Rangement dans l'atelier.
Ou, à tout bien considéré, installer le désordre dans l'ordre. Et non l'inverse.
De la pile, après avoir poussé la petite boîte qui contient des abalones bleutés qu'on appelle aussi oreilles de mer, je finis par mettre la main sur Les Lettres à un jeune poète (Briefe an einen jungen Dichter, 1929) que je cherchais le mois dernier. À l'intérieur, une fleur de coton trouvée à Madras.
Édition qui sent le café, et je tombe sur ce passage en bleu profond, reflet sonore de mes quinze ans :
(...) Vous demandez si vos vers sont bons. Vous me le demandez à moi. Vous l'avez déjà demandé à d'autres. Vous les envoyez aux revues. Vous les comparez à d'autres poèmes et vous vous alarmez quand certaines rédactions écartent vos essais poétiques. Désormais (puisque vous m'avez permis de vous conseiller), je vous prie de renoncer à tout cela. Votre regard est tourné vers le dehors ; c'est cela surtout que maintenant vous ne devez plus faire. Personne ne peut vous apporter conseil ou aide, personne. Il n'est qu'un seul chemin. Entrez en vous-même, cherchez le besoin qui vous fait écrire : examinez s'il pousse ses racines au plus profond de votre cœur. Confessez-vous à vous-même : mourriez-vous s'il vous était défendu d'écrire ? Ceci surtout : demandez-vous à l'heure la plus silencieuse de votre nuit : « Suis-je vraiment contraint d'écrire ? » Creusez en vous-même vers la plus profonde réponse. Si cette réponse est affirmative, si vous pouvez faire front à une aussi grave question par un fort et simple : « Je dois », alors construisez votre vie selon cette nécessité.
(Rainer Maria Rilke, lettre du 17 février 1903, traduction de Bernard Grasset et Rainer Biemel, Grasset, 1937)
Cosmopolite amoureux, j'ai autrefois suivi les périples de Rainer à travers l'Europe. Ah, oui, Les Cahiers de Malte Laurids Brigge. Important.
Relier cette retrouvaille à celui qui, les textes écrits, signait Personne...