12 octobre 2011 3 12 /10 /octobre /2011 06:00

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Les voix instructives exilées.... L’ingénuité physique amèrement rassise.... — Adagio — Ah ! l’égoïsme infini de l’adolescence, l’optimisme studieux : que le monde était plein de fleurs cet été ! Les airs et les formes mourant... — Un chœur, pour calmer l’impuissance et l’absence ! Un chœur de verres, de mélodies nocturnes... En effet, les nerfs vont vite chasser.

 

 

C'est un petit cinéma de quartier qui ne paye pas de mine, mais qui a le nez pour sa programmation. Il tient le coup, ce ciné, et la place n'y est vraiment pas chère - moins de quatre euros en velours rouge. Tout autour de lui, le béton avance - inexorablement, diraient les canards : immeubles de rapport transformés en luxueuses résidences qui, je vous fiche mon billet, rapporteront encore plus à leurs promoteurs, syndics, agents immobiliers; commerces de proximité virés au fil des ans par les bidules discount ou les machin-choses à vitrines prétentieuses; parcmètres à la queue leu-leu, activité hautement lucrative, et disparition simultanée des bons et loyaux services publics. Par exemple, le bureau de poste de l'avenue, où est-il maintenant ? Vous voyez ? Ça et tout le toutim tintamarresque -ce qui, en bon français, rend, n'est-ce pas ?, un son tristement redondant.

 

Viens de passer la journée dans trois mètres carrés à recevoir des étudiants qui souhaitent, pardon, qui affirment leur droit à revoir leur orientation universitaire. Cela s'appelle désormais faire partie de nos missions...Oui, donner un coup de pouce, bien sûr, aider à y voir clair, d'accord, inviter à reconsidérer l'ensemble, pourquoi pas. Mais assistante sociale...Nous sommes tombés très bas...Je résiste tant que je le peux avec le sourire...

 

Quatre heures. Automne pleut. C'est dans l'ordre naturel. Envie d'autre chose. Voici une occasion, puisque ce petit cinéma à deux pas de la fac, mon petit cinéma, comme je pourrais dire mon petit pain au chocolat du gôuter que je ne rate jamais, projette Les Doigts dans la tête. Ce film du temps entre parenthèses, sans prétention, réalisé avec les moyens du bord, est un instantané joyeux, drôle, insouciant et juste, très juste même, d'une certaine jeunesse des premières années 1970. 

 

Si le mot mitron a disparu de la langue, par contre, pour celles et ceux qui connaissent ce tendre long métrage, la lutte des classes, selon l'expression consacrée, est, sauf erreur de ma part, toujours sur les lèvres. Pour preuve et ça n'a pas changé : parce qu'il arrive trop souvent en retard à son travail, le boulanger-patron du film flanque son apprenti à la porte et refuse de lui verser une indemnité. Oui, oui, il vaut mieux arriver à l'heure. Bon. Le jeune n'a alors pas d'autres choix que de bloquer l'accès à sa chambre de bonne avec la complicité de son meilleur copain et de faire ensuite jouer l'organisation syndicale qui saura trouver une solution. C'était l'époque où il y avait encore des chambres pour les bonnes qui recevaient leurs salaires en liquide.

 

(Tiens, mais oui !, c'est Marcel Gotlieb, plus connu sous le nom de Gotlib, Pilote, vous vous souvenez ?, qui joue le court rôle du disquaire dans cette boutique de la montagne Sainte-Geneviève.)

 

Mais, tandis que je sors de la salle, ce que je retiens une nouvelle fois, au-delà des scènes montrant la belle amitié, vraie et solide, entre traction avant et parties de ping-pong, c'est le personnage aérien jaillissant directement de Mai 68, Liv la Suédoise (interprété par l'espiègle Ann Zacharias dont le patronyme, coïncidence, signifie, en hébreu, le sait-on ?, Dieu se souvient).

 

Quel contraste saisissant avec ce que j'observe aujourd'hui d'une certaine autre jeunesse ! Des post-adolescentes, pas toutes, ouf !, qui tiennent chichiteusement leurs ridicules sacs-à-main sur le coude. Ce n'est pas populaire, c'est vulgaire. Et ça ne se pose pas de questions. C'est à mourir de rire quand on -mes homologues et moi- voit ce spectacle dans les amphis ! Quelle engeance !

 

La France de 1974 allait s'enfoncer à nouveau dans le plomb pour un bout de temps et ce personnage d'Ariel longiligne, venant d'ailleurs, s'en retournant ailleurs, qui provoque au passage un chahut salutaire, apporte avec lui une idée très physique de la vie légère sans fard...

 

 

(Jacques Doillon, Les Doigts dans la tête, 1974, diffusion mk2 / Arthur Rimbaud, Jeunesse in Illuminations, 1873)

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