Dans une vie antérieure, selon le sens du vent, les circonstances, forcément aggravantes, et l'âge du capitaine, j'ai dû biberonner à l'Almanach Vermot.
Cela avait commencé par toutes sortes de divagations mentales à la relecture des Villes invisibles, Le città invisibili, à bord de l'avion blanc orné de plumes bleues qui m'éloignait de la beauté liquide pour me porter à Glasgow en passant par La Haye où j'avais une nouvelle fois rendez-vous avec Vermeer et Meisje met de parel, cette lumineuse perle de joyau pictural.
Alors que nous survolions la plaine marécageuse fonçant vers la mer du Nord – tiens, coucou, Baruch ! –, Italo Calvino, assis à côté de moi, me dit, songeant, bien entendu, à Venise :
« À Sméraldine, ville aquatique, un réseau de canaux et un réseau de rues se superposent et se recoupent. Pour aller d'un endroit à un autre, tu as toujours, caro amico, le choix entre le parcours terrestre et le parcours en barque ; et comme à Sméraldine le chemin le plus court d'un point à un autre n'est pas une ligne droite, mais une ligne en zigzags ramifiée en variantes tortueuses, les voies qui s'offrent aux passants ne sont pas simplement deux, il y en a beaucoup, et elles augmentent encore si l'on fait alterner trajets en barque et passages à pieds secs... »
Italo s'en est allé suivre le chemin des hirondelles, et j'ai bondi au musée. Une heure tête à tête avec la jeune fille. Par comparaison, pour ainsi dire, dehors, en place publique, sur le devant contemporain de la scène, une margoulinade, j'invente le mot, de pétasses, bestiasses, ribaudes, gourgandines, chenillons, bourrelles, et autres, tant qu'à faire tous sexes confondus, géménées de godinettes.
Rainer, lequel voyage beaucoup ces temps-ci, m'a rejoint par une porte dérobée, car il tenait à me dire que les mots, tout comme les couleurs qui vibrent sur la palette, au-delà de l'espace littéraire, au-delà du cadre plastique, sont des yeux qui cherchent dans la nuit. Bien vu.
C'est en arrivant sous une fine pluie froide à Alloway où m'attendaient, dansant déjà la gigue, se tapant les cuisses, Tam O'Shanter et le fantôme déjanté de Robert Burns que l'envie m'a pris de les entraîner sans tarder sur le célèbre pont médiéval qui enjambe la rivière Doon pour y déboucher de conserve une bouteille de pur malt. Après plusieurs drums de cette liqueur de renard au titre de notre bacchanale champêtre, bien réchauffés et remontés, en vrai, brindezingues, en poivrade et en casquette, attendris, camphrés et chasselas, le vent hardi venu du large glissant sur nos carcasses comme sur les plumes d'un coq de bruyère, je leur ai posé cette petite devinette :
« Savez-vous, bons compagnons, quel est le grand peintre vénitien qui sut capturer les plus belles carnations ?
– Well...
– C'est teintes-aux-rets ! »
La nouba, la bombance, la java – au triple galop, la fanfare jusqu'à la pointe du jour...