Une pension fraîche et simple au pied des pins.
Bières Asahi, Sapporo et Kirin à foison dans le mini-bar de la chambre. Tout pour le repos du pèlerin. Papier à lettre, stylo quatre couleurs, et livres religieux, dont une Bible en anglais d'Amérique, sommeillent dans le profond tiroir. Œcuménisme, quand tu les tiens !
Matsue, beaucoup de charme. L'étape avant de foncer vers Osaka. L'eau partout, visible, souterraine. De beaux parcs, des musées en veux-tu en voilà, un château en surplomb parsemé d'espèces centenaires, vue sur la ville, des temples idylliques levés de gradins moussus.
C'est d'ailleurs Junko, la très dévouée, une autre étudiante au fin visage triangulaire, passionnée de littérature française, son mémoire porte sur le mouvement symboliste, qui m'indique le chemin de ce remarquable temple, le Gesshô-ji. Échange d'adresses, signe de la main, paume bien ouverte, la voici qui glisse au lointain parmi les cèdres odorants.
Mais ce matin, foulant les travées du temple bordées de lanternes obscures, j'ai rendez-vous avec la grotesque tortue lithique qui voulait toujours prendre le large. Un monstrueux pilier planté dans sa carapace entrave à jamais son désir d'école buissonnière. Aucun gardien à l'horizon. La brise soulève les centaines d'omikuji délicatement nouées autour des branches d'un gracile cerisier. Fragiles bandelettes divinatoires en papier, chacune portant l'espoir si humain de conjurer tel ou tel sort. Calé contre les flancs de l'animal aux yeux de baleine, j'admire le ballet furtif des mésanges, jouissant du silence.
Je peux comprendre que Yakumo Koizumi, soit Lafcadio Hearn, se soit épris du lieu. Jeune, je lisais ses Contes des Tropiques, et songeais à Stevenson, La lumière vient de l'Orient ou encore ses Fantômes du Japon qui figuraient en bonne place dans la vaste bibliothèque familiale. Lafcadio Hearn, un pur roman à lui seul ! Des années plus tard, je suis tombé sur l'essai instructif que Stefan Zweig consacre à l'auteur de Kokoro. Hommes et destins : oui, quelles sont les existences, hier comme demain, qui valent d'être relatées ? Je tourne les pages de mon carnet. De tout dans mes carnets. Un futur thésard aurait de quoi se mettre sous la dent ! Ainsi :
« Le vieux Japon s’en va, avec ses paravents et ses laques, ses bronzes et ses ivoires curieusement travaillés, son décor fantastique et bizarre sur lequel s’attardait la curiosité des esthètes, sous lequel se dissimulaient une philosophie insoupçonnée et une force de résistance ignorée, et aussi avec le charme mystérieux de son sourire et de sa politesse exquise. « Les Basques, écrivait Voltaire, sont un petit peuple qui chante et danse au sommet des Pyrénées. » Les Japonais, eussent volontiers déclaré nos écrivains modernes, sont un peuple de fantoches imitateurs et de mousmés grimaçantes qui folâtre au pied du Fujiyama. Bien peu ont su discerner, sous les dehors trompeurs et le masque d’emprunt, une race aux instincts studieux et à la politique savante, habile à voiler de courtoisie son stoïcisme, et capable, l’heure venue, d’un puissant effort. »
Un rayon de soleil vient filtrer à travers la puissante frondaison.