Avant de repartir vers les provinces du Nord, je me suis volontairement plongé une journée dans l'abondante agitation exécrable de la grosse ville, et vingt-quatre heures auront suffi.
Osaka ou l'ordre dans le désordre. « Stupeur et tremblement, n'est-ce pas ? », me suis-je dit à la descente du train super extra rapide. À commencer par l'arraisonnement architectural rythmé, me déroule l'attentif chauffeur du taxi aux mains gantées de blanc à bord de sa rutilante Toyota Crown, par la spéculation immobilière la plus offensive, s'emparant, sans vergogne !, de la moindre parcelle encore inexploitée. Ici aussi, après les lourds bombardements américains à répétition, le relevage de la ville s'est agencé au mépris d'un potentiel bonheur urbain. Sauf rares exceptions, relativement aux mégalopoles planétaires, ce que je viens de dire est à la fois un quasi truisme et une jolie contradiction dans les termes. Les peuples ont les édiles qu'ils méritent. Qu'on relise, à ce propos, l'argumentaire que développe Lewis Mumford dans son opus cinglant, La Ville dans l'histoire.
Mais il se trouve toujours quelque chose à découvrir au milieu du bruit et de la fureur. Dans ma chambre à l'hôtel – un cagibi aseptisé ; au mur, la photo d'un célèbre château bavarois –, j'ai élaboré un plan de circonstance. J'ai commencé par porter mes pas en direction du musée des beaux-arts. Une heure en compagnie de Cézanne tandis que les nouveaux riches chinois s'agglutinaient à la buvette. Puis un taxi hélé au bref de la cohue a tracé sur l'asphalte un savant croissant le long de la rade grouillante de grues et de porte-containers. Les bateaux : Mermaid Of The Seas, Okinawa, Santiago Libre, Vladivostok. Tout un monde hypnotique, jamais soporifique. Et je suis revenu me perdre dans le trémoussement du quartier Dôtonbori. Les traverses mènent toutes au canal — ses eaux visqueuses.
C'était hier le district achalandé des plaisirs interlopes. Les bazars dégoulinant de colifichets pour touristes assoiffés de souvenirs ont désormais pignon sur rue au firmament des néons. Pourtant, dans le pêle-mêle de ces junk shops que ponctuait au hasard du regard la présence d'un frêle marchand de sorbets, une humble épicerie, sans doute mélancolique, tenait son rang. Le vendeur voûté derrière la vitrine. Sur le trottoir, des barriques ventrues en fer-blanc renfermaient la plus impressionnante collection d'animaux marins prêts à divertir le palais que l'on pouvait imaginer. Aussitôt, sans que le cerveau ait le temps d'analyser, l'odeur, – le fumet ! –, singulièrement âcre, piquante, rance qui montait de la bassine cabossée remplie de pauvres petits poissons séchés.
J'ai jeté un dernier regard à la cité électrique dans le soleil couchant. La grande sculpture métallique juchée sur le pavillon du musée m'a fait penser au squelette d'une morue âprement brossée par les vents. Le carnet s'est alors ouvert au bon endroit :
« Au printemps qui s'en va,
les oiseaux crient.
Les yeux des poissons en larmes. »