Il pleuvait déjà des cordes sur le fort de Jhansi ce matin-là, mais quand j'ai pris la voiture pour me rendre à Sânchi, c'était pire.
C'est sûr, je n'avais jusqu'alors rien à craindre derrière les créneaux de grosses pierres : au cours de la fameuse révolte des Cipayes, la forteresse en question avait tenu le choc. Ce n'était pas une mousson et ses tromblons d'altitude qui allaient l'effaroucher. J'aurais pu attendre bien sagement à l'abri que les éléments tropicaux se calment pour entreprendre quelque chose. Mais appel de la route quand tu me tiens...
La route ? Quelle route ? Which road ? On ne voyait rien à trois mètres et tout était défoncé. Je commençais à regretter mon banc sous le porche. Pas le choix. Il me fallait avancer. L'essuie-glace est soudain tombé en panne. Suis resté de marbre. Comme dit l'autre, éviter l'erreur et contrecarrer la précipitation. Zèle de Zénon : facile à dire !
Au bout de huit heures, huit longues heures à la barre, les cordes de la pluie se sont enroulées sur elles-mêmes. Magie ! Quoi de plus normal en Inde, n'est-ce pas ? Fakirs et autres acrobates célestes, kif-kif.
À l'entrée de Sânchi, j'ai laissé la voiture ou ce qu'il en restait dans une énorme flaque d'eau. Après moi, le déluge !
Poursuivi à pied ma navigation devenue moins risquée jusqu'au sommet de la colline à la recherche d'un lieu de lumière.
Quelques pèlerins bouddhistes, regards tournés vers les portiques du grand stûpa, dessinaient de leurs robes une belle vague jaune-orangé.
Sur un autre banc de silence, j'ai laissé le charme du passage s'insinuer dans mon cerveau.
Quand il n'y a rien plus à faire, que faites-vous ?
(Jean-François Revel & Matthieu Ricard, Le moine et le philosophe, Nil Éditions, 1997)