Jonquilles dans les jardins.
Entrée de semaine sous le paisible passage couvert de Saint Nicholas Market. Les devantures se réveillent. Elles se répondent maintenant en douceur dans l'air, ces odeurs conjuguées de scones, de muffins, de croissants, de fleurs fraîchement coupées, de fruits de mer, de produits italiens, et...de mouton korma !
Du carreau d'un café sans manière, mais pile au centre de cette agrégation d'activités hétéroclites, un endroit pour débardeurs, en somme, pour les matelots et les flâneurs des deux rives aussi, j'observe le monde comme il va. Les oeufs au plat et le lard fumé sont tout simplement délicieux.
Bristol est une grande ville portuaire encore remplie, malgré les incessants bombardements de la dernière guerre, de rues secrètes. J'y reviens de temps à autre, choses à faire, choses à régler, invitations, orientations. Avant la carte de visite, on présentait son bristol blanc...Rappelez-vous : on ne corne pas de bristol à toutes ces royautés, comme disent les Anglais.
3£, trois livres sterling, mon breakfast avec deux mugs de thé, c'est offert quand on sait la cherté quotidienne des prix et des services en Angleterre, et la situation ne s'est pas arrangée au fil du temps.
Je sors pour me perdre dans le dédale des échoppes. Sur ma gauche, une chanson aux voix d'enfants monte de l'étal d'un bouquiniste :
Hør et ekko,
Sjove lyde,
Ali buh bah,
Kaki suh sah,
Dimpe dampe dumpe dim,
Vil du med mig,
Ud på landet,
Lati duh la,
Mani muh la,
Sikke noget tosseri...
Je reste interdit un instant et tout me revient : cela faisait des années et des années que je n'avais pas entendu cette ritournelle (presque) sans queue ni tête. Oui, c'est bien ça, confirmation du libraire d'occasion (caverne où s'empile des tonnes de magazines, des écussons militaires, de la porcelaine aux effigies royales toutes époques confondues, des livres en séries populaires, des disques de vinyle, sans parler de la bimbeloterie en cartons dépenaillés dans tous les coins - le summum du knickknack, du bric-a-brac, du whatnot en échouage magistral) : j'entends à nouveau Ekkoleg, la musique qui accompagne le film inquiétant de Fernando Arrabal, Viva la muerte, tourné en 1971.
J'aime la clarté. Mais il y a des jours comme celui-ci où je souris au global gibberish enfantin, au galimatias du monde, au baragouin de ses margoulins, au charabia de ses convulsionnaires, aux amphigouris de ses prophètes patentés, au sabir de ses salonnards enturbannés.
J'entends l'écho d'un monde disparu. Persistance de la mémoire.