On croit rêver...
Lorsqu'un enfant rencontre sur son chemin quelque personnage respectable par son âge, vénérable par ses fonctions de prêtre, considérable par son rang ou honorable à quelque titre, il doit s'écarter, se découvrir la tête et même fléchir légèrement les genoux. Qu'il n'aille pas se dire : «Que m'importe un inconnu ? Qu'ai-je à faire avec un homme qui ne m'est rien ?» Ce n'est pas à un homme, ce n'est pas à un mérite quelconque que l'on accorde cette marque de respect, c'est à Dieu. Dieu l'a ordonné par la bouche de Salomon, qui dit : Lève-toi devant un vieillard; il l'a ordonné par la bouche de Paul, qui commande de rendre doublement honneur aux prêtres et, en somme, de rendre à chacun l'honneur qui lui est dû. Il comprend dans le nombre même les magistratures païennes, et si le Grand Turc, ce qu'à Dieu ne plaise, devenait notre maître, ce serait pécher que de lui refuser le respect dû aux fonctions publiques. Je ne dis rien ici des parents, à qui, après Dieu, on doit la plus grande vénération; je ne parle pas non plus des précepteurs, qui, en développant l'intelligence, enfantent en quelque sorte.
Entre égaux, il faut se souvenir de ce mot de Paul : En fait de déférence, prévenez-vous mutuellement. Celui qui prévient le salut de son égal ou de son inférieur, loin de s'abaisser, se montre plus affable et par cela même plus digne d'être honoré.
Et toc ! De Paul, toujours : Ne vous y trompez pas : les mauvaises compagnies corrompent les bonnes mœurs.
Savoir-vivre ? Legs humaniste ? Des monstres ordinaires, je vous dis...
(Érasme, La Civilité puérile, 1530, traduction française d'Alcide Bonneau, 1877)