25 novembre 2010 4 25 /11 /novembre /2010 14:00

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Était-ce pour l'unique raison qu'un mien aïeul avait partagé avec Jules Verne le goût du libre-esprit que j'avais accepté de prendre la parole à Amiens ? Allez savoir.

 

Le colloque Littérature et condition postmoderne (vous voyez le topo...) a duré deux jours. De doctes professeurs ont dévoilé les subtilités secrètes contenues dans la conjonction de coordination du titre pendant que la modernité, elle, prenait l'eau. J'ai fait de mon mieux pour dire que, si littérature il y avait encore - sourcils froncés et regards réprobateurs dans la salle -, il s'agissait, plus que jamais, de Weltliteratur. Le buffet de spécialités picardes était excellent, et il me restait, malgré le crachin, du bon temps pour circumnaviguer dans la ville avant de reprendre mon train.

 

À l'hôtel, situé entre une armurerie et une fédération du bâtiment, je n'avais rien à craindre, le Nord, c'est du solide !, la fenêtre de ma chambre, tapisserie XIXe finissant revue et corrigée par Vasarely, donnait quasiment dans le bureau de Jules Verne de l'autre côté de la rue. Porte close, travaux en cours, la maison-musée où l'auteur de Deux ans de vacances a écrit la plus grande partie de ses succès sera pour une autre fois.

 

J'ai dépassé le cirque, à gauche, une actrice y avait été recluse avec des lions pour un film, et devant moi, des boulevards me lançaient leurs néons derrière un rideau de pluie fine et redoutablement pénétrante. Je me suis retrouvé devant la Maison de la Culture inaugurée par André Malraux en 1966. Malraux ! Ses discours avaient une autre gueule que les vulgaires salmigondis à prétention intellectuelle de maintenant. Chez le bouquiniste de l'angle, cherchant un peu de chaleur, je tombe sur une monographie de Maurice-Quentin Delatour plus connu par son véritable nom, Maurice Quentin de La Tour, le prince des pastellistes, né en terre locale, à Saint-Quentin. Portraits de Jean-Jacques Rousseau, de d'Alembert et cet Autoportrait au jabot de dentelle (1751), tout en bleu ironique. Des pépites dans un tas de fumier.

 

Attiré par l'eau et le ciel d'ardoise, je suis allé marcher un moment le long de la Somme paisible ("La Somme ?! Mais c'est la bataille de 14-18 !", me dira un gars dans un bistrot qui sentait le vrai café), ses humbles maisons de bateliers du quartier Saint-Leu, autrefois délaissées, aujourd'hui prébendes des agents immobiliers. Plus loin, au porche de la cathédrale qui a résisté, me dit la brochure, à tous les bombardements, je me suis souvenu qu'en 1904 Marcel Proust avait plutôt bien traduit La Bible d'Amiens de John Ruskin. Je me suis assis, boiseries et vitraux magnifiques, et avant de ressortir dans l'air frais, j'ai allumé un cierge - en général, cela ne peut pas faire de mal.

 

C'était  l'heure de monter dans le train. Je me suis retourné : la fameuse tour Perret en face de la gare du Nord projetait un immense rayon vert futuriste dans ma direction. Pas de doute, demain était déjà hier.

 

 

23 novembre 2010 2 23 /11 /novembre /2010 11:00

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San Francisco. Nous venons de traverser le Golden Gate Bridge, enfin, je crois, tant le jour est enveloppé d'une ouate poisseuse, et roulons maintenant sur la Highway 101 North en direction de San Rafael et du soleil.

 

Une heure plus tard, la clarté presque revenue, la grande voiture bleue glisse le long de la côte dans le dernier brouillard blanc, serpente un moment entre les pins, et débouche sur Andersen Drive, à deux pas de notre rendez-vous. Au passage, je remarque les locaux proprets de la Société de Saint-Vincent de Paul et deux ou trois restaurants, dont le Saigon Village à la sympathique devanture rouge vif.

 

Au Tamalpa Institute, senteur de fleur d'oranger, le beau visage de Daria Halprin nous accueille (regard large, ridules bien creusées - sa chaleur). Nous revisitons le passé, nos chemins parcourus depuis le tournage houleux de Zabriskie Point en 1969, le film de Michelangelo Antonioni devenu entretemps a cult road-movie initiatique pour toutes les bonnes raisons possibles.

 

Je lui rappelle la blague sur le borate et le gypse (regardez le film et vous comprendrez), l'adolescent et son père on the spot, les prises de conscience des uns et des autres à l'époque dans une société américaine stéréotypée. Elle me redit sa joie d'avoir, très vite, quitté Hollywood et ses pièges pour lancer dans les années 1980 l'institut et ses ateliers d'expression artistique.

 

Zabriskie Point ! Dans le désert des déserts, Death Valley, et au bout, une géologie magique du monde  - à la limite, anywhere out of the world. Une fournaise inhumaine dès huit heures, le matin. Une rotation suspendue des éléments.

 

Du promontoire en quartiers de rocs qui n'a guère changé in decades, c'est un silence assourdissant qui pénètre l'œil. J'aime ce lieu. Je pourrais y rester des heures dans le temps immobile. Ah !

 

Nous saluons Daria, son rêve réalisé et le comté de Marin. Un peu plus au Nord, quittant la route sablonneuse, nous nous enfonçons à pied dans le Muir Woods National Monument, cette forêt de séquoia sempervirens à la frondaison mystérieuse.

 

« Art that arises out of the inner landscape, and is connected to our lived experience, illuminates the darkness and heals the soul ».

 

Oui, c'est ça l'idée. Harmonie du dedans, harmonie du dehors. Avec ces mots-là, sans trop de flonflons, et d'autres. 

20 novembre 2010 6 20 /11 /novembre /2010 18:15

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Sur le belvédère de Bridge Park, j'observe les chiens en laisse et les joggeurs aussi frais que moi. Mais la vue la plus réjouissante est le ballet que donnent en ce moment les mouettes en nuées verticales au-dessus du bon vieux pont de Brooklyn dans son éternel habit de brume.

 

Je viens de prendre un café serré, un café à l'italienne, un peu plus bas, vers Old Fulton Street, et de jeter un œil évasif aux morning papers - plousse ça change, plousse it is le même chose. La lecture de la presse matinale n'est pas vraiment un exercice spirituel - mais, bon, à Rome, agis comme les Romains anglo-saxons !

 

Tout à l'heure, sur le marché en plein air de la station de métro, le marché aux mille cultures, il faudra que je pense à acheter du poisson, des tomates, du basilic, un citron et une bouteille de zinfandel - ou deux dans le cas d'une visite impromptue, qui sait ?, ou pour le poor relative, le parent pauvre -, et aussi du pain aux trois saveurs au Deli (Delicacies ou Delicatessen) avant la cohue. Tiens, il me revient que le chiffre 3 est particulièrement bénéfique dans la culture chinoise, il se prononce comme "être en vie".

 

La maison de Paul Auster est à quelques encablures -si vous voulez vous promener en sa compagnie, rien de mieux que sa Trilogie new-yorkaise d'une main (Actes Sud, 2002) et de l'autre, le bon bouquin de Gérard de Cortanze (Le New York de Paul Auster, éditions du Chêne, 1996).

 

Demain, s'il fait beau, j'irai faire un tour du côté de Coney Island, et Henry Miller viendra à moi, son visage oriental, et les livres de sa vie (The Books in My Life, New Directions, 1969) dans les poches de son veston. Il me racontera, one more once, comment, fuyant le cauchemar climatisé qu'était la Grosse Pomme des années 1930, il prenait, dès qu'il pouvait se l'offrir, le premier train de banlieue venu pour une détente temporaire à l'embouchure de l'océan avant, un jour, de partir pour de bon. Je lui dirai qu'il avait sans doute eu raison, dimanche après dimanche, de se faire la promesse de lâcher tout, même si je pense avec son ami Blaise Cendrars que New York est une moving city où j'aimerais vivre pendant des mois entiers. Je lui dirai aussi que, de son point de vue, il avait alors bien fait, juste avant les ravages de la Grande Dépression, de s'embarquer pour Paris et ses gaîtés à Montparnasse. Nous parlerons d'Anaïs Nin et de leur passion au réciproque (voyez A literate Passion : Letters of Anaïs Nin & Henry Miller, 1932-53, Allison & Busby, 1992), et fumerons une cigarette à tout ça.

 

Henry retournera dans la fournaise du lendemain tandis que je resterai sur mon banc, la chemise ouverte, dans la lueur du jour qui se reposera enfin, après avoir bien trimé, comme tous les petits gars de Brooklyn.

14 novembre 2010 7 14 /11 /novembre /2010 07:00

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Dans la Venise du Nord, au tournant des années 1970, la vie underground grouillait d'expériences toutes plus fortes, et souvent plus naïves, les unes que les autres.

 

A posteriori, une seule motivation commune :  recréer de nouvelles bases existentielles.

 

Mais le mouvement Raster, par exemple, et d'autres sont maintenant bien loin de nous. In de aap gelogeerd zijn, reddeloos, radeloos, redeloos  !


 

Dès que je peux, je fais venir à mon oreille ce poème d'Apollinaire, Rosemonde (in Alcools, 1913) :


 

Longtemps au pied du perron de
La maison où entra la dame
Que j'avais suivie pendant deux
Bonnes heures à Amsterdam
Mes doigts jetèrent des baisers

Mais le canal était désert
Le quai aussi et nul ne vit
Comment mes baisers retrouvèrent
Celle à qui j'ai donné ma vie
Un jour pendant plus de deux heures

Je la surnommai Rosemonde
Voulant pouvoir me rappeler
Sa bouche fleurie en Hollande
Puis lentement je m'en allai
Pour quêter la Rose du Monde


 

 

et retourne déambuler le long du Herengracht en quête d'une fleur bleue. 

 

10 novembre 2010 3 10 /11 /novembre /2010 17:30

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Longtemps sur l'Alexanderplatz, j'ai cherché l'ours noir.

 

Je suis sûr maintenant que c'est un ours mythique. Mais j'ai toujours autant de plaisir à me promener dans les rues de Berlin, la présence d'Alfred Döblin et de tant d'autres dans mon sillage. 

 

Sur mon carnet - où que je sois, où que j'aille, j'ai toujours un ou plusieurs carnets 10 x 18 dans mes poches, Moleskine, Clairefontaine, merci chers amis papetiers !, et un feutre noir Japan made - j'inscris ces noms de lieux : Unter den Linden (sous les tilleuls), Humboldt-Universität, Bauhaus-Archiv, le Denkmal für die ermordeten Juden Europas, Postdamer Platz et cette Propststraße pour y faire, à l'occasion, quelques emplettes.

 

Aujourd'hui (quel mot magnifique de la langue française !), je pense à un grand allemand en particulier dont les textes ne cessent de m'accompagner. Il est le souvenir fait homme. Je suis heureux d'écrire son nom : Friedrich Hölderlin.

 

 

9 novembre 2010 2 09 /11 /novembre /2010 11:30

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Par une matinée de printemps, au sud de Moscou, dans le temps d'avant, une automobile de type Volga zigzaguait sur la route de Peredelkino (en russe : Переделкино) pour éviter non seulement les nids-de-poule mais épargner aussi les volatiles bien vivants qui, eux, déboulaient en tous sens sur la chaussée.

 

L'entrée du village derrière soi, une datcha sans apprêt au milieu de fleurs diversicolores : c'est ici que Boris Pasternak aura vécu ses dernières années dans une relégation presque agréable après qu'il eût été contraint en 1958, par les autorités d'alors, de décliner le prix Nobel (et la somme d'argent - la récompense - non négligeable qui allait avec).

 

Sur les étagères en pin de sa bibliothèque, ce qui m'avait frappé était une collection impressionnante d'auteurs français ou de langue française (je me souviens d'un Montaigne, d'un Rousseau et d'un Diderot dans le format du livre que l'on glisse aisément dans sa poche pour la rêverie en promenade), qui jouxtait une collection non moins représentative des meilleurs écrivains américains - Hemingway y figurait en belle place.

 

Après le tour de la maison, je fus invité à me rendre au cimetière local pour voir la tombe de Pasternak. S'il est vrai qu'un homme libre ne pense à rien moins qu'à la mort, comme l'écrit Spinoza, de temps à autre, je n'ai rien contre une balade dans un bon vieux churchyard du Devon aux pierres tombales moussues et à la pelouse impeccable de dignité.

 

Aucun cénotaphe, une simple dalle, le portrait en relief de Pasternak, et sur le pourtour de la pierre froide une multitude de roses, les unes végétales, les autres en papier comme si elles sortaient de mains d'enfants.

 

Mais c'est un autre souvenir que je veux garder de cette rencontre d'avril : la babouchka, Cerbère des lieux, étant occupée dans une pièce du bas à préparer le thé à l'aide d'un antique samovar, j'en ai profité pour poser sur mon crâne la casquette de Pasternak, une casquette rustique, qui était accrochée à une patère à l'entrée de son atelier .

 

Voilà comment, en toute humilité, j'ai pu faire revivre, courtement mais sûrement, le docteur Jivago...

8 novembre 2010 1 08 /11 /novembre /2010 09:15

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Depuis près d'une vingtaine d'années, il n'est plus un espace public sur cette terre sans musique ou zizique : rues, marchés, gares, aéroports, métros, accueils téléphoniques, j'en passe...

 

La situation est connue, elle empire, et me donne le plaisir matinal de jouer à Monsieur Grognatout !

 

Pourtant, il arrive qu'un air entendu ici ou là qui s'obstine à trotter dans la tête pendant une journée entière vous...transporte.

 

Ainsi à New York l'autre jour, September (Earth, Wind & Fire, 1978) au refrain spiralé que je reconnais aussitôt et dont je ne peux me déprendre...

 

Pourquoi lutter ? Et c'est taoïstement assis sur un banc du côté de Union Square que je laisse les souvenirs s'accorder.

31 octobre 2010 7 31 /10 /octobre /2010 15:50

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De l'eau ou peu s'en faut, à Mahâballipuram, dans l'Etat du Tamil Nadu, au lointain si proche, en Inde, jaillit le Shore Temple.


J'aime ce temple dans sa perfection nue.

 

À cinq heures, au soleil levant, tout alentour est ordre et beauté, luxe, calme et volupté.

 

On dit que c'est un temple pour y venir prier. Bien. Les natures étant diverses dans l'univers, pour moi, c'est, avant tout, au-delà de tout, le temple-cachette-refuge des écureuils. Pas l'écureuil géant (Ratufa indica), non, l'écureuil lambda des jardins anglais, des forêts suisses, de Brooklyn et de Sapporo.

 

Si, d'aventure, il s'était trouvé dans les parages, le touriste du monde spectaculaire aurait-il glissé, dans son everlasting sac-à-dos, au moment du départ, Mahabalipuram tout le monde descend de Jacques Brosse (éditions Fayard, collection L'Expérience psychique, Paris, 1973) ? Rien de moins sûr...

 

En Inde, je connais un autre temple. Résolument retiré. Infiniment plus secret. En son centre, dans une réconfortante étrangeté, pousse un banian hors d'âge ruisselant de pluies régulières. C'est un temple d'ici et de toujours comme dans les nouvelles de Kipling.

 

Un temple pour les enfants et certaines grandes personnes - quelques-unes, guère plus, diagnostic à l'appui et vérifiable, qui sont en prise directe avec leur enfance.