Lent retour.
L'aéroport soi-disant international au sol de France, très sale. En cette matière, comparaison est raison. Les bagages, chahutés vilainement en tous sens sur le dévidoir graisseux. Mon sac à dos, léger comme le cirrus entrevu tout à l'heure par le hublot, réchappe de l'odieuse curée. Je demande une information à une hôtesse d'accueil. Elle feint l'amabilité. Ça grince, ça gémit, ça grommelle de partout. Consolation : après ripailles réchauffées et rires contraints, la sempiternelle semaine hivernale du blanc va pour l'agente revêche enfin débuter.
Je m'apprêtais à emprunter un train, l'un de ces RER, gloire technologique de l'époque pompidolienne, pour regagner la capitale, quand un speaker à la voix insondable annonça une énième panne sur le réseau ferroviaire. Ça grogne, ça crie, ça gueule à tous les étages. « Yen a marre ! C'est nul ! Bande de nazes ! », et le nom du président à l'instant voué aux gémonies. Ils l'ont pourtant voulu, le changement. Certes, le faible pourcentage de votants lors du tour final est une donnée à garder sérieusement en mémoire. Le parlement est désassemblé. Ça tire dans les coins. Les couleuvres se portent comme jamais. Bref, donc, inutile de seriner, plus ça change ou croit changer, plus c'est, à l'évidence, dans ce cas précis, franco-français, constat imparable, la stricte même chose.
Haut les cœurs ! Dans un angle déserté du hall central vaste comme un mausolée moscovite, je trouve un bar et ses tables vides. La situation finira bien par s'arranger. Tout s'arrange, non ? Le garçon brique le zinc ; le percolateur, locomotive trépignant de gravir les revers himalayens, fume et crachote à qui mieux mieux. Café et, pour une fois, lecture matinale de la presse. Parmi les journaux – en pile sur le comptoir, des tombereaux de magazines féminins tous plus ineptes les uns que les autres, rien d'étonnant dans un temps régressif –, je tombe sur un article placé en première page, qui informe le lecteur, au cas où il aurait par étourderie manqué l'épisode, que la baleine franche, l'anguille d'Europe, le rhinocéros de Sumatra, l'orang-outan, l'âne sauvage d'Afrique, l'escargot de Corse, la colombe de Grenade, le renard de Darwin, le vautour de Pondichéry, le léopard de l'Amour, mais aussi, et j'en passe, la girafe et le lion de la savane sont des espèces animales en voie rapide d'extinction.
L'année nouvelle mérite un début en fanfare !
Mon carnet : rien en repos. Incessants ajustements. Agitation, fourmilière, lounge beats. Mon jour préféré ? Le 15 août. Midi, minuit. Tout tranquille. Concentré. Au bord de l'océan, j'appareille, trois notes de Scarlatti à la manœuvre.
La dévastation globale en cours a de beaux jours devant elle. Les raisons en sont connues depuis au moins une centaine d'années, et les meilleurs esprits, les plus puissants, ont tiré depuis longtemps les conclusions et la sonnette d'alarme. Rien ne semble y faire. La population mondiale, la fameuse pression démographique chère aux géographes, question number one, croît vertigineusement. Les dix milliards d'êtres humains, c'est, désormais, à l'horizon de ce lendemain. Les arpents arables s'appauvrissent, les marchands d'armes s'empressent de prospérer, et les zones urbaines du bétonnage hideux finissent par tout envahir. Déforestation par ci, pollution par là, accumulation très crétine par les conquérants de l'inutile du n'importe quoi tous azimuts. On le sait, on le déplore à l'occasion de pompeuses instances vitrinaires retransmises en direct, on ne fait rien. Ou si peu. Rien de radical en tout cas, puisqu'il est déjà trop tard. Comment ? Vous ne le saviez pas ? Maintenant, vous êtes au courant.
Le speaker à l'alphabet détimbré reprend la parole pour annoncer le rétablissement des lignes et le départ imminent des trains. Je finis de boire la tasse. Le serveur lave les glaces. J'y vais ? Non. Non, non... Vous rigolez ! Je les laisse se foutre sur la gueule pour être le premier à grimper dans le wagon ou à embarquer dans la fusée vers Mars. Ma suggestion en partage : cherish your blessings, cultivez votre singularité, et carpe diem.