17 novembre 2010 3 17 /11 /novembre /2010 16:45

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Dans le train (un train à escales, pas un TGV) qui me mène de R.à P. où je suis invité à donner une conférence sur le mouvement transcendantaliste (long word and long-lasting ideas...), j'emporte un bagage léger où j'ai glissé ce compendium, Vertige de la liste (Umberto Eco, Flammarion, 2009), voyage dans le voyage.

 

J'aime les cabinets de curiosités et celui-ci, concocté par la main d'un maître, me ravit au suprême. Entre la sélection fine des meilleurs textes et les illustrations parlantes (Léonard de Vinci, Giuseppe Arcimboldo, Brueghel, Rubens...), il y en a pour tous les goûts ou, me ravisant, pour le goût, qualité par excellence qui concentre toutes les autres.

 

Quelle joie, ces énumérations sans fin ! Listes dans la Théogonie d'Hésiode, "Et, à Nérée, des filles enviées entre les déesses, au milieu de la mer inféconde, naquirent de Doris, Doris aux beaux cheveux, la fille d'Océan, le fleuve sans rival : Plôtô et Eucranté, Saô et Amphitrite, Eudôré et Thétis, Galéné et Glauké...", liste des anges d'Abdizuel à Zymeloz, liste des démons d'Aamon à Zepar, listes chez Dante (relisez le Paradis, 1472), liste des litaniae lauretanae, liste des périples d'Ulysse (Homère, encore et toujours), sans oublier les excès rabelaisiens - et me voici déjà à bon port !

 

L'éternité est retrouvée : le temps sonne silencieusement.

14 novembre 2010 7 14 /11 /novembre /2010 10:45

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Parmi les trois livres sur l'île déserte : les Essais.

 

J'aime beaucoup ce fier portrait de Michel de Montaigne (eh oui, Montaigne a un prénom...) que l'on peut voir, mieux, admirer au musée Condé à Chantilly.

 

Dans la resserre en châtaignier de ma  bibliothèque - la forme de ma bibliothèque est ronde et n’a de rectiligne que ce qu’il faut à ma table et à mon siège et elle m’offre dans sa courbe, d’un seul regard, tous mes livres rangés sur cinq rayons tout autour (Essais, III,3) -, une reproduction de ce portrait me salue chaque fois que je franchis le seuil de ma librairie

 

Les jours de ciel gris-battant - j'invente cet adjectif au débotté, Montaigne aurait agi mêmement qui eut le courage de laisser tomber les charges publiques pour s'en aller lire les lignes du monde -, il m'arrive, et, en général, il m'arrive beaucoup de choses, de me replonger dans le bel éloge que Maurice Merleau-Ponty adresse à Montaigne (Lecture de Montaigne in Éloge de la philosophie, Gallimard, 1960).

 

Ce sont les derniers mots de cet essai des temps modernes que je préfère : Il a cherché et peut-être trouvé le secret d'être, dans le même temps, ironique et grave, libre et fidèle.

 

En compagnie de Montaigne, l'un des meilleurs esprits de toutes les époques et de tous les climats, l'île ne sera jamais plus déserte.

14 novembre 2010 7 14 /11 /novembre /2010 08:00

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Que voulez-vous que je vous dise ?

 

Ce à quoi nous assistons surpasse les jeux du cirque romain.

 

C'est dire...

 

Tout vaut tout et tout (dans le Spectacle) est rapporté au même plan (expression satisfaite du Plus Petit Dénominateur Commun).

 

Du bête au sot et du nul au néant : résumé,  G.F. dixit, de la situation.

 

Bon.

 

When in jeopardy, try to find a place of shelter and retreat !

 

De la bibliothèque nomade, j'emporte avec moi Ecce homo dans cette édition archi usée : aussitôt éclaircie.

 

Ah !, pas de meilleur viatique pour le jour qui s'ouvre...

8 novembre 2010 1 08 /11 /novembre /2010 17:00

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Prouvez-moi que vous n'êtes pas religieux. Qu'aucune superstition ne vient entraver votre libre arbitre. Que la parole sort de votre bouche de sa propre nécessité.

 

Comment ? Tel n'est pas le cas ? Qui plus est, vous comprenez bien être le jouet éternel d'influences néfastes que vous ne pouvez écarter ?

 

Le médecin urgentiste que je suis vous prescrit la lecture (ou la relecture...) des Lettres philosophiques du maître électrique entre tous, Voltaire.

 

Souverain bien et paix de l'âme garantis.

8 novembre 2010 1 08 /11 /novembre /2010 10:45

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Plus d'une fois, notre ami Rimbe aura traversé cette forêt des Ardennes en direction de la Semois, rivière belge sur les berges de laquelle poussaient des plants de chanvrier aux vertus mirifiques pour les uns, méphitiques pour les autres.

 

Le chanvre d'Arthur a disparu au profit, dit-on, de l'herbe à Nicot. Reste, si je puis dire, ce texte envoûtant de mai 1872 dont les critiques sont loin d'avoir épuisé les sens :


 

La Rivière de Cassis roule ignorée
         En des vaux étranges :
La voix de cent corbeaux l’accompagne, vraie
         Et bonne voix d’anges :
Avec les grands mouvements des sapinaies
         Quand plusieurs vents plongent.

Tout roule avec des mystères révoltants
         De campagnes d’anciens temps ;
De donjons visités, de parcs importants :
         C’est en ces bords qu’on entend
Les passions mortes des chevaliers errants :
         Mais que salubre est le vent  !

Que le piéton regarde à ces claires-voies :
         Il ira plus courageux.
Soldats des forêts que le Seigneur envoie,
         Chers corbeaux délicieux  !
Faites fuir d’ici le paysan matois
         Qui trinque d’un moignon vieux.


 

 

À lire et à relire : entendez bien les deux premiers vers... 

 

 

(Arthur Rimbaud, La Rivière de Cassis, Derniers vers, 1872)

4 novembre 2010 4 04 /11 /novembre /2010 19:30

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Ma main m'est aussi intime que mon oreille, mon œil et mon nez.

 

Mon oreille entend la note juste et celle qui ne l'est pas.

 

Mon œil voit beaucoup, se souvient de tout : il reconnaît les moindres chemins de ma vie - instantanément.

 

Mon flair, sans jouer le jeu de la fausse modestie, est remarquable à débusquer, de près, de loin,  les faux-semblants.

 

Quand je trace des signes, dans la nuit profonde ou en pleine clarté, ma main est aussitôt déliée : une main athlétique.

 

Elle en a serré des mains, la mienne. Et, si affinités électives, il lui arrive de dire, sans insister, que, par écrivains interposés, elle a serré, exemple entre cent, celle de James Joyce.

 

Ma main a une chance céleste.

1 novembre 2010 1 01 /11 /novembre /2010 11:00

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In & out, je relis les lettres de Van Gogh à son frère Théo (éditions Grasset, Paris, 1972).

 

La première de ces lettres date d'août 1872. Nous sommes juste après l'irruption de la Commune et Van Gogh qui signera souvent de son seul prénom Vincent - où l'on peut entendre, qui sait ?, le sang ardent et les ivresses nécessaires que procure le pinard -, ne sait pas encore qu'il va devenir un grand peintre, comme dit le bœuf social.

 

L'homme à la pipe et à l'oreille cassée sera cette comète (une existence d'à peine quarante années, et je pense à Arthur R.) qui bouleversera durablement la trajectoire mémorielle de la peinture ainsi que la façon qu'aura l'œuvre picturale de capter l'œil.

 

Tenez, vous ne savez pas quoi faire ?, je vous propose d'alterner, presto, la lecture de ces lettres avec la lecture du puissant texte d'Antonin Artaud, Van Gogh ou le suicidé de la société (éditions Gallimard, dans l'agréable collection Quarto, Paris, 2004) : vous m'en direz des nouvelles...

31 octobre 2010 7 31 /10 /octobre /2010 14:00

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Le plus connu, le haïku originel, celui de Matsuo Bashō, 1644-1694, dont le nom de plume signifie, rappelons-le, bananier en japonais, est celui, parmi tant d'autres, que j'aime, encore et toujours, lire, à fredonner, devant le bassin aux poissons rouges :

 

La vieille mare

Une grenouille y plonge

Ploc !

 

Version en langue anglaise et nuances :

 

The old pond

A frog jumps in

The sound of the water

 

 

Ah !, cette vieille mare ou ce vieil étang (étant ?), il n'y a pas que les grenouilles qui y plongent :

 

Dans la vieille mare

A coulé une sandale de paille

Tombe la neige fondue


 

(Buson, 1716-1783, "village rustique", c'est son "nom")


 

L'étang ou la mare ne sont jamais désolidarisés du réseau naturel :

 

La rivière et l'étang

Désormais ne font qu'un

Pluie de printemps

 

(Buson)


 

Humilité des choses et de l'approche, bien entendu, et c'est tout l'art du haïku, mais humilité apparente pour qui sait lire entre les lignes :

 

J'ai emprunté ma chaumière

Aux puces et aux moustiques

Et j'ai dormi

 

(Issa,1763-1828)


 

Dans la bibliothèque de l'atelier, mon atelier des quatre vents,  je relis la magnifique anthologie du haïku de Maurice Coyaud publiée dans le temps d'autrefois (Fourmis sans ombre, éditions Phébus, Paris, 1978) et tombe sur celui-ci qui dit à la perfection mon état d'esprit présent :

 

Ils ne pipaient mot

Ni l'invité ni l'hôte

Ni les chrysanthèmes blancs

 

(Ryôta, 1718-1787)

 

 

It is good as it is.