14 janvier 2011 5 14 /01 /janvier /2011 07:00

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Ciel charbon à Cape Wrath, Am Parbh. Cap de la Colère. Lettres venteuses du bout du monde. Lettres en finisterre.

 

Tu voulais la paix, une solitude intelligente, une géologie abrupte ? Tu es servi ! Mais c'est parfait.

 

Le cottage : porte ogivale, parquets en pin, murs d'un bleu lavande clair, collection de compas en cuivre, portulans colorés, odeur de mousse, son de braise.

 

Du bow-window, bonheur, j'ai une vue imprenable sur le large.

 

Voici des mouettes tapageuses en bandes compactes, des fous de Bassan (Morus bassanus), qui percent sans relâche les vagues, cascade de poignards blancs fondant des cimes et là, droit devant, de gentils canards bicolores venus au spectacle. Sur ma gauche, le signal intermittent du phare rouge et blanc construit, me dit le prospectus, en 1828 par Robert Stevenson, le grand-père de Robert Louis. Cet ingénieur royal aura, souligne l'article, conçu les plans d'une bonne partie des phares en cette région écossaise.

 

Le facteur vient d'apporter les journaux du jour. Je relève le courrier pour les amis qui me font la joie de me prêter cet isolement temporaire au charme, pour moi, féérique. « Vous montez la garde ! », me décoche ce sympathique fonctionnaire à vélo. Eh, oui, je l'avoue, il y a chez moi un côté hallebardier pour autrui, reliquat de préjugé aristocratique, c'est terrible, je pourrais lui expliquer entre deux lettres à distribuer et une mesure de whisky à savourer que l'aristocratie n'a rien à voir avec l'appartenance à une classe du temps naufragé, au sens pesamment sociologique du terme, et tout à voir avec la noblesse puissance N de l'esprit -le signe de reconnaissance des happy few. « Bye bye, see you tomorrow ! » J'aurais pu, tout aussi bien, de mémoire, lui citer Shakespeare, « We few, we happy few, we band of brothers... » Trop long, pas d'école, nous sommes frères le temps d'un regard, well, it is not too bad. It is, isn't it ?

 

Travail dégagé au feutre sur le grand carnet. Intérieur du langage. Intérieur de mon langage. Travail artisanal, pour ainsi dire, avant l'imprimatur définitif que permet plus tard la machine dite à écrire. Ma machine ? J'ai une tendresse infinie pour elle et chaque fois, c'est-à-dire tous les jours, que j'entends la musique qu'à deux nous produisons, les mains d'Ernest H., de William F., de Frantz K., d'Ossip M., de Jack K. et de tant d'autres s'animent par magie sous mes yeux.

 

Comme je ne suis pas tout à fait idiot, rara avis in terris, sic (encore que...Non, je plaisante), je sais aussi me servir d'un ordinateur (ce n'est quand même pas lui qui irait à se servir de moi !), laissant les contraptions, les objets, where they belong, à leur place. Mais il y a cette affaire d'écran. Or, je ne veux le moins d'écran possible entre le monde et moi.

 

La mienne - je vois d'ici les futurs thésards en quête d'anecdotes pittoresques, je vais les aider, aime ton prochain -, est une Smith-Corona Skyriter, gris-bleu, 1957, Syracuse, New York. La glisser dans une poche est enfantin.


« Et vous trouvez encore des rubans ? »

« Mais oui, des rubans standard. Prudent, j'ai un jour effectué une razzia mémorable chez un papetier à Londres. Tout est à présent dans un compartiment du frigidaire, sorry, du réfrigérateur. »

 

Skyriter. Ciel en écriture. Dévoilement lacté. Constellations. Axe zodiacal. Redistribution des cartes. Astronomie majeure. La première fois que j'ai atterri à Londres, c'était à bord d'un Lockheed Constellation à l'effigie de l'hippocampe dans le temps d'avant. Regarde les étoiles. Regarde les galaxies. Tu as ces conjonctions astrales en firmament quand tu traverses Grand Central Station, bénédiction, le jour ne ressemblera à aucun autre. Et tu as cette voûte céleste, flamboiement de juillet, une fois égale toujours, au-dessus de ta tête, en Arizona.   

 

De la matière sèche, crée la puissance liquide.

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