À l'autre bout du monde, la jungle au crépuscule, le livre sur les genoux :
À une passagère.
« En fumée elle est donc chassée
L’éternité, la traversée
Qui fit de Vous ma sœur d’un jour,
Ma sœur d’amour !…
Là-bas : cette mer incolore
Où ce qui fut Toi flotte encore…
Ici : la terre, ton écueil,
Tertre de deuil !
On t’espère là… Va légère !
Qui te bercera, Passagère ?…
Ô passagère de mon cœur,
Ton remorqueur !…
Quel ménélas, sur son rivage,
Fait le pied ?… — Va, j’ai ton sillage…
J’ai, — quand il est là voir venir, —
Ton souvenir !
Il n’aura pas, lui, ma Peureuse,
Les sauts de ta gorge houleuse !…
Tes sourcils salés de poudrain
Pendant un grain !
Il ne t’aura pas : effrontée !
Par tes cheveux au vent fouettée !…
Ni, durant les longs quarts de nuit,
Ton doux ennui…
Ni ma poésie où : — Posée,
Tu seras la mouette blessée,
Et moi le flot qu’elle rasa…
Et cætera.
— Le large, bête sans limite,
Me paraîtra bien grand, Petite,
Sans Toi !… Rien n’est plus l’horizon
Qu’une cloison.
Qu’elle va me sembler étroite !
Tout seul, la boîte à deux !… la boîte
Où nous n’avions qu’un oreiller
Pour sommeiller.
Déjà le soleil se fait sombre
Qui ne balance plus ton ombre,
Et la houle a fait un grand pli…
— Comme l’oubli ! —
Ainsi déchantait sa fortune,
En vigie, au sec, dans la hune,
Par un soir frais, vers le matin,
Un pilotin.
10° long. O.
40° lat. N. »
Tristan, quel est ton voyage intérieur ?
(Tristan Corbière, Steam-boat in Les Amours jaunes, Librairie du XIXe siècle, Glady Frères, Éditeurs, Paris, 1873)