Aux premières heures d'août, le monde tel qu'il va, low-cost pour les uns, high-value pour les autres, se décide, enfin, à se reposer. Un charme très sûr flotte dans l'air. On pourrait, si on le voulait, se retourner à nouveau vers l'été, mais déjà septembre quémandeur se profile dans les champs que l'on moissonne, agités de grasses grives.
Trois jours à flâner au confluent de l'Adour et de la Nive dans les belles ruelles de Bayonne qui toutes entraînent vers les canaux, le fier peuple liquide, prêt, harpon en bouche, à braver les océans, ingénieux aux pêcheries et aux comptoirs de salage, et les réminiscences, comme à Saint-Jean-de-Luz ou à Biarritz, de la chasse à la baleine, la Sardako Balea, très convoitée – la baleine des Sardes, disent les Basques.
Dans mon carnet, l'observation, en point d'ironie, de Melville à la proue de son sloop :
« The fact is, that among his hunters at least, the whale would by all hands be considered a noble dish, were there not so much of him; but when you come to sit down before a meat-pie nearly one hundred feet long, it takes away your appetite... »
[C'est un fait, du moins parmi les chasseurs, que la baleine serait, assurément, considérée comme un plat noble, s'il n'était trop copieux ; c'est comme de s'attabler devant un pâté en croûte d'une centaine de pieds de long, cela vous coupe l'appétit...]
Je m'offre une Izarra verte au Café du Centre. Les filles en corsages colorés. Tu te souviens ? Tu t'insinuais avec Isabella dans l'un des celliers profonds, domaine dans le domaine, pour faire resplendir les liqueurs instruites à la lumière : cognac, armagnac, pommeau, vieille prune, amaretto, suze, triple sec, et le champagne brillant aux dais glorieux.
Plus tard, j'ai compris.
La vie, la littérature, la vie.
Je réanime le fragile mouvement décisif :
« Je m’étais étendu sur mon lit, un livre à la main, dans ma chambre qui protégeait en tremblant sa fraîcheur transparente et fragile contre le soleil de l’après-midi derrière ses volets presque clos où un reflet de jour avait pourtant trouvé moyen de faire passer ses ailes jaunes, et restait immobile entre le bois et le vitrage, dans un coin, comme un papillon posé. Il faisait à peine assez clair pour lire, et la sensation de la splendeur de la lumière ne m’était donnée que par les coups frappés dans la rue de la Cure par Camus (averti par Françoise que ma tante ne « reposait pas » et qu’on pouvait faire du bruit) contre des caisses poussiéreuses, mais qui, retentissant dans l’atmosphère sonore, spéciale aux temps chauds, semblaient faire voler au loin des astres écarlates ; et aussi par les mouches qui exécutaient devant moi, dans leur petit concert, comme la musique de chambre de l’été : elle ne l’évoque pas à la façon d’un air de musique humaine, qui, entendu par hasard à la belle saison, vous la rappelle ensuite ; elle est unie à l’été par un lien plus nécessaire : née des beaux jours, ne renaissant qu’avec eux, contenant un peu de leur essence, elle n’en réveille pas seulement l’image dans notre mémoire, elle en certifie le retour, la présence effective, ambiante, immédiatement accessible.
Cette obscure fraîcheur de ma chambre était au plein soleil de la rue ce que l’ombre est au rayon, c’est-à-dire aussi lumineuse que lui et offrait à mon imagination le spectacle total de l’été dont mes sens, si j’avais été en promenade, n’auraient pu jouir que par morceaux ; et ainsi elle s’accordait bien à mon repos qui (grâce aux aventures racontées par mes livres et qui venaient l’émouvoir) supportait, pareil au repos d’une main immobile au milieu d’une eau courante, le choc et l’animation d’un torrent d’activité. »
Cette obscure fraîcheur – mes livres d'heures.