26 janvier 2011 3 26 /01 /janvier /2011 07:00

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Trois heures du matin. Lune bleutée à l'aplomb du studio.

 

J'allume un cigare de Saint-Domingue. Douceur, rondeur, élégance des feuilles brunes en fourreau nocturne pour mon palais.

 

Dans la pièce principale, partout le long des murs des lucioles électroniques en vert, jaune et rouge aident le navire tanguant que je suis à ne pas s'échouer sur un banc de livres ou un îlot de statues indonésiennes.

 

J'aime ces heures du jour en renaissance quand tout alentour est encore en creux. Bilan des heures d'avant, curiosité pour les heures d'après. Traces de parfum dans l'air, signe vérifiable d'une présence féminine, des feuillets, là, dans l'angle de la table, ma géométrie qui se déploie, une pochette de disque près de la cheminée, Bach, les Variations Goldberg dans l'interprétation de Glenn Gould, nous avons vécu ça, la baie vitrée aux rideaux maintenant ouverts, le cristal rouge du Valpolicella pour tous les deux, minuit n'avait pas encore sonné et, dans le lointain, un autre fanal qui monte de l'obscurité -notre double de l'autre côté de la grande ville ?

 

Une émission radiophonique diffuse un instantané d'autrefois. La gouaille joyeuse des deux personnages me fait rire et ajoute de la chaleur à la mienne. C'est vraiment trop drôle et tellement vrai.

 

 

- Alors, Messieurs les livreurs, ce dont on vous accuse surtout, c'est d'être très égoïstes, de ne pas vous occuper des voitures qui sont derrière vous.

 

- Non ! On fait ce qu'on peut dans la possibilité de nos moyens.

 

- Combien ça dure à peu près une livraison, en moyenne ?

 

- Une dizaine de minutes.

 

- En dix minutes, on peut boucher un bon quartier de Paris...

 

- Ah, ça, forcément, si on reste dans le milieu du chemin, ça, y a pas d'histoire...

 

- Oui, mais la plupart du temps, vous restez dans le milieu du chemin...

 

- Non ! On se dégage, on essaye de se dégager, si on peut, c'est toujours pareil, ça râle derrière, bien entendu, ah, mais on est habitué.

 

- Ça râle, c'est-à-dire, qu'est-ce qui se passe ?

 

- Eh ben, ce qui s'passe, c'est du klaxon, les chauffeurs, et patati et patata, ça n'en finit plus...

 

- Quelles sont selon vous les principales raisons des embouteillages dans Paris ?

 

- Vous avez des  gens qui laissent leur voiture jour et nuit le long du trottoir. Eh ben, c'est à ceux-là qu'on devrait interdire de faire ça. Des parkings, y en a...

 

- Il n'y en a pas beaucoup des parkings dans Paris, Monsieur...

 

- Eh ben, i zont qu'à en faire...

 

- Qui n'a qu'à en faire ?

 

- Ah, pas moi...

 

- Vous avez certaines personnes qui ne peuvent pas, euh, aller faire leur marché sans leur voiture, ça se voit journellement ça...

 

- Oui, d'accord, mais vous ne pouvez pas empêcher quelqu'un de prendre de sa voiture s'il a envie de se servir de sa voiture, vous ne pouvez pas empêcher...

 

- Non, certainement bien puisqu'ils payent pour, mais quand même certaines gens devraient comprendre quand même, nous faut qu'on le fasse, y a pas de doute même qu'on encombre une rue...

 

(Interview de deux chauffeurs-livreurs, Paris, décembre 1961, documentaire de William Klein et Philippe Labro)

 

 

Le jour se lève. Titre magnifique pour un roman...

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