Passant, fin août, début septembre, chez des amis sur les hauteurs rocailleuses de Montpellier, une surprise m'attendait.
Autour de mets languedociens, fougasses aux cratons de canard, mirobolant jambon de la Montagne Noire, agriade saint-gilloise, fricassée d'oignons doux, bleu des Causses, pélardons tous ronds, primesautières pommes du Vigan, faugères et fitou, un dispositif numérique avait été spécialement installé pour ma venue.
Par le truchement d'archives audiovisuelles préservées de l'effondrement en cours, mes hôtes avait invité Joseph Delteil. Parce que j'avais évoqué sa figure dans l'un de mes livres, mes amis savaient l'admiration, certaine, faisant la part des choses, que je porte à l'auteur de La Deltheillerie et de La Cuisine paléolithique. Quel régal d'entendre, encore et toujours, la voix malicieuse copinée de cailloux du paysan-les-lettres-sauvages de la Tuilerie de Massane ! Quand, dans le temps d'autrefois, Henry Miller m'avait généreusement ouvert sa porte, notre conversation avait roulé, émue, sur ses rencontres-retrouvailles avec Joseph, Caroline, sa femme, et Lawrence Durrell, l'ami fraternel, son voisin gardois de Sommières.
Il s'agissait, en l'occurrence, des entretiens débordants de suc que Joseph Delteil avait accordés en 1974 à Jean-Marie Drot pour l'ORTF. Moitié celui qui parle, moitié celui qui écoute : on savait, pas de doute, réaliser des documentaires de qualité.
Dans la nuit profonde ponctuée par les hululements d'une chouette peu farouche, je suis allé chercher à pas de loup le livre dans la bibliothèque en bois de châtaignier :
« J'étais un paysan à l'état brut, sans racines spirituelles, sans véritable culture, instruit de bric et de broc (école primaire, puis séminaire). Un simple sauvage (non sans affûtiaux), venu tout nu de son patois. J'arrivais en sabots, tout chargé de messes et de raisins. Un ourson mal léché, l'innocent de village. Ourson d'aspect, cathare d'âme, paléolithique de cœur. La juvénilité, l'appétit, la fameuse " maladresse gauloise ", tel était mon lot. Avec quelques dons sans doute, si j'en crois... (et sinon, comment expliquer ce tintamarre autour de l'ourson ?). »
Simple, direct, et libre comme l'air...