18 mars 2012 7 18 /03 /mars /2012 07:00

450px-Ane.jpg

 

J'aime l'âne si doux marchant le long des houx...


 

Dans le beau pays de Francis Jammes, le Pays des Basques, on trouve encore des ânes.

 

Comme les hommes, ils ont les yeux tournés vers la montagne et vers la mer. Le refuge et l'échappée.

 

On trouve aussi des ânes en Provence, dans le Berry et en Vendée poitevine.

 

Toujours soyeuses, leurs longues oreilles à l'écoute du monde.

 

Depuis quelques temps, à bien les regarder, les ânes, mes amis, sont de plus en plus dubitatifs.

 

Ce matin, sur les hauteurs de Nonza, Cap Corse, près de la tour médiévale, je lis une grande interrogation métaphysique dans les globes de ce beau et brave baudet qui se tient au milieu du raidillon.

 

- Te souviens-tu de ce qui est arrivé à un cheval de la ville de Schilda ?, me demande l'âne tandis que je m'éponge le front.

 

- Bonjour âne !  Je ne suis pas du tout étonné qu'un âne m'adresse la parole. Schilda ?, dis-tu.

 

- Nous, les ânes, disposons d'un réseau de communication sensible, fiable et discret. Nous savons plein de choses que vous ne voyez plus. De vous voir ne plus vous en rendre compte finit par nous rendre malades...

 

Sur ce, l'animal tourne casaque et lâche un crottin sur le sentier soudain doublement odorant.

 

Dans l'air frais du large, ça me revient : 

 

Voici enfin la troisième des conclusions possibles du traitement psychanalytique : il est légitime qu’un certain nombre des tendances libidinales refoulées soient directement satisfaites et que cette satisfaction soit obtenue par les moyens ordinaires. Notre civilisation, qui prétend à une autre culture, rend en réalité la vie trop difficile à la plupart des individus et, par l’effroi de la réalité, provoque des névroses sans qu’elle ait rien à gagner à cet excès de refoulement sexuel. Ne négligeons pas tout à fait ce qu’il y a d’animal dans notre nature. Notre idéal de civilisation n’exige pas qu’on renonce à la satisfaction de l’individu. Sans doute, il est tentant de transfigurer les éléments de la sexualité par le moyen d’une sublimation toujours plus étendue, pour le plus grand bien de la société. Mais, de même que dans une machine on ne peut transformer en travail mécanique utilisable la totalité de la chaleur dépensée, de même on ne peut espérer transmuer intégralement l’énergie provenant de l’instinct sexuel. Cela est impossible. Et en privant l’instinct sexuel de son aliment naturel, on provoque des conséquences fâcheuses.


Rappelez-vous l’histoire du cheval de Schilda. Les habitants de cette petite ville possédaient un cheval dont la force faisait leur admiration. Malheureusement, l’entretien de la bête coûtait fort cher; on résolut donc, pour l’habituer à se passer de nourriture, de diminuer chaque jour d’un grain sa ration d’avoine. Ainsi fut fait ; mais, lorsque le dernier grain fut supprimé, le cheval était mort. Les gens de Schilda ne surent jamais pourquoi.


Quant à moi, j’incline à croire qu’il est mort de faim, et qu’aucune bête n’est capable de travailler si on ne lui fournit sa ration d’avoine.

 

 

À la source de la vie, nunc est bibendum !

 

 

 

 

 

 

(Sigmund Freud, Cinq leçons sur la psychanalyse, Payot, 2010 / Francis Jammes, De l'Angelus de l'aube à l'Angelus du soir, Gallimard, 1971)

commentaires