21 août 2011 7 21 /08 /août /2011 06:00

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Promontoire en bleu profond...

 

 

 

 

                                                                                          Î


î, 4e lettre de l’alphabet, répondant à l’i long.
î. êmi 2. Cette racine confond ses formes et ses significations avec celles de i ; elle n'est guère employée que dans le Vd., où elle a surtout le sens de : aller à, s'adresser à, prier, adorer.
î indéc. interjection pour appeler du secours.

îx. ixê 1 ; p. ixdhcakrê; f2. ixi-

syê; al. éxisi; pp. ixita. Voir; regarder; || considérer, ac. || Veiller aux intérêts de qqn., d. || Gr. oWoptat. Cf. axi, axa.

îxana n. vue, aspect. || œil; regard.

ixanikd f. diseuse de bonne aventure.

ixayâmi c. ; pqp. êcixarh, faire voir, faire que qqn. voie, 2 ac.

ixê 3p. sg. vd. de îç.

oul^'. îMdmi 1, et îykdmi;

p. îyMncakdra. Aller, se mouvoir ; || passer, traverser.

lyTîayâmi c. et 10, faire aller, pousser. || Traverser, franchir les montagnes, Vd.

icixisê dés. de ix, désirer voir.

îj et ifij. êjdmi 1 et înjdmi; p.

ijâncakdra: pp. tjita. aller. || Invectiver, blâmer; || repousser.

ijdna ppf. moy. de yoj.  fj-lr - 92 -

ijilum inf. de yoj. ijima Ip. pi. p. deyaj. ijê ip. sg. p. de yaj.

ijihisé dés. de ih. : vouloir faire, effort, etc.
itté 3p. sp. pr. de id.
id îddé 2, 2p. »V/ùV, 3p. itté: p.

idâhcakrê; f’2. idisyê: al. rrfù’/; pp. /f//7«. Louer, célébrer; || rendre un culte de louan- tes : aynim à Aiïni ; || honorer avec le beurre du sacrifice. Ce verbe a ordinairt. un sens religieux. — Cf. //, il et il.

idaydmi 10, louer, célébrer, etc.

idd f. louange. Cf. idd, ild, ild.

îdidisê dés. désirer louer : indrani, je veux chanter Indra.

Idya pf. de id : digne de louanges.

iti f. (i) voyage en pays étranger. Il Calamité qui survient, temps malheureux, fléau de la saison, tel que sécheresse, pluie, bêtes nuisibles, etc.
idrk ou idrç a. [m. n. idfça ; f. idfçî] (sfx. dfç] cf. drç voir) tel. Cf. gr.

ix dans tîXîxoç, tvîXîxoç, etc.; et lis, dans le lat. talis, qualis, etc. jj Mg il3.

idê autre forme de indê (ind).
int. itâmi 1; cf. anl, and.
ipsâmi 1, dés. de âp , désirer atteindre. — Pp. ipsila désiré. M§ 115.

ipsâ f. désir d’atteindre, de réussir (âp).

ipsu a. désireux d’atteindre; désireux (âp).

 

 

 

Longues études : attention, concentration, libération...

 

 

(Émile-Louis Burnouf, Dictionnaire classique sanscrit-français, Maisonneuve, Paris, 1866)

7 août 2011 7 07 /08 /août /2011 06:00

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Conjonction des ouvertures...

 

 

One cannot choose but wonder. Will he ever return? It may be that he swept back into the past, and fell among the blood-drinking, hairy savages of the Age of Unpolished Stone; into the abysses of the Cretaceous Sea; or among the grotesque saurians, the huge reptilian brutes of the Jurassic times. He may even now—if I may use the phrase—be wandering on some plesiosaurus-haunted Oolitic coral reef, or beside the lonely saline lakes of the Triassic Age. Or did he go forward, into one of the nearer ages, in which men are still men, but with the riddles of our own time answered and its wearisome problems solved? Into the manhood of the race: for I, for my own part, cannot think that these latter days of weak experiment, fragmentary theory, and mutual discord are indeed man's culminating time! I say, for my own part. He, I know—for the question had been discussed among us long before the Time Machine was made—thought but cheerlessly of the Advancement of Mankind, and saw in the growing pile of civilization only a foolish heaping that must inevitably fall back upon and destroy its makers in the end. If that is so, it remains for us to live as though it were not so. But to me the future is still black and blank—is a vast ignorance, lit at a few casual places by the memory of his story. And I have by me, for my comfort, two strange white flowers—shrivelled now, and brown and flat and brittle—to witness that even when mind and strength had gone, gratitude and a mutual tenderness still lived on in the heart of man.


 

  ∞ ∞ ∞


On ne peut s’empêcher de faire des conjectures. Reviendra-t-il jamais ? Il se peut qu’il se soit aventuré dans le passé et soit tombé parmi les sauvages chevelus et buveurs de sang de l’âge de pierre ; dans les abîmes de la mer crétacée ; ou parmi les sauriens gigantesques, les immenses reptiles de l’époque jurassique. Il est peut-être maintenant – si je puis employer cette phrase – en train d’errer sur quelque écueil oolithique peuplé de plésiosaures, ou aux bords désolés des mers salines de l’âge triasique. Ou bien, alla-t-il vers l’avenir, vers des âges prochains, dans lesquels les hommes sont encore des hommes, mais où les énigmes de notre époque et ses problèmes pénibles sont résolus ? Dans la maturité de la race : car, pour ma propre part, je ne puis croire que ces récentes périodes de timides expérimentations, de théories fragmentaires et de discorde mutuelle soient le point culminant où doive atteindre l’homme. Je dis : pour ma propre part. Lui, je le sais – car la question avait été débattue entre nous longtemps avant qu’il inventât sa Machine –, avait des idées décourageantes sur le Progrès de l’Humanité, et il ne voyait dans les successives transformations de la civilisation qu’un entassement absurde destiné, à la fin, à retomber et à détruire ceux qui l’avaient construite. S’il en est ainsi, il nous reste de vivre comme s’il en était autrement. Mais pour moi, l’avenir est encore obscur et vide ; il est une vaste ignorance, éclairée, à quelques endroits accidentels, par le souvenir de son récit. Et j’ai conservé, pour mon réconfort, deux étranges fleurs blanches – recroquevillées maintenant, brunies, sèches et fragiles –, pour témoigner que lorsque l’intelligence et la force eurent disparu, la gratitude et une tendresse mutuelle survécurent encore dans le cœur de l’homme et de la femme.

 

 

(Herbert George Wells, The Time Machine, William Heinemann Publisher, 1895 / La Machine à remonter le temps, traduction française d'Henry-David Davray, Mercure de France, 1899)

3 août 2011 3 03 /08 /août /2011 06:00

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Le 18 mars 1867, j’arrivais à Liverpool. Le Great-Eastern devait partir quelques jours après pour New-York, et je venais prendre passage à son bord. Voyage d’amateur, rien de plus. Une traversée de l’Atlantique sur ce gigantesque bateau me tentait. Par occasion, je comptais visiter le North-Amérique, mais accessoirement. Le Great-Eastern d’abord. Le pays célébré par Cooper ensuite. En effet, ce steam-ship est un chef-d’œuvre de construction navale. C’est plus qu’un vaisseau, c’est  une ville flottante, un morceau de comté, détaché du sol anglais, qui, après avoir traversé la mer, va se souder au continent américain. Je me figurais cette masse énorme emportée sur les flots, sa lutte contre les vents qu’elle défie, son audace devant la mer impuissante, son indifférence à la lame, sa stabilité au milieu de cet élément qui secoue comme des chaloupes les Warriors et les Solférinos. Mais mon imagination s’était arrêtée en deçà. Toutes ces choses, je les vis pendant cette traversée, et bien d’autres encore qui ne sont plus du Domaine maritime. Si le Great-Eastern n’est pas seulement une machine nautique, si c’est un microcosme et s’il emporte un monde avec lui, un observateur ne s’étonnera pas d’y rencontrer, comme sur un plus grand théâtre, tous les instincts, tous les ridicules, toutes les passions des hommes.

En quittant la gare, je me rendis à l’hôtel Adelphi. Le départ du Great-Eastern était annoncé pour le 20 mars. Désirant suivre les derniers préparatifs, je fis demander au capitaine Anderson, commandant du steam-ship, la permission de m’installer immédiatement à bord. Il m’y autorisa fort obligeamment.

Le lendemain, je descendis vers les bassins qui forment une double lisière de docks sur les rives de la Mersey. Les ponts tournants me permirent d’atteindre le quai de New-Prince, sorte de radeau mobile qui suit les mouvements de la marée. C’est une place d’embarquement pour les nombreux boats qui font le service de Birkenhead, annexe de Liverpool, située sur la rive gauche de la Mersey.

 

(Jules Verne, Une ville flottante, 1871)

27 juillet 2011 3 27 /07 /juillet /2011 06:00

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C'est un coin de verdure liquide à l'abri des sombres maléfices...

 

 

 

Dans la feuillée, écrin vert taché d’or,

Dans la feuillée incertaine et fleurie,

D'énormes fleurs où l’âcre baiser dort

Vif et devant l’exquise broderie,

 

Le Faune affolé montre ses grands yeux

Et mord la fleur rouge avec ses dents blanches

Brunie et sanglante ainsi qu’un vin vieux,

Sa lèvre éclate en rires par les branches ;

 

Et quand il a fui, tel un écureuil,

Son rire perle encore à chaque feuille

Et l’on croit épeuré par un bouvreuil

Le baiser d’or du bois qui se recueille.

 

 

(Arthur Rimbaud, Tête de faune in Poésies, 1871)

3 juillet 2011 7 03 /07 /juillet /2011 06:00

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Ce voyage, imaginaire d'abord, est devenu un fait, avec son départ et l'hypothèse mouvante.


(Victor Segalen, Équipée: voyage au pays du réel, Gallimard, 1983)


 

 

Les Chinois n’emploient pas et n’ont jamais employé le nom que les Occidentaux donnent à la Chine, et la dynastie des Tsin, à laquelle l’appellation hindoue de Tchina a été probablement empruntée, a cessé, depuis plus de quatorze siècles et demi, de régner sur les plaines du Hoang ho et du Yangtze kiang comme dans les vallées des Tsing ling et des Nan ling.


Les Chinois ont en effet ou avaient l’habitude de nommer leur patrie d’après la famille régnante, comme si la France, par exemple, s’était successivement appelée la Mérovingie, la Carolingie, la Capétie, la Bourbonie et, il y a trente ou quarante ans, la Napoléonie.


Cette dynastie des Tsin avait d’ailleurs quelques droits à donner son nom au pays, car c’est elle qui en réalisa l’unité un quart de millénaire environ avant notre ère, à peu près quand Rome et Carthage entrèrent en lutte. La Chine était divisée auparavant en un certain nombre de principautés et royaumes féodaux : l’un d’eux finit par prévaloir, comme chez nous l’Ile-de-France sur Normandie, Bourgogne, Aquitaine et Languedoc. Ce royaume conquérant et centralisateur fut justement celui que gouvernait la famille des Tsin, sur le moyen Hoang ho, là où s’étend aujourd’hui le Kansou; il empiéta d’abord sur ce qui est aujourd’hui le Chensi, et peu à peu il devint la Chine.


Pas plus que le nom de Chine, les Chinois ne connaissent l’épithète de « Céleste » que nous attribuons bénévolement à leur empire : les mots de Tien hia ou « Sous le ciel », dont se sont servis leurs poètes, s’appliquent au monde « sublunaire » en général, aussi bien qu’à la Chine en particulier.


Dans la langue courante, les Chinois appellent leur patrie Tchoung kouo, c’est-à-dire le « Royaume du Milieu » ou « l’Empire Central », dénomination qui provient peut-être de la prépondérance que prirent peu à peu les plaines centrales sur les États environnants, sinon de l’ère, contemporaine du siège de Troie, où la dynastie des Tchéou avait le siège de sa puissance dans le Honan, pays en effet central dont la masse est au midi du Fleuve Jaune. Mais peut-être aussi ce nom vient-il de cette idée, commune à tous les peuples du monde, que leur pays est vraiment le milieu des terres habitables. Les Chinois ne se bornent pas, comme les nations de l’Occident, à compter les quatre points cardinaux de l’horizon : ils y ajoutent un cinquième, le milieu, et ce milieu, c’est la Chine.

 

(Élisée et Onésime Reclus, L'Empire du Milieu, le climat, le sol, les races,les richesses de la Chine, Librairie Hachette, 1902)

22 juin 2011 3 22 /06 /juin /2011 06:00

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Jonquilles dans les jardins.

 

Entrée de semaine sous le paisible passage couvert de Saint Nicholas Market. Les devantures se réveillent. Elles se répondent maintenant en douceur dans l'air, ces odeurs conjuguées de scones, de muffins, de croissants, de fleurs fraîchement coupées, de fruits de mer, de produits italiens, et...de mouton korma !

 

Du carreau d'un café sans manière, mais pile au centre de cette agrégation d'activités hétéroclites, un endroit pour débardeurs, en somme, pour les matelots et les flâneurs des deux rives aussi, j'observe le monde comme il va. Les oeufs au plat et le lard fumé sont tout simplement délicieux.

 

Bristol est une grande ville portuaire encore remplie, malgré les incessants bombardements de la dernière guerre, de rues secrètes. J'y reviens de temps à autre, choses à faire, choses à régler, invitations, orientations. Avant la carte de visite, on présentait son bristol blanc...Rappelez-vous : on ne corne pas de bristol à toutes ces royautés, comme disent les Anglais.

 

3£, trois livres sterling, mon breakfast avec deux mugs de thé, c'est offert quand on sait la cherté quotidienne des prix et des services en Angleterre, et la situation ne s'est pas arrangée au fil du temps.

 

Je sors pour me perdre dans le dédale des échoppes. Sur ma gauche, une chanson aux voix d'enfants monte de l'étal d'un bouquiniste :

 

Hør et ekko,

Sjove lyde,

Ali buh bah,

Kaki suh sah,

Dimpe dampe dumpe dim,

Vil du med mig,

 Ud på landet,

Lati duh la,

Mani muh la,

Sikke noget tosseri...

 

 

Je reste interdit un instant et tout me revient : cela faisait des années et des années que je n'avais pas entendu cette ritournelle (presque) sans queue ni tête. Oui, c'est bien ça, confirmation du  libraire d'occasion (caverne où s'empile des tonnes de magazines, des écussons militaires, de la porcelaine aux effigies royales toutes époques confondues, des livres en séries populaires, des disques de vinyle, sans parler de la bimbeloterie en cartons dépenaillés dans tous les coins - le summum du knickknack, du bric-a-brac, du whatnot en échouage magistral) : j'entends à nouveau Ekkoleg, la musique qui accompagne le film inquiétant de Fernando Arrabal, Viva la muerte, tourné en 1971. 

 

J'aime la clarté. Mais il y a des jours comme celui-ci où je souris au global gibberish enfantin, au galimatias du monde, au baragouin de ses margoulins, au charabia de ses convulsionnaires, aux amphigouris de ses prophètes patentés, au sabir de ses salonnards enturbannés.

 

J'entends l'écho d'un monde disparu. Persistance de la mémoire.

12 juin 2011 7 12 /06 /juin /2011 06:00

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Deep down, I'm pretty superficial...

 

 

Je voulais voir le musée Dali et pousser plus au Sud vers Palamós et Tossa.

 

Quittant Figueres (sur la fin, El Salvador, avide en lévitation livide...), la route de la côte rend la sensation de faire des doubles 8 sur elle-même. Oui, des panneaux publicitaires, en veux-tu en voilà, de longues barres d'immeubles informes, d'immenses giratoires au milieu de nulle part, mais, dans l'ensemble, sur cette Costa Brava, cette côte sauvage, cactus, pirates, palmiers, contrebande, je trouve mon content de localités charmantes et assez de criques secrètes pour m'y prélasser.

 

21 heures. Les premiers feux du phare-fort s'allument en corbeille de points jaunes vifs sur le front de mer à Tossa de Mar. 

L'heure espagnole ou, plus justement, catalane, peut débuter. La Catalogne est une Espagne à part et les natifs ne se privent pas de vous le faire remarquer.

 

Une ruelle légèrement en retrait. Silence. Je peux entendre mes pas sur le sol chaud. Auberge blanche et verte dans l'angle. Un menu long comme un chapelet. Va pour l'hostal blanco y verde.

 

- ¿ Que quiere usted comer ?

- Querría beber primero.

- ¿ Vino tinto, Señor ?

- Si, una buena botella de Ribera del Duero, por favor.

 

J'allume un cigarillo. Quelques minutes plus tard, se glissant tel un agile poisson à travers le rideau bayadère, le serveur revient avec le vin et un assortiment de tapas première classe qui ravirait un damné.

 

- Muchas gracias.

- De nada.

 

Le vin castillan est sublime, l'arroz negre, le conill amb cargols et le suquet de peix, un régal.

 

La nuit avance comme j'aime. Je me laisse filtrer par les éléments.

 

- ¿ Quiera usted otra cosa ? 

 

La plupart du temps, je ne prends pas de dessert : trop de sucre pour l'intime de mon équation équatoriale. Je préfère la nudité du fruit. Mais ce soir, est-ce le roulis ambiant ?, les épices qui flottent dans l'air saturé de soleil ?,  mon désir de polarités réunies ?, je ne dis pas non.

 

- Me gustaría un postre. Una crema catalana.

 

Mon poisson-pilote réapparaît en un tournemain, la mine ravie. Pas de doute : dès la première cuillère, cette crème est faite au bon lait de femme !

 

- Querría un licor después de este bono cenar.

 

J'ai envie d'un cordial et, unique client, propose de le partager avec mon digne serveur.

 

- Muy bien, perfeccionado este Licor 43. ¿ Puédase decirme donde puedo encontrar la señora Ava Gardner ?

 

Sourire sur le visage du serveur qui vient d'avoir soixante-cinq ans.

 

- Señor, Usted encontrará la estatua de la Dama en la vila vella, la vieja ciudad, justo en frente, sobre la izquierda. Cuando era niño, vi a los actores, el rodaje de la película. Me acuerdo de eso...

 

- Hasta la vista. Llévese bien !

 

Je souhaitais voir les lieux du tournage de Pandora qu'Albert Lewin avait réalisé en 1951. Avec The Barefoot Contessa, La Comtesse aux pieds nus, du magistral Mankiewicz, Pandora, Pandora and the Flying Dutchman, Pandora et le Hollandais volant, est le film où Ava Gardner, le plus bel animal du monde, a-t-on dit, est magnifiée.

 

La statue domine les toits de tuiles de la vieille ville. M'approchant d'elle, sous le ciel étoilé, je ressens soudain la puissance magnétique de son corps qui s'échappe du métal.

 

Superficielle, Ava ? Elle l'est, définitivement, par profondeur. 

1 mai 2011 7 01 /05 /mai /2011 06:00

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Jour de fête en bleu solaire.

 

De passage dans la grande ville, un ami m'invite à une virée sur la côte normande. Les joies de l'amitié.

 

- Une belle voiture de collection comme tu les aimes, allez, on va voir le bord de mer, les peintres et les crustacés dans nos assiettes !

 

Demain est férié selon le calendrier de l'orthodoxie sociale, le manuscrit se repose sur la table en merisier du studio, et mon humeur s'affiche vagabonde.

 

Rutilante, l'auto de l'ami véloce l'est sous toutes ses facettes : une Jaguar MK2, 1967, d'un vert anglais plus royaliste que la reine. Tant qu'à fabriquer des machines pour aller d'un point à un autre, autant qu'elles soient esthétiques. Bois, cuir, métal poli rivalisent en l'occurrence de profondeur pour nous offrir un lounge sur moelleuses roulettes.

 

Portes de l'Ouest via le tunnel de Saint-Cloud. Ah !, ce tunnel, part insondable de l'imagerie franco-française depuis les années 1950. La campagne normande se dévoile peu à peu sous nos roues. Tous ces noms de bourgs qui se terminent en -ville : Bourgtheroulde-Infreville, Honguemare-Guenouville, Saint-Marts-de-Blacarville, Bosgérard-Marcouville, Maneville-la-Raoult, Fatouville-Greslain, Beuzeville, Bourneville et même Tocqueville...La Seine, les ponts, les usines, les barges, les péniches, puis les champs de haies à perte de vue, bonjour pommeraies, bonjour crème fraîche, bonjour Calvados !

 

- Savais-tu , dis-je à l'ami, ses mains à 10 heures 10 sur le volant en bakélite du fauve tranquille, que Roger Vailland, le romancier communiste, enfin, dit communiste, en tous cas jusqu'en 1956, au moment de l'invasion de la Hongrie, était un Jaguar aficionado ?

 

- Vailland ?

 

- Oui, avec l'argent de la vente de ses romans à succès, La Loi ou La Fête, il s'en était offert une au début des années 1960 qu'il pilotait à toute allure entre Paris et le pays bressan où il résidait. Pas mal, non ?, comme exemple de "désobéissance" au politically correct de l'époque partisane et formidable pied de nez aux conventions de tous poils.

 

- C'est assez gonflé. Je me souviens, j'avais lu, il y a longtemps, hum..., oui, Drôle de jeu, un roman sur la résistance en France juste avant le Débarquement, ceux qui résistent vraiment, et d'autres qui vont finir par trahir leurs camarades et collaborer. Finalement, ça n'a pas tellement changé, ça continue...

 

La berline s'engage sur la route du port. Devant nous, Honfleur, ses pavois en pâmoison.

 

Table, nappe, vin blanc. Au spectacle, sur les quais du vieux bassin, venues de bonne heure, des familles débonnaires. Eugène Boudin revisité ? Sauf que l'incarnation picturale de la bourgeoisie en tant que classe sociale du XIXe siècle finissant à la découverte des plages, des bigornes et des embruns curateurs a disparu du champ visuel : à la place, une bruyante masse informe aux couleurs criardes. Retour de manif ? Retour de manivelle...Totale indifférence. Concentration sur le muscadet et les huîtres.

 

- L'Homme nouveau, ce n'est pas pour demain, lance à la cantonade l'ami que le vin a remonté. 

 

- Accommodement et complaisance sont larrons en foire, tu le sais bien...Un autre verre ?

 

Relire Vailland ? Pourquoi pas ? All in all...Son Laclos par lui-même était plutôt réussi. Sa présentation des Pages immortelles de Suétone et Le Regard froid, intéressants.

 

Cette note aussi, évangile, entre les lignes, de l'homme libre : Quand j’écris un livre, je fais chaque jour ma course, j’accomplis mon parcours : un certain nombre de pages. Il arrive un moment, une page, où, dans ma manière de travailler, je décèle – l’expérience me l’a enseigné – que mon parcours de la journée est achevé. Je pourrais par décision prolonger le parcours, me contraindre à écrire quelques pages de plus. Ce serait fâcheux. Je devrais le lendemain réécrire les pages rédigées dans la contrainte et elles n’auraient pas la verdeur d’un premier jet : la chance dans l’écriture se changerait en malchance, la grâce en disgrâce. Il est temps d’aller au sommeil. Tout état vécu – forme, chance, grâce et l’extrême éveil qui est la pointe de la grâce – tend à mesure que s’épuisent les possibilités qu’il contient à se transformer en son contraire… Je me suis toujours appliqué à distinguer le moment où s’achève le bonheur d’une saison, l’instant où la grâce va se changer en disgrâce. Il faut dégager à temps. C’est l’art de vivre. 

 

Après le déjeuner, nous fumons des cigarillos et repartons à pied en direction de la pointe. À l'Est, Dieppe, le monde anglais; à l'Ouest, Trouville, le fantôme de Marcel Proust.

 

J'aime les photographies d'écrivains au travail. Celles, par exemple, où l'on voit Hemingway le coude sur une table d'occasion à peine plus grande qu'un cahier, la tête penchée, sont émouvantes dans leur apparent dénuement.

 

Marc Garanger qui a beaucoup fréquenté Roger Vailland un an avant sa disparition en 1965 a réalisé, parmi d'autres, un portrait de l'écrivain en noir et blanc, janséniste de sobriété. Cette photographie a été prise dans la partie la plus reculée de sa maison, son repaire, à Meillonnas, dans l'Ain (Jane Fonda y est venue...), au moment où l'auteur de La Truite, le regard vers les mots, met un point final à ce qui sera son ultime manuscrit, une pointe Bic, parce que c'est plus chic, à la main...

 

 

 

(Roger Vailland, Drôle de jeu, Prix Interallié, Éditions Corrêa, 1945 / Laclos par lui-même, Seuil, 1953 / La Loi, Prix Goncourt, 1957 / La Fête, Gallimard, 1960 / Les Pages immortelles de Suétone, Buchet-Chastel, 1962 / Le Regard froid, Grasset, 1963 / La Truite, Gallimard, 1964)

14 avril 2011 4 14 /04 /avril /2011 06:00

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La première fois où je suis arrivé à Venise-la-subtile, au futur pour moi à jamais immédiat de la ville flottante, une brume de mer avait enveloppé le Rio Ognissanti d'un voile de mystère.

 

Mon père avait fait la surprise au jeune adolescent que j'étais dans ce temps d'avant de lui faire découvrir un monde de beauté incarnée. Ce premier séjour, succession de chocs esthétiques, allait durer une dizaine de journées emblématiques. Quand, devant les tribunaux vertueux de l'histoire, à commencer par l'histoire littéraire, entreprise pas très pertinente, au fond, Venezia est systématiquement associée à la maladie - forcément romantique ! -, aux miasmes, à la mort, La Mort à Venise, Der Tod in Venedig, vous voyez de qui je veux parler, bref, au malheur, je dis foutaises, foutaises...

 

Je me revois encore à la sortie de la stazione centrale, la vivacité des idiomes locaux tout de suite dans l'oreille, le vaporetto qui nous emporte sur le Grand Canal, mon père déroulant les noms des palais, à droite, à gauche, d'un large geste de la main, l'arrivée au Ponte dell'Accademia sous les particules d'eau en émulsion, le studio loué, nous posons notre bagage, les deux fenêtres donnent sur le canal faiblement éclairé, nous ressortons allegro, et là...Ah ! Effacement des lignes nettes, fluidité joyeuse des corps, les premières Vénitiennes croisées, très belles, sol de soie, le la est donné pour toujours.

 

Mon père avait conçu un stratagème pour que j'aille par moi-même déambuler au hasard des via, vicolo ou plazza du quartier immédiat et au-delà. Sur un carnet bleu, il avait tracé una cartina, un plan sommaire, les grandes directions, indiqué le chemin exact du retour au studio et le numéro de téléphone des secours, mais en chiffres à peine lisibles.

 

Le lendemain d'une nuit durant laquelle je n'ai pas fermé les yeux, mon père m'a dit :

 

Vas-y mon fils ! Retrouvons-nous vers quatre heures à la Dogana, la pointe de la douane maritime, tu ne peux pas te tromper. Moi, je vais rester un peu, faire quelques emplettes dans le Dorsoduro, vas-y !

 

Le carnet bleu en poche, une poignée de lires en sus, chemise blanche, pantalon blanc, un parfait communiant, je suis parti fièrement dans le matin clair et en même temps...

 

Je me suis perdu, j'ai aimé comme une passion sensuelle mes pas perdus.

 

Sur le carnet, deux ou trois phrases de circonstance au cas où : Per favore (s'il vous plaît), Non capisco (je ne comprends pas -je comprenais -naturellement- bien !), Dov'è ? (à quel endroit ?), A sinistra (à gauche), A destra (à droite), Sempre dritto (tout droit).

 

Pourtant, au fil des heures, plus j'avançais en reculant et l'inverse, plus j'avais la sensation d'être suivi. Près de la Punta della Dogana, ce manège étrange s'est dissipé lorsqu'enfin j'ai aperçu la silhouette de mon père à quelques mètres de moi, un gazzettino à la main. J'ai soudain compris qu'il n'avait pas cessé ou presque de veiller que rien de fâcheux ne vienne gâcher ma découverte. Ce n'était le premier exercice de déchirement temporaire au réciproque consenti, mais celui-là, dans le genre, était magistral !

 

Aujourd'hui, de retour, once again, à Venise, dans l'altra Venezia, je pense à mon père. Un père à éclipses. 

 

Bon déjeuner au Caffè dei Frari, cigare, grappa. La brume est revenue, les cloches sonnent en échos distanciés, je me dirige comme un grand vers le Rio de San Trovaso. J'ai rendez-vous avec Jacopo Robusti, dit Le Tintoret. Mon fantôme là, là et encore là.

 

Dans le clair-obscur, une mouette blanche me lance un kri-kri de reconnaissance.

20 mars 2011 7 20 /03 /mars /2011 07:00

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Comme l'air est doux, je décide de prolonger mon séjour dans la baie d'Audierne et de prendre la première navette pour revoir, le temps d'une journée, l'Île de Sein, me plonger dans mes souvenirs tout en songeant aux escapades inspirées d'André Breton.

 

Après un petit-déjeuner de pain au beurre salé et de café dont les reflets granitiques d'un noir profond  feraient rêver Pierre Soulages, je ficelle mon fidèle rucksack. Je laisse entendre à l'hôtelière qu'après tout, je pourrais rentrer, qui sait ?, le lendemain, puis descends d'un pas tranquille la route sinueuse vers le port discrètement embrumé. En chemin, je tombe sur S.B., une connaissance amicale, médecin à Quimper-la-grande-ville, plutôt bon peintre à ses heures. Il se rend, me dit-il, à Sein dans la maison de sa grand-mère (elle a peut-être servi une bolée de cidre à Breton et Perret en 1949...), empruntant le même bateau avec sa femme, son fils et sa fille, autrement dit, sa petite famille. Ni une ni deux, l'invitation est lancée de joindre nos projets. En général, je décline ce genre de proposition, je n'aime pas être ensemble. Mais je me dis qu'un puissant hasard est à l'œuvre en cette matinée de mars. Je reste donc dans l'île jusqu'au surlendemain -un léger compromis, un de temps à autre. J'imagine la tête de l'hôtelière lorsqu'elle s'avisera que la pointe du Raz, les îles en essaim et la mer celtique ne sont pas encore assez à l'Ouest pour ma constitution.

 

Ce qu'il y a de bien avec ce toubib, c'est qu'il n'est pas trop bavard. Non pas un taiseux, non, un homme qui lâchera, déformation professionnelle oblige, une phrase-diagnostic toutes les heures, ce qui est amplement suffisant. Très vite nous passons la baie mondialement connue pour ses courants redoutables et nous voici quasi à quai. Flanquée sur la gauche d'un hortensia pourpre, la Louisette - Louison, Louisette, liard, Ancien Régime -, bâtisse de grosses pierres sombres, nous accueille dans une odeur de sel et le grincement de ses gonds anoblis par les ans. Ah!, famille, famille...Bon, juré, I shall remain utterly well-mannered...

 

- Bienvenue à la maison ! 

- Montrez-moi mes quartiers, je me débrouillerai.

- Je vous offre la chambre du haut avec la vue sur le phare.

- Parfait. Ne vous occupez pas de moi, je pose mon sac et sors faire un tour.

 

Et comme je suis gentil, j'ajoute :

 

- Si vous avez besoin de quelque chose à l'épicerie...

 

Je pars presto dans le vent en direction de la zone la moins peuplée ou la plus dépeuplée (pessi-optimisme) de la lande insulaire.

 

Ils savent qu'un écrivain a ses habitudes et c'est très bien comme ça.

 

J'ai oublié l'épicerie et marché longtemps dans une sorte de grésil frais pour atteindre le phare.

 

Là-haut (le gardien qui m'a reconnu a lancé un retentissant : Vous êtes ici chez  vous ! à faire s'écrouler l'édifice), je suis resté l'après-midi entier à observer le mouvement de l'eau élémentaire sur la roche.

 

(...)

 

Dans la nuit maintenant profonde, le rayon salvateur de la côte jouant du morse sur  la vitre, un peu ivre, je note, j'essaie de noter, les variations du jour :

 

De retour à la Louisette, une agréable surprise m'attendait. S.B. avait eu la bonne idée d'emporter plusieurs DVD (Digital Versatile Disk - versatile, surtout...) et me proposait de choisir le film que nous regarderions après le dîner. J'ai trouvé que la grand'maternelle casa disposait du dernier confort électronique et qu'avec le mot dîner j'allais avoir droit à l'argenterie au grand complet ainsi qu'au saint-frusquin des couverts les plus biscornus imaginés par un esprit en proie au délire. Subitement, je me suis souvenu de l'épicerie et, tel un génie jaïn, en suis revenu les bras chargés. Dans le lot, deux bouteilles de Fitou médaille d'or en perdition de ce côté-ci de l'univers.

 

Le dîner ? Un festin finistérien aux bougies : pain local (bara en langue bretonne), terrine de saumon, bœuf braisé sorti de la cuisse de Jupiter et crumble highly British. Le vin (gwin, j'entends vinus), ouf !, avait trouvé son mirifique emploi.

 

De la pile, entre l'inévitable Indiana Jones et une comédie bien de chez nous, c'est-à-dire bien de chez eux, j'avais extrait une pépite : Dersou Ouzala réalisé en 1975 par Akira Kurosawa, un de mes films préférés. Nature sauvage, amitié durable, circonstances contrastées. Grand hymne écologique.

 

- Ce sont les enfants qui en ont entendu parler au lycée.

 

La fille est en terminale, le garçon en première. Je me disais à presque voix haute : dans la dévastation tous azimuts de l'École, une singulière éclaircie.

 

Et c'est dans un raccourci métaphorique que, pendant quelques heures, le feu crépitant dans la cheminée ancestrale et sur l'écran, l'Orient de l'Oussouri a rejoint cet Occident du bout du monde.