Ti dife boule sou istoua Ayiti...
Matinée en correspondance.
Cher Dany,
Je viens de commencer la lecture de ton dernier récit Tout bouge autour de moi : avec pudeur et tendresse, tu dis bien ce qui s'est passé là-bas le 12 janvier 2010.
Intelligence, élégance, humour distancié.
Parmi les vignettes dont le nombre correspond à la durée du drame qui s'est joué au soleil, celle-ci, page 128, Un écrivain au travail :
Quand je suis arrivé, mon neveu était en train d'écrire sur un vieil ordinateur qu'il a bricolé lui-même. Je m'assois dans un coin pour le regarder. Il garde un cahier près de lui où il gribouille de temps en temps. Exactement comme je fais. Je ne lui ai pourtant rien dit de ma manière de travailler. Peut-être qu'il l'a lu quelque part. Ou que nous avons les mêmes méthodes. Les écrivains en train d'écrire ont tous le même aspect. Il se retourne brusquement vers moi.
- Tu écris ?
- Je ne sais pas...
- Mais je t'ai vu...
Je n'écrivais pas.
On se regarde un moment.
- Pourquoi refuses-tu d'accepter que tu étais en train d'écrire ? C'est ce que font les écrivains.
- Je ne suis pas un écrivain, fait-il sur un ton ferme.
- Pourquoi ?
- Je n'ai pas écrit de livre.
- Un écrivain c'est simplement quelqu'un qui écrit.
Il me jette ce regard de boxeur sonné. C'est le métier qui entre. Un long chemin l'attend. Il devrait le prendre seul.
Autour d'un verre de rhum pour continuer un de ces quatre dans les mots.
Bien à toi par delà les mers !
P.-S. D'accord avec toi : quand tout s'effondre, reste la culture. Dense, inspirante et juteuse.
(Dany Laferrière, Tout bouge autour de moi, Grasset, 2011)