12 novembre 2014 3 12 /11 /novembre /2014 07:00

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Qui ? Quoy ? Comment ? À qui ? Pourquoi ?

 

 

L'amour en charpie ?

 

J'ouvre le livre :

 

« Beaulté lors vint, de costé moy s'assist,

Ung peu se teut, puis doulcement m'a dist:

Amy, certes, je me donne merveille

Que tu ne veulx pas que l'en te conseille;

Au fort saiches que tu ne peuz choisir,

Il te convient à Amour obeir;

Mes yeulx prindrent fort à la regarder,

Plus longuement ne les en peu garder;

Quant Beaulté vit que je la regardoye,

Tost par mes yeulx ung dard au cueur m'envoye. »

 

 

On saura apprécier...

22 octobre 2014 3 22 /10 /octobre /2014 06:00

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I write to cover a frame of ideas...

 

 

Traversé Sandgate.

 

Géologie de la Manche.

 

Mouettes qui migrent à l'Ouest.

 

  Gamins en équilibre sur des rollers.

 

Juke-box dans les tympans.

 

Cinéma de l'angle.

 

Affiches en technicolor.

 

Armageddon, Excalibur, Terminator.

 

C'est drôle, l'anagramme de tea.

 

Well, it isn't that funny.

 

Froid piquant d'octobre pluvieux.

 

Vu l'endroit, Spade House.

 

Écusson vert pour lettres dorées.

 

Science de la fiction.

 

Ses livres dans la bibliothèque mondiale.

 

The Time Machine : utile.

 

Surtout The Outlook for Homo Sapiens.

 

Première publication : 1942.

 

Synthèse perpectiviste de The Fate of Man & de The New World Order.

 

Nouvel ordre mondial.

 

Le début noté avant le départ :

 

« In this small book I want to set down as compactly, clearly and usefully as possible the gist of what I have learnt about war and peace in the course of my life. I am not going to write peace propaganda here. I am going to strip down certain general ideas and realities of primary importance to their framework, and so prepare a nucleus of useful knowledge for those who have to go on with this business of making a world peace. »

 

La fin aussi :

 

« There is nothing really novel about this book. But there has been a certain temerity in bringing together facts that many people have avoided bringing together for fear they might form an explosive mixture. »

 

On sait l'anglais.

 

À quoi bon traduire ?

 

Repars dans le jour incertain.

 

Proprette, la gare.

 

Kiosque à journaux.

 

Scénario comique : crise économique.

 

Troisième degré.

 

Odeur de poudre montant des news.

17 septembre 2014 3 17 /09 /septembre /2014 06:00

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Tiens, ce relevé dans mon agenda :

 

« L'absorption de cinq substances, découvertes depuis environ deux siècles et introduites dans l'économie humaine, a pris depuis quelques années des développements si excessifs, que les sociétés modernes peuvent s'en trouver modifiées d'une manière inappréciable.

 

Ces cinq substances sont :

 

1° L'eau-de-vie ou alcool, base de toutes les liqueurs, dont l'apparition date des dernières années du règne de Louis XIV, et qui furent inventées pour réchauffer les glaces de sa vieillesse.

2° Le sucre. Cette substance n'a envahi l'alimentation populaire que récemment, alors que l'industrie française a su la fabriquer en grandes quantités et la remettre à son ancien prix, lequel diminuera certes encore, malgré le fisc, qui la guette pour l'imposer.

3° Le thé, connu depuis une cinquantaine d'années.

4° Le café. Quoique anciennement découvert par les Arabes, l'Europe ne fit un grand usage de cet excitant que vers le milieu du dix-huitième siècle.

5° Le tabac, dont l'usage par la combustion n'est devenu général et excessif que depuis la paix en France.

 

Examinons d'abord la question, en nous plaçant au point de vue le plus élevé.

 

Une portion quelconque de la force humaine est appliquée à la satisfaction d'un besoin ; il en résulte cette sensation, variable selon les tempéraments et selon les climats, que nous appelons plaisirs. Nos organes sont les ministres de nos plaisirs. Presque tous ont une destination double : ils appréhendent des substances, nous les incorporent, puis les restituent, en tout ou en partie, sous une forme quelconque, au réservoir commun, la terre, ou à l'atmosphère, l'arsenal dans lequel toutes les créatures puisent leur force néocréative. Ce peu de mots comprend la chimie de la vie humaine.

Les savants ne morderont point sur cette formule. Vous ne trouverez pas un sens, et par sens il faut entendre tout son appareil, qui n'obéisse à cette charte, en quelque région qu'il fasse ses évolutions. Tout excès se base sur un plaisir que l'homme veut répéter au delà des lois ordinaires promulguées par la nature. Moins la force humaine est occupée, plus elle tend à l'excès ; la pensée l'y porte irrésistiblement. »

 

Relire De Quincey sous le tilleul...

27 août 2014 3 27 /08 /août /2014 06:00

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Cette note dans un carnet :

 

« Le 28 août 1749, au coup de midi, je vins au monde à Francfort-sur-le-Main. La constellation était heureuse ; le soleil était dans le signe de la Vierge et à son point culminant pour ce jour-là ; Jupiter et Vénus le regardaient amicalement et Mercure sans hostilité ; Saturne et Mars demeuraient indifférents ; seulement la Lune, qui venait d’entrer dans son plein, déployait d’autant plus le pouvoir de son reflet, que son heure planétaire avait commencé en même temps. Elle s’opposait donc à ma naissance, qui ne put s’accomplir avant que cette heure fût écoulée.

 

Ces aspects favorables, que les astrologues surent me faire valoir très-haut dans la suite, peuvent bien avoir été la cause de ma conservation : car, par la maladresse de la sage-femme, je vins au monde comme mort, et il fallut des efforts multipliés pour me faire voir la lumière. Cette circonstance, qui avait jeté mes parents dans une grande angoisse, tourna cependant à l’avantage de mes concitoyens, car mon  grand-père, Jean Wolfgang, maire de la ville, en prit occasion de faire établir un accoucheur, et introduire ou renouveler une école d’accouchement, ce qui a pu profiter à plusieurs de ceux qui sont nés après moi. »

 

Après, les choses s'éclaircissent...

13 août 2014 3 13 /08 /août /2014 06:00

 

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Un peu de lecture, lorsque l'automne s'annonce :

 

« Le 20, Lenz traversa la montagne. Les sommets et les hauts plateaux étaient sous la neige ; dans les vallées, en bas, des pierres grises, des plaines vertes, des rochers et des sapins. Il faisait un froid humide ; l’eau ruisselait le long des rochers et jaillissait sur le chemin. Les branches des sapins pendaient lourdement dans l’air moite. Au ciel couraient des nuages gris, le tout fort épais ; puis le brouillard s’élevait en fumant et pénétrait peu à peu à travers les buissons, paresseusement, pesamment. Lenz avançait avec indifférence, sans souci de la route, tantôt montant, tantôt descendant. Il n’éprouvait aucune fatigue ; il lui était seulement parfois désagréable de ne pouvoir marcher sur la tête. Au commencement il se sentait la poitrine oppressée, quand il entendait les pierres se détacher autour de lui en bondissant, la forêt grise secouer sa chevelure, et que le  brouillard tantôt dévorait les formes, tantôt les revêtait de membres gigantesques ; il était fort agité, il cherchait quelque chose, comme des rêves perdus, mais il ne trouvait rien. Tout lui semblait si petit, si rapproché de lui, qu’il aurait pu mettre la terre dans un coin ; il ne comprenait pas qu’il lui fallût aussi longtemps pour arriver au bas d’une pente, pour atteindre un point éloigné ; il s’imaginait pouvoir tout mesurer en deux pas.

 

Parfois seulement, quand la tempête lançait les nuages dans les vallées et que ceux-ci tourbillonnaient en fumant au-dessus de la forêt ; quand les voix s’éveillaient sur les rochers, tantôt comme des tonnerres expirant au loin, tantôt bruissant violemment, en notes qui, dans leur joie sauvage, semblaient vouloir célébrer la terre ; quand les nuages s’élançaient comme des chevaux indomptés qui hennissent, que le soleil les pénétrait de ses rayons et que son glaive étincelant, imprimé sur les plaines neigeuses, découpait le sommet des vallées en tranches de lumière claire et aveuglante ; ou bien, lorsque l’orage repoussait la nuée en y creusant un lac bleu, que le vent mourait et arrivait en bourdonnant des ravins profonds, des sommets des sapins, comme un chant de nourrice ou un carillon de cloches ; lorsque au ciel bleu apparaissait une légère rougeur, que de petits nuages filaient sur des ailes d’argent, et que les cimes des montagnes, aiguës et nettes, brillaient et flamboyaient   à une grande distance, alors sa poitrine se déchirait, il s’arrêtait, haletant, le corps courbé en avant, les yeux et la bouche grands ouverts, comme s’il voulait aspirer en lui et absorber la tempête; il s’étendait et se couchait sur la terre, il se plongeait.au sein de l’univers, éprouvant une joie qui le faisait souffrir; ou bien il se tenait tranquille, reposant sa tête sur la mousse et fermant à demi les yeux. Alors tout s’éloignait de lui, la terre cédait sous son corps, elle devenait petite comme une étoile en marche et se plongeait dans un fleuve mugissant dont les flots limpides coulaient à ses pieds.

 

Mais cela ne durait qu’un instant. Il se relevait bientôt, dégrisé, ferme et calme, comme si un spectacle fantasmagorique avait tout simplement passé devant ses yeux ; il ne se souvenait plus de rien. Vers le soir il arriva au sommet de la montagne, sur le plateau neigeux par lequel on regagne la plaine du côté de l’ouest ; il s’y assit. A cette heure la nature s’était rassérénée; les nuages reposaient immobiles dans le ciel ; aussi loin que s’étendait le regard, rien que des sommets d’où partaient de larges plaines. Tout était tranquille, gris, crépusculaire. »

 

C'est exactement ce que j'ai sous les yeux...

22 juillet 2014 2 22 /07 /juillet /2014 22:00

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Je poursuis mon voyage breton.

 

Chez un bouquiniste, je tombe sur un bréviaire historique et ces quelques lignes :

 

« Si nous envisageons dans son ensemble le développement de l’esprit hébreu, nous sommes frappés de ce haut caractère de perfection absolue qui donne à ses œuvres le droit d’être envisagées comme classiques, au même sens que les productions de la Grèce, de Rome et des peuples latins. Seul entre tous les peuples de l’Orient, Israël a eu le privilège d’écrire pour le monde entier. C’est certainement une admirable poésie que celle des Védas, et pourtant ce recueil des premiers chants de la race à laquelle nous appartenons ne remplacera jamais, dans l’expression de nos sentimens religieux, les Psaumes, œuvre d’une race si différente de la nôtre.

 

Les littératures de l’Orient ne peuvent, en général, être lues et appréciées que des savants ; la littérature hébraïque, au contraire, est la Bible, le livre par excellence, la lecture universelle : des millions d’hommes ne connaissent pas d’autre poésie. Il faut faire sans doute, dans cette étonnante destinée, la part des révolutions religieuses, qui, depuis le XVIe siècle surtout, ont fait envisager les livres hébreux comme la source de toute révélation ; mais on peut affirmer que si ces livres n’avaient pas renfermé quelque chose de profondément universel, ils ne fussent jamais arrivés à cette fortune. Israël eut, comme la Grèce, le don de dégager parfaitement son idée, de l’exprimer dans un cadre réduit et achevé. La proportion, la mesure, le goût, furent en Orient le privilège exclusif du peuple hébreu, et c’est par là qu’il réussit à donner à la pensée et aux sentiments une forme générale et acceptable pour tout le genre humain. »

 

Louable, mais classique, Renan lit la Bible à l'aune du christianisme...

 

Malentendus prévisibles...

9 juillet 2014 3 09 /07 /juillet /2014 06:00

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On va pouvoir se reposer...

 

 

Le train de la vacance de Montparnasse à la mer Celtique. Ce sont les beaux jours qui glissent comme une barque dans la lumière chaude du matin. J'ouvre le livre, un avant-goût :

 

« Si ma santé s’affermissait et que mes parents me permissent, sinon d’aller séjourner à Balbec, du moins de prendre une fois, pour faire connaissance avec l’architecture et les paysages de la Normandie ou de la Bretagne, ce train d’une heure vingt-deux dans lequel j’étais monté tant de fois en imagination, j’aurais voulu m’arrêter de préférence dans les villes les plus belles ; mais j’avais beau les comparer, comment choisir plus qu’entre des êtres individuels, qui ne sont pas interchangeables, entre Bayeux si haute dans sa noble dentelle rougeâtre et dont le faîte était illuminé par le vieil or de sa dernière syllabe ; Vitré dont l’accent aigu losangeait de bois noir le vitrage ancien ; le doux Lamballe qui, dans son blanc, va du jaune coquille d’œuf au gris perle ; Coutances, cathédrale normande, que sa diphtongue finale, grasse et jaunissante, couronne par une tour de beurre ; Lannion avec le bruit, dans son silence villageois, du coche suivi de la mouche ; Questambert, Pontorson, risibles et naïfs,  plumes blanches et becs jaunes éparpillés sur la route de ces lieux fluviatiles et poétiques ; Benodet, nom à peine amarré que semble vouloir entraîner la rivière au milieu de ses algues : Pont-Aven, envolée blanche et rose de l’aile d’une coiffe légère qui se reflète en tremblant dans une eau verdie de canal ; Quimperlé, lui, mieux attaché et, depuis le moyen âge, entre les ruisseaux dont il gazouille et s’emperle en une grisaille pareille à celle que dessinent, à travers les toiles d’araignées d’une verrière, les rayons de soleil changés en pointes émoussées d’argent bruni ? »

 

Le bel été '14...

24 juillet 2013 3 24 /07 /juillet /2013 06:00

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À l'autre bout du monde, la jungle au crépuscule, le livre sur les genoux :

 

 

            À une passagère.

 

« En fumée elle est donc chassée

L’éternité, la traversée
Qui fit de Vous ma sœur d’un jour,
Ma sœur d’amour !…

Là-bas : cette mer incolore
Où ce qui fut Toi flotte encore…
Ici : la terre, ton écueil,
Tertre de deuil !

On t’espère là… Va légère !
Qui te bercera, Passagère ?…
Ô passagère de mon cœur,
Ton remorqueur !…

Quel ménélas, sur son rivage,
Fait le pied ?… — Va, j’ai ton sillage…
J’ai, — quand il est là voir venir, —
Ton souvenir !


Il n’aura pas, lui, ma Peureuse,
Les sauts de ta gorge houleuse !…
Tes sourcils salés de poudrain
Pendant un grain !

Il ne t’aura pas : effrontée !
Par tes cheveux au vent fouettée !…
Ni, durant les longs quarts de nuit,
Ton doux ennui…

Ni ma poésie où : — Posée,
Tu seras la mouette blessée,
Et moi le flot qu’elle rasa
Et cætera.

— Le large, bête sans limite,
Me paraîtra bien grand, Petite,
Sans Toi !… Rien n’est plus l’horizon
Qu’une cloison.

Qu’elle va me sembler étroite !
Tout seul, la boîte à deux !… la boîte
Où nous n’avions qu’un oreiller
Pour sommeiller.


Déjà le soleil se fait sombre
Qui ne balance plus ton ombre,
Et la houle a fait un grand pli…
— Comme l’oubli ! —

Ainsi déchantait sa fortune,
En vigie, au sec, dans la hune,
Par un soir frais, vers le matin,
Un pilotin.

 

10° long. O.

40° lat. N. »

 

 


Tristan, quel est ton voyage intérieur ?

 

 

(Tristan Corbière, Steam-boat in Les Amours jaunes, Librairie du XIXe siècle, Glady Frères, Éditeurs, Paris, 1873)

 

 

 


 

24 février 2013 7 24 /02 /février /2013 07:00

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En prévision que d’ici peu j’aurai à soumettre l’humanité à une exigence plus dure que celles qui lui ont jamais été imposées, il me paraît indispen­sable de dire ici qui je suis...

 

 

Je sais qu'ils viennent aujourd'hui.

 

Hier soir, j'ai à nouveau consulté mon agenda et il s'avère inexorablement fiable. Agenda : calepin des actions journalières, à mener ou à ne pas entreprendre, eh oui, sagesse orientale, mémento d'une mémoire, la mienne, exorbitante, semainier des petites et grandes réflexions-projets. Ils se tiennent bien au chaud, mes agendas, sur l'étagère en châtaignier pour les plus récents, dans la malle de marine pour les plus retirés au  temps qui se conjugue à jamais au présent. Doublons de mon journal, lui-même doublon de mes écrits aux quatre vents.

 

La vie a passé - passe en un clin d'œil.

 

J'ai sept ans dans le parc, les fleurs odorantes, les massifs de rocaille, Sikky, mon brave chien noir de feu à mes côtés,  les arbres en essences multiples d'éternité voulue, dix-sept ans dans une grande salle chaude de la National Gallery à Londres, je m'empare des tournesols de Van Gogh, vingt-sept ans dans le fier midi de la France où je reconstruis ma vie, trente-sept ans à patiner sur la glace de la Néva, quarante-sept ans en saddu improbable sur les berges du Gange à Bénarès, वाराणसी, Clair de terre d'André Breton ouvert à la bonne page, sept ans, encore sept ans, jusqu'à soixante-dix sept ans pour tout dans le détail recommencer.

 

Neuf heures. Morning up ! Les deux journalistes suisses sonnent à la porte de ma maison. Je vous l'ai déjà dit, j'aime la spontanéité des journalistes helvètes, leur franchise et leur exactitude dans l'exercice quotidien du métier.

 

 

J : Ce sont les épreuves de votre dernier livre, n'est-ce pas ?

 

A : Oui. Je ne sais pas si c'est le dernier opus, cet adjectif me fait sourire, puisque je travaille tout le temps ! [Rires] Mais vous avez raison, je suis en train d'apporter quelques ultimes modifications à mon manuscrit avant sa sortie.

 

J : Ce qui nous avait frappé lors de notre précédent entretien est votre façon unique, votre style bien à vous, de raconter la vie, la vie de tous les jours, en la propulsant immédiatement sur le terrain de l'universel.

 

A : En serait-il autrement ? Ce que je suis, d'où je viens, ce que je sens, sensation, maître-mot, me rend aussitôt solidaire de la marche du cosmos ! Depuis que je sais marcher, lire et écrire, je note la moindre épiphanie, ce surgissement du grand réel qui ne cesse de me fasciner dans tous ces aspects. Le local rejoint le global. Plus concrètement, cette vie, ma vie, ici, dans le Sud de la France, ce Sud, carrefour multiforme de tant de civilisations, me met au contact d'une foultitude d'individus qui disent des choses, s'activent, proposent pour essayer d'y voir clair et de vivre mieux. Là encore, le particulier se déplace potentiellement vers l'universel. J'enregistre, je participe à l'occasion. Autant de manifestations, si vous voulez, qui m'intéressent au plus haut point, de micro-résistances, pour reprendre l'expression de Gilles Deleuze, à, somme toute, la bêtise massive, la platitude grégaire qui s'installe partout.

 

(...)

 

J : Que pensez-vous de l'idée de l'éternel retour telle que l'a exposée Nietzsche ?

 

A : Je comprends ce qu'a voulu dire Nietzsche, mais je ne pense pas en ces termes. Au contraire, même, je pense que rien, je dis bien rien, ne peut se répéter des points de vue strictement existentiel et plus largement historial. J'aimerais pourtant que la chose fût envisageable rapportée à ma propre vie ! Tenez, je trouve qu'en matière d'éducation - à ce sujet, si Nietzsche que nous évoquons pouvait encore parler, il aurait sans doute beaucoup de choses à dire -, il faudrait reprendre les contenus d'enseignement de l'histoire à la base. Vous prenez un manuel, un manuel scolaire, contemporain, la remarque vaut aussi pour la géographie, c'est incompréhensible. Et ce n'est pas le fruit du hasard. Qui fait quoi, où et comment ? je vous le demande. Au total, lorsque vous posez une ou deux questions-cibles à des étudiants, les miens par exemple, vous obtenez, sauf remarquables exceptions, l'expression d'une bouillie psychique en déluge inquiétant.

 

(...)

 

J : Vous nous dites que vous vous montrez solidaire et en même temps vous apparaissez comme très individualiste...

 

A : Ah ! Je crois à la force - puissante ! - de l'individu. En tous temps et en tous lieux. Ce qui ne m'empêche nullement, bien au contraire, de sympathiser, d'aider, souvent de manière discrète, silence là-dessus, d'impulser aussi. Mais un auteur est, par définition, un individu et, peut-être, à la limite de la formule, un isolé absolu. Et j'ajoute, dans le meilleur des cas, un monde en mouvement. Voici non seulement ma vision des choses, mais, au-delà, mes perspectives encore une fois existentielles. Connaissez-vous la nouvelle d'Edgar Poe, La Lettre volée, The Purloined Letter ? Oui, bien sûr, je n'en doute pas. De l'ancien français porloignier, mettre à distance. J'agis, bien en évidence, sous le regard social, mais l'essentiel se passe ailleurs, dans la coulisse, qui arrive, qui finit par arriver, à un moment ou à un autre, au premier plan. Comme dit l'autre, je suis, irrémédiablement, le seul de mon parti !

 

(...)

 

 

Après l'entretien, j'ouvre une bouteille de Saint-Émilion au jardin. Sur la table en fer forgé, les aventures de l'un de mes héros, Corto Maltese.

 

Chic, charme et détermination.

 

 

 

16 décembre 2012 7 16 /12 /décembre /2012 07:00

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Notre bateau, la Forge des Mers, sortait des vents alizés...

 

 

De Suède, je reçois une carte postale. Aux abords de l'hiver, la crise abîmant les peuples dans une torsion inouïe, cet objet de papier, fragile et désormais incongru, qui me donne à voir la silhouette de Bashō sur les chemins étroits du Nord profond, est un éblouissement. En une formule serrée dont elle a le talent, cette amie, professeur de biologie à l'université de Stockholm, me souhaite, entre autres, le plus doux des Noël. Season's Greetings aux vertus balsamiques.

 

La carte : un dessin à l'encre du Japon où je vois un tout petit homme que je reconnais aussitôt, un baluchon noir moucheté sur l'épaule gauche, une tige de bambou dans la main droite, qui s'aventure dans une direction sinueuse sans fin, entouré de montagnes aiguisées sur les flancs desquelles bondissent des torrents diaboliques. Un paysage de stylisation extrême qui décape. 

 

C'est peut-être cela, au fond, la preuve de la vie exacte : tranquillité, vitalité, individualité. Et quelquefois plus, si affinités.

 

Pas de signature sur l'esquisse en noir et blanc aussi légère qu'un flocon de neige. Et au dos de la carte, aucune indication. Anonymat garanti.

 

L'amie me demande si j'ai gardé cette édition d'autrefois. Bien sûr ! Et je mets la main dessus, section nordique, lettre M, l'opus original et sa traduction en langue française côte à côte. A bourlingué pendant plus d'une dizaine d'années sur toutes les eaux du globe, notre ami Harry, qui était aussi l'ami des prolétaires-vagabonds rebelles, en tous feux, en tous lieux, aux impositions sociales. À commencer par le travail obligatoire. Exploitation audacieuse versus chômage massif et vice-versa. Un tourment, une torture...Les mille métiers de la débrouillardise dès son adolescence et la volonté, très vite, de transcrire sur la page ses expériences dans un monde qui fonçait - et fonce toujours - vers les carnages. Les bons contre les méchants. Les méchants sont, d'ailleurs, devenus très méchants.

 

Oui, de nouveau, j'ai ouvert le livre à la fière couverture rouge comme le vrai sang. Dans la préface à l'édition française, Paul Morand (son Venises, au pluriel, sensible) parle de poésies de voyage et rapproche l'existence de Martinson de celle d'Henri Michaux. Bien vu. Mousse, débardeur (l'imagerie des coursives, des quais, des hangars - on n'a guère besoin d'être Finnois pour tirer son couteau dans les quartiers du port, les argots bizarres, les mots qui sentent le goudron et la saumure), coureur de prairie en Amérique du Sud, et surtout beachcomber - écumeur de rivages ! D'accord avec Morand quand il souligne chez Martinson son lyrisme, son humour (ce trait original du romantisme d'aujourd'hui) et sa fraternité whitmanesque.

 

Chanson pour la Tzigane, Il pleut sur Gand, La Ville des perroquets, Le Vagabond universel, Mer exaltée : les titres qui s'élèvent de la table exercent toujours autant leur charme vigoureux.  Ainsi cet Automne sur la Mer du Nord, le début :

 

Voici que sort la flotte sur le Dogger Bank -

La flotte de l'alimentation, les barques de pêcheurs

de Portsmouth -

Dans la tristesse du jour marin gris, très gris, une

brume londonienne renvoie l'écho

Des chalutiers et des bateaux chargés de bois de

Norrland.

Les cargos de poivre de Cochinchine

Beuglent de leurs grosses orgues

En sortant de la sale Tamise.

 

 

Et ceci : Aucune littérature ne disperse plus l'esprit qu'un bon récit de voyage Plus grandes sont les surfaces géographiques qu'il embrasse, plus il écartèle la pauvre âme recroquevillée dont l'essence intime est proprement de se ratatiner en un nœud de cordage et de ne jamais voyager. Car les circonstances et la vie ont fait l'homme ainsi : pendant des milliers d'années son instinct nomade (je souligne) a été refoulé.

 

Plus avant, ceci encore : Je disais que le récit de voyage disperse...Eh ! oui, du point de vue petit-bourgeois il disperse dans la mesure où il éveille des nostalgies. Tout ce qui sent le nomade est en horreur aux vrais refoulés ; cela leur semble indécent et antisocial. Moi qui me range à la religion des échanges, du vagabondage, je suis convaincu de la mission sociale universelle de nos pieds et de leur valeur thérapeutique pour notre âme.


 

Je place la carte du jour près de la fenêtre ouverte pour qu'elle se fonde bien dans les plis du jardin. 

 

Orientation nomade. Individu universel de pensée et de mouvement, mes voyages contemplatifs ne sont jamais à un paradoxe près.

 

Je veux vous raconter...

 

 

 

(Harry Martinson, Resor untan mål / Voyages sans but, traduit du suédois par E. Avenard, préface de Paul Morand, Stock, 1974)