La tzigane savait d'avance
Nos deux vies barrées par les nuits
Nous lui dîmes adieu et puis
De ce puits sortit l'Espérance...
Après la procession sur la plage des Saintes -Les Saintes-Maries-de-la-Mer, Lei Santei Marias de la Mar-, nous sommes allés nous rafraîchir dans un bar près de l'église qui accueille le monde entier.
Autour des tables aux emblèmes de la Camargue, des Gitans, grands-parents et petits-enfants, trouvent comme nous un peu de repos et commentent le beau pèlerinage du jour.
Je demande à mes amis :
- Vous vous souvenez du magnifique livre que je vous ai montré l'autre jour en Arles ?
- Ah, oui ! Sur la vie quotidienne des Tsiganes, le nomadisme, de très belles photos...
- C'est une nouvelle édition. La première remonte à 1974. Cadeau à l'époque, et ce témoignage m'est toujours aussi précieux. Je ne vous l'ai peut-être jamais dit mais c'est un Rom qui m'a offert ma première cigarette. Jusque dans les années 1960, il y avait des campements du côté d'Aubervilliers, de la Villette, de Pantin. Je m'y rendais de temps à autre, dans ce monde vif, bigarré et sonore. Et une fois...
- Et une fois, ils ont dû se dire que tu étais l'un des leurs avec ta chevelure bouclée !
- Pourquoi pas ? Voici un compliment dans ta bouche...Après tout, qui sait ?, originaires que nous sommes la plupart d'entre nous des grandes civilisations qui, établies patiemment sur les bords du Gange et de l'Indus, ont par la suite nomadisé aux quatre vents ! (Rires) Un jour, donc, je suis resté plusieurs heures en leur compagnie. J'avais en général beaucoup de plaisir à les entendre me raconter toutes sortes d'histoires. Au moment de partir, ce jour-là, pour sceller notre amitié, un gamin du même âge que moi, il devait avoir onze-douze ans, m'a tendu une Juan Bastos. Je revois encore le paquet bleu et ses lettres dorées. Nous l'avons fumé à deux, cette cigarette du partage, et ce gosse avait nettement plus d'entraînement que moi. Il n'empêche : quand je l'ai salué, je savais que j'étais un peu moins gadjo et un peu plus homme...
Nous repartons dans le mistral qui se lève.
J'ai toujours eu, naturellement et plus que jamais ces temps-ci, des affinités électives avec les barbares, les Tsiganes, les Gitans, les Roms, les Manouches, les Gypsies, les Bohémiens, bref, les intouchables, au sens premier, de tous les horizons et de toutes les langues. D'une certaine façon, j'en suis un moi-même.
Soudain, à la devanture d'un marchand de souvenirs, une carte postale, autre signe : Les Roulottes, Van Gogh, 1888.
Terrain vague de l'existence ouverte en vert Véronèse.
(Tsiganes et Gitans, photographies : Hans Silvester, textes : Jean-Paul Clébert, éditions du Chêne, 1974 / éditions de La Martinière, 2010)