Français, encore un effort si vous voulez être républicains...
Après avoir démontré que le théisme ne convient nullement à un gouvernement républicain, il me paraît nécessaire de prouver que les mœurs françaises ne lui conviennent pas davantage. Cet article est d'autant plus essentiel que ce sont les mœurs qui vont servir de motifs aux lois qu'on va promulguer. Français, vous êtes trop éclairés pour ne pas sentir qu'un nouveau gouvernement va nécessiter de nouvelles mœurs ; il est impossible que le citoyen d'un État libre se conduise comme l'esclave d'un roi despote ; ces différences de leurs intérêts, de leurs devoirs, de leurs relations entre eux, déterminant essentiellement une manière tout autre de se comporter dans le monde ; une foule de petites erreurs, de petits délits sociaux, considérés comme très essentiels sous le gouvernement des rois, qui devaient exiger d'autant plus qu'ils avaient plus besoin d'imposer des freins pour se rendre respectables ou inabordables à leurs sujets, vont devenir nuls ici ; d'autres forfaits, connus sous les noms de régicide ou de sacrilège, sous un gouvernement qui ne connaît plus ni rois ni religion, doivent s'anéantir de même dans un État républicain. En accordant la liberté de conscience et celle de la presse, songez, citoyens, qu'à bien peu de chose près, on doit accorder celle d'agir, et qu'excepté ce qui choque directement les bases du gouvernement, il vous reste on ne saurait moins de crimes à punir, parce que, dans le fait, il est fort peu d'actions criminelles dans une société dont la liberté et l'égalité font les bases, et qu'à bien peser et bien examiner les choses, il n'y a vraiment de criminel que ce que réprouve la loi; car la nature, nous dictant également des vices et des vertus, en raison de notre organisation, ou plus philosophiquement encore, en raison du besoin qu'elle a de l'un ou de l'autre, ce qu'elle nous inspire deviendrait une mesure très incertaine pour régler avec précision ce qui est bien ou ce qui est mal.
(Donatien Alphonse François de Sade, La Philosophie dans le boudoir ou Les Instituteurs immoraux, Dialogues destinés à l'éducation des jeunes demoiselles, 1795)