2 novembre 2011 3 02 /11 /novembre /2011 07:00

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L’Ouest était surprenant...


 

Il pleut sur Penzance-plaisance. Le maigre poêle de la chambre contient à peine le froid qui gagne mes membres.

 

Vous ne savez pas quoi faire ? Eh bien -non, n'essayez pas de m'imiter !, non-, je vous suggère simplement de lire ou de relire ce maître livre entre beaucoup, Les Travailleurs de la mer. 

 

Trois amis en Cornouailles. Victor Hugo, grand européen, est l'un de ces bons compagnons. Qu'est-ce que je fais ici en plein mois de novembre ? Je vous le demande. Je me le demande. Il reste un peu de whisky des Orcades. Go !

 

La Christmas de 182. fut remarquable à Guernesey. Il neigea ce jour-là. Dans les îles de la Manche, un hiver où il gèle à glace est mémorable, et la neige fait événement. Le matin de cette Christmas, la route qui longe la mer de Saint-Pierre-Port au Valle était toute blanche. Il avait neigé depuis minuit jusqu’à l’aube.

 

Tout roule.

 

Ces marins des Channel Islands sont de vrais vieux gaulois. Ces îles, qui aujourd’hui s’anglaisent rapidement, sont restées longtemps autochtones. Le paysan de Serk parle la langue de Louis XIV.

 

Et roule encore.

 

La « galiote à Lethierry » n’était pas mâtée selon le point vélique, et ce n’était pas là son défaut, car c’est une des lois de la construction navale ; d’ailleurs le navire ayant pour propulseur le feu, la voilure était l’accessoire. Ajoutons qu’un navire à roues est presque insensible à la voilure qu’on lui met. La galiote était trop courte, trop ronde, trop ramassée ; elle avait trop de joue et trop de hanche ; la hardiesse n’avait pas été jusqu’à la faire légère ; la galiote avait quelques-uns des inconvénients et quelques-unes des qualités de la panse. Elle tanguait peu, mais roulait beaucoup.

 

Et roule toujours.

 

Un écueil voisin de la côte est quelquefois visité par les hommes ; un écueil en pleine mer, jamais. Qu’irait-on y chercher ? Ce n’est pas une île. Point de ravitaillement à espérer, ni arbres à fruits, ni pâturages, ni bestiaux, ni sources d’eau potable. C’est une nudité dans une solitude. C’est une roche, avec des escarpements hors de l’eau et des pointes sous l’eau. Rien à trouver là, que le naufrage. Ces espèces d’écueils, que la vieille langue marine appelle les isolés, sont, nous l’avons dit, des lieux étranges. La mer y est seule. Elle fait ce qu’elle veut. Nulle apparition terrestre ne l’inquiète. L’homme épouvante la mer ; elle se défie de lui ; elle lui cache ce qu’elle est et ce qu’elle fait. Dans l’écueil, elle est rassurée ; l’homme n’y viendra pas. Le monologue des flots ne sera point troublé.

 

Jusqu'à plus soif.

 

Quelques heures s’écoulèrent. Le soleil se leva, éblouissant. Son premier rayon éclaira sur le plateau de la grande Douvre une forme immobile. C’était Gilliatt. Il était toujours étendu sur le rocher. Cette nudité glacée et roidie n’avait plus un frisson. Les paupières closes étaient blêmes. Il eût été difficile de dire si ce n’était pas un cadavre.

 

Ah ! Ah ! Je suis bien vivant !

 

Choses vues, choses vécues. Il y a encore tant de régions inconnues de moi-même...


 

(Victor Hugo, Les Travailleurs de la mer, Gallimard, La Pléiade, 1975)

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