon moment, l'emporter sur le sel sans fard de la vie.

 

Le pan de cette histoire est connu semble-t-il, mais l'ignorance grandissant, mieux vaut le rappeler rapidement. Après avoir vu ses œuvres brûlées en 1933 par les Nationaux-Socialistes, Freud se sait en grand danger. L'arrestation temporaire de sa fille Anna par la Gestapo va précipiter les évènements et pousser l'auteur de L'Avenir d'une illusion à l'exil. Grâce à l'intervention conjointe de William Bullitt, ambassadeur des États-Unis, et de Marie Bonaparte (ah !, chère Marie) qui, au passage, par les réseaux de la coulisse, aura versé une rançon de très précisément 4824 dollars aux Nazis, Freud, sa femme, sa fille Anna et leur dame de confiance Paula arrivent à Londres, au 20 Maresfield Gardens, dans le district de Camden Town, au nord de la capitale anglaise. Freud se fera un point d'honneur de rembourser cette somme, importante pour l'époque, rubis sur l'ongle, à la princesse Marie. Il lui reste une année à vivre.

 

Je bois un café à Vienne, à deux pas du 19 Berggaße, origine de beaucoup de choses. L'endroit ? L'envers de Londres ? S'il y a un texte de Freud que je relis souvent et dont je vante le sens des perspectives auprès des publics divers qui ont la gentillesse de m'écouter, c'est bien Malaise dans la civilisation (Das Unbehagen in der Kultur), rédigé en 1929. 

 

Le constat synthétique y est d'une noirceur totale, mais combien juste : la bêtise supplante l'intelligence, la méchanceté des hommes disqualifie toute tentative d'éducabilité, et seuls les poètes montrent la voie de la rédemption. Moins de 200 pages de feu écrites avec le sang de celui dont le patronyme signifie joie.

 

Nous étions en 1929. Crise dans la crise. Que dire à peine un siècle plus tard ?

 

Ite missa est.

11 décembre 2010 6 11 /12 /décembre /2010 07:00

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Une chambre du côté de Tübingen. Du pain et du vin. Un bouquet de fleurs aussi, blanches, jaunes et bleues. De la fenêtre, à travers le givre, je parviens à distinguer les rives du Neckar. La neige, le silence.

 

Parti une nouvelle fois à la recherche de H.

 

Me donne à entendre une expression autre la folie créatrice. Préparant mon bagage, j'aurais pu emporter une vaste littérature à son endroit : Hölderlin ou Le Temps d'un poète (Pierre Bertaux, Gallimard, 1983), par exemple, ou encore Approche de Hölderlin (Erläuterungen zu Hölderlins Dichtung, Martin Heidegger, Gallimard, 1962). Non. Pour ces retrouvailles, j'ai voulu avoir sous les yeux l'Œuvre poétique complète et rien qu'elle (édition bilingue, préface et traduction de François Garrigue, La Différence, 2005).

 

Face à moi, la tour et l'espace que Friedrich-Scardanelli a parcouru les trente-six dernières années de son existence, dans la demeure de son hôte, Ernst Zimmer (chambre en allemand...) -une vie entière ! Vous vous rendez compte ?

 

Aucune envie de glose ce jour. Simplement, pour ainsi dire, être là, chérubin-pèlerin dans le jardinet au lierre opiniâtre en froidure et son unique banc de pierre.

 

Glissée dans le carnet cette feuille de lierre rompue du rameau !

 

Le gardien de ce qui est à présent un musée-sanctuaire (encore un...) doit me prendre pour un fou. Eh oui, voici qu'à la rivière, je lis tout haut des passages de Souvenir (Andenken) ou des extraits de la lettre datée du 4 décembre 1801 à son ami Böhlendorf. Il a raison, ce jovial Gendarme, je suis bel et bien fou d'une ivresse blanche : agitation intérieure, mais imperturbable flegme extérieur. Ou l'envers, qui sait ?, au point où j'en suis. C'est tout un art...

 

 

Der Nordost wehet,
Der liebste unter den Winden
Mir, weil er feurigen Geist
Und gute Fahrt verheißet den Schiffern.
Geh aber nun und grüße
Die schöne Garonne,
Und die Gärten von Bourdeaux
Dort, wo am scharfen Ufer
Hingehet der Steg und in den Strom
Tief fällt der Bach, darüber aber
Hinschauet ein edel Paar
Von Eichen und Silberpappeln;

Noch denket das mir wohl und wie
Die breiten Gipfel neiget
Der Ulmwald, über die Mühl',
Im Hofe aber wächset ein Feigenbaum.
An Feiertagen gehn
Die braunen Frauen daselbst
Auf seidnen Boden,
Zur Märzenzeit,
Wenn gleich ist Nacht und Tag,
Und über langsamen Stegen,
Von goldenen Träumen schwer,
Einwiegende Lüfte ziehen (...)

 

Le vent du Nord-Est se lève,
 De tous les vents mon préféré
Parce qu’il promet aux marins
Haleine ardente et traversée heureuse.
Pars donc et porte mon salut
A la belle Garonne
Et aux jardins de Bordeaux, là-bas
Où le sentier sur la rive abrupte
S’allonge, où le ruisseau profondément
Choit dans le fleuve, mais au-dessus
Regarde au loin un noble couple
De chênes et de trembles d’argent.


Je m’en souviens encore, et je revois
Ces larges cimes que penche
Sur le moulin la forêt d’ormes,
Mais dans la cour, c’est un figuier qui croît.
Là vont aux jours de fête
Les femmes brunes
Sur le sol doux comme une soie,
Au temps de Mars,
Quand la nuit et le jour sont de même longueur,
Quand sur les lents sentiers
Avec son faix léger de rêves,
Brillants, glisse le bercement des brises (...)

 

 

Les femmes brunes sur le sol doux comme une soie : la femme qui m'accompagne aujourd'hui est chinoise, elle sait de quoi il retourne.

8 décembre 2010 3 08 /12 /décembre /2010 07:00

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Une première pensée apparaît. L’idée de culture, d’intelligence, d’œuvres magistrales est pour nous dans une relation très ancienne, - tellement ancienne que nous remontons rarement jusqu’à elle -, avec l’idée d’Europe. Les autres parties du monde ont eu des civilisations admirables, des poètes du premier ordre, des constructeurs et même des savants. Mais aucune partie du monde n’a possédé cette singulière propriété physique : le plus intense pouvoir émissif uni au plus intense pouvoir absorbant.


Tout est venu à l’Europe et tout en est venu. Ou presque tout.


Or, l’heure actuelle comporte cette question capitale : l’Europe va-t-elle garder sa prééminence dans tous les genres ?


L’Europe deviendra-t-elle ce qu’elle est en réalité, c’est-à-dire : un petit cap du continent asiatique ?


Ou bien l’Europe restera-t-elle ce qu’elle paraît, c’est-à-dire : la partie précieuse de l’univers terrestre, la perle de la sphère, le cerveau d’un vaste corps ?

 

(Paul Valéry, La Crise de l'esprit, 1919, in Variété , Nouvelle Revue Française, 1924)



 

J'ai beaucoup voyagé. Je voyage toujours autant et l'un de mes grands plaisirs est d'aller partout où je le peux en Europe. Promenades, excursions, pèlerinages : tout m'est prétexte à admirer ! 

 

Mais...

 

J'observe un désintérêt croissant pour la grande idée d'Europe - et pour cause : le marché, encore et encore !

 

Je constate alentour un esprit de résistance parfois frénétique à la moindre suggestion de découvrir le continent européen dans la vie très concrète de ses expressions culturelles multiformes.


Tenez, connaissez-vous la Crète ? Non ? Vous devriez, c'est une île à la fois originale et originelle.

 

Je m'étonne de l'amnésie française quant à sa propre culture (avons-nous, à ce point, oublié le XVIIIème siècle et son rayonnement ?) - démonstrations quotidiennes, résultats consternants.

 

À la source, Europe signifie grand regard que je traduis aussitôt par avoir le sens des perspectives. Il serait temps.

29 novembre 2010 1 29 /11 /novembre /2010 11:00

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Ce quartier de Montparnasse où j'ai tant marché - mes semelles connaissent, à bout de souffle, les quatre saisons de la rue de Rennes (cette civette rouge et or, les fins cigares de Hollande, elle a disparu), du boulevard Raspail (Jean-Paul Sartre, sa silhouette en S), du square Notre-Dame-des-Champs (fantôme d'Ernest H.), de la rue du Cherche-Midi (recherche de la base et du sommet), de la rue du Regard, de la rue Campagne-Première :

 

- C'est vraiment dégueulasse 

- Qu'est-ce qu'il a dit ? 

- Il a dit : "Vous êtes vraiment une dégueulasse" 

- Qu'est-ce que c'est dégueulasse ?,

 

de la rue Vavin (le pain, le vin, les fromages ), de la rue Bréa, de la rue de la Grande-Chaumière (les peintres anthroposophes), de la rue Jules-Chaplain (le petit cinéma, là, à droite, les films de Jacques Doillon, l'entrée dans le gouffre des années 70), de la rue d'Odessa (le magasin de jouets, ses mobiles en bois peint dans la vitrine), de la rue Froidevaux (La Maison des Bibliothèques...), du passage d'Enfer, et le retour sur le boulevard dans la clarté du temps intemporel.

 

Une de mes haltes favorites était un bistrot à deux tables face à la gare. Le café y était bon, les conversations itou, ça sentait le Cantal et le tabac à pipe. Nous avions du temps dans le Temps.

 

Englouti, le troquet.

 

Où était-il déjà ? Rue du Départ ou rue de l'Arrivée ?