C'est l'été au présent.
Je me réveille dès les premières lueurs chaudes de l'aurore. La maison d'hôtes à trois pignons tuilés qui s'ouvre sur la placette est remplie d'images. Par la fenêtre, les blés tendres qui montent des campagnes arrondies embaument déjà l'air. Le carillon du bourg sonne l'heure. Je me dirige vers le cabinet de toilette à l'ancienne, et me passe de l'eau sur le visage. Est-ce bien moi dans la glace ? Cadre ou hors-cadre ? La réponse est dans la question.
Tout près d'ici, bien avant la première conflagration mondiale, un garçon, prénommé Marcel, venait avec son frère passer ses vacances chez leur « Tante Léonie ». Et rien au fil du temps n'a vraiment changé à Illiers-Combray. Vraiment ?
Puisque le travail mémoriel s'ajuste et va, malgré tout, se perpétuant, tenez, je me dévoue, il le faut bien, pour faire entendre ce passage que tout le monde cite, mais que personne, démonstration à l'appui, n'a, finalement, jamais lu :
« Je trouve très raisonnable la croyance celtique que les âmes de ceux que nous avons perdus sont captives dans quelque être inférieur, dans une bête, un végétal, une chose inanimée, perdues en effet pour nous jusqu’au jour, qui pour beaucoup ne vient jamais, où nous nous trouvons passer près de l’arbre, entrer en possession de l’objet qui est leur prison. Alors elles tressaillent, nous appellent, et sitôt que nous les avons reconnues, l’enchantement est brisé. Délivrées par nous, elles ont vaincu la mort et reviennent vivre avec nous. »
Croyance celtique : voici, qui est très intéressant.
Proust poursuit :
« Il en est ainsi de notre passé. C’est peine perdue que nous cherchions à l’évoquer, tous les efforts de notre intelligence sont inutiles. Il est caché hors de son domaine et de sa portée, en quelque objet matériel (en la sensation que nous donnerait cet objet matériel) que nous ne soupçonnons pas. Cet objet, il dépend du hasard que nous le rencontrions avant de mourir, ou que nous ne le rencontrions pas.
Il y avait déjà bien des années que, de Combray, tout ce qui n’était pas le théâtre et le drame de mon coucher n’existait plus pour moi, quand un jour d’hiver, comme je rentrais à la maison, ma mère, voyant que j’avais froid, me proposa de me faire prendre, contre mon habitude, un peu de thé. Je refusai d’abord et, je ne sais pourquoi, je me ravisai. Elle envoya chercher un de ces gâteaux courts et dodus appelés Petites Madeleines qui semblaient avoir été moulés dans la valve rainurée d’une coquille de Saint-Jacques. Et bientôt, machinalement, accablé par la morne journée et la perspective d’un triste lendemain, je portai à mes lèvres une cuillerée du thé où j’avais laissé s’amollir un morceau de madeleine. »
Devant un café fumant, rejoint par les plus-que-vivants, j'ouvre cet autre livre de l'intense pléiade :
« Quelque diversité d'herbes qu'il y ait, tout s'enveloppe sous le nom de salade. De même, sous la considération des noms, je m'en vais faire ici une galimafrée de divers articles... »
Je tourne la tête à droite, je tourne la tête à gauche.
Aujourd'hui, la conclusion est que tout vaut tout. Et tout est mis sur le même plan – à commencer par le plan éducatif, sinistré comme jamais. Dans ce domaine ainsi que dans les autres. Laissez tomber les romans épais comme des mille-feuilles qui brûlent à se faire un nom sur la plage et revenez à l'essentiel. Pour reconnaître l'originel de la tige.