4 septembre 2011 7 04 /09 /septembre /2011 06:00

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Ea res libera dicitur, quae ex solâ suae naturae necessitate exisit, & à se sola ad agendum determinatur.

 

 

Salut au soleil de l'aube.

 

Ce beau volume (Emmanuel Pierrat, 100 livres censurés, éditions du Chêne, 2010) arrivé par le service de presse, je l'avais feuilleté dans la saison froide. Joie de le retrouver, ce qui tombe à pic au moment où sifflent à nouveau dans les oreilles les mots : censure, interdiction, représailles et j'en passe...

 

Parmi les cent œuvres retenues par le compilateur, nous allons croiser celles qui subirent de frénétiques poursuites et connurent de retentissants procès. Exemples : Les Fleurs du mal, Madame Bovary, Notre-Dame des Fleurs, Lolita, De l'esprit, Justine ou les Malheurs de la vertu, Les Voyages de Gulliver (eh oui !), Tartuffe et Dom Juan, Napoléon le Petit, Eden, Eden, Eden, L'Origine des espèces ou Les Raisins de la colère. On pourrait allonger la liste, car on n'en a jamais fini avec l'humaine bêtise. Il est à l'évidence utile de rappeler qu'il n'y a pas si longtemps, tout était loin d'être rose en matière de liberté d'opinion écrite. Simone de Beauvoir, Henry Miller ou Georges Bataille, là, à quelques dizaines d'années de nous, savent exactement de quoi je parle.

 

Mais, aujourd'hui, j'ai une pensée particulière pour mon ami Baruch (béni en hébreu) Spinoza. On se souvient de l'exclamation de Nietzsche en 1881 à son endroit :

 

Je suis très étonné, ravi ! J’ai un précurseur et quel précurseur ! Je ne connaissais presque pas Spinoza. Que je me sois senti attiré en ce moment par lui relève d’un acte "instinctif". Ce n’est pas seulement que sa tendance globale soit la même que la mienne : faire de la connaissance l’affect le plus puissant - en cinq points capitaux je me retrouve dans sa doctrine; sur ces choses ce penseur, le plus anormal et le plus solitaire qui soit, m’est vraiment très proche : il nie l’existence de la liberté de la volonté, des fins, de l’ordre moral du monde, du non-égoïsme, du Mal. Si, bien sûr, nos divergences sont également immenses, du moins reposent-elles plus sur les conditions différentes de l’époque, de la culture, des savoirs. In summa : ma solitude qui, comme du haut des montagnes, souvent, souvent, me laisse sans souffle et fait jaillir mon sang, est au moins une dualitude. - Magnifique !

 

Le sait-on ? Une grande partie de l'œuvre spinoziste fut carrément interdite dans sa bonne terre batave - esprit fort, tu vas voir ! Et Baruch en aura vu de toutes les couleurs : sa propre communauté finit par le mettre définitivement au ban.

 

Voici le portrait que brosse l'un des premiers biographes importants de Spinoza, Jean Maximilien Lucas : 

 

Baruch de Spinoza était d'Amsterdam, la plus belle ville de l'Europe, et d'une naissance fort médiocre. Son père, qui était juif de religion et Portugais de nation, n'ayant pas le moyen de le pousser dans le commerce, résolut de lui faire apprendre les lettres hébraïques. Cette sorte d'étude, qui est toute la science des juifs, n'était pas capable de remplir un esprit brillant comme le sien. Il n'avait pas quinze ans qu'il formait des difficultés que les plus doctes d'entre les juifs avaient de la peine à résoudre; et quoiqu'une jeunesse si grande ne soit guère l'âge du discernement, il en avait néanmoins assez pour s'apercevoir que ses doutes embarrassaient son maître. De peur de l'irriter, il feignait d'être fort satisfait de ses réponses, se contentant de les écrire, pour s'en servir en temps et lieu.

 

Pour s'en servir en temps et lieu : stratégie du contournement...Tout est (presque) dit, non ?

 

À retenir cent fois : Est dite libre la chose qui existe par la seule nécessité de sa nature et se détermine par elle-même à agir.


 

(Spinoza,  Éthique, texte latin et traduction de Charles Appuhn, Vrin, ah !, les éditions Vrin.., 1977 et, aux éditions du Seuil, 1988, dans la traduction de Bernard Pautrat / Jean Maximilien Lucas, Vie de Spinoza, 1735 )

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