Les Chinois voient l’heure dans l’œil des chats.
J'étais en train de lire au soleil dans le jardin quand la sonnette de la porte cochère a retenti.
Un garçonnet, cartable en bandoulière, tenait un chat tigré dans les bras.
- Il est à vous ce chat, Monsieur ?
- Euh, non, mon grand, je crois qu'il a ses habitudes dans la maison au coin de la rue.
Fier de la mission qu'à l'évidence il s'était confiée, le garçonnet s'éloigne.
Un quart d'heure plus tard, nouveau coup de sonnette.
- Il n'y a personne dans la maison. Il ne peut pas rester tout seul, ce chat, dehors...
- Non, en effet, tu as raison. Voici ce que je te propose : en attendant le retour de ses maîtres, nous allons lui donner du lait.
Ses maîtres ? J'aurais pu lui expliquer qu'un chat, même domestique, n'appartient à personne. Jamais.
Mais bon, il arrive que les chats, à la ville comme à la campagne, aient parfois besoin de chaleur humaine...
Un moment passe en silence, le garçonnet, le félin et moi.
Les propriétaires du chat finissent par revenir et le garçon s'avance bravement pour leur remettre l'animal.
Je retourne dans le jardin et me demande lequel de nous deux, le garçonnet ou moi, est le plus heureux de cette belle et bonne action du jour.
(Charles Baudelaire, L'Horloge in Le Spleen de Paris, 1869)