Le premier pays de l'Europe à l'occident, nous l'avons déjà dit, est l'Ibérie...
C'est incroyable ce qu'il peut faire chaud au creux de l'hiver ! Sur la côte de Galice, çà et là, des cerisiers en fleurs. Face à la mer, je me suis trouvé une auberge de pèlerin, confortable et protégée des vents.
Derrière la bâtisse hospitalière, une marqueterie de lopins agricoles, œuvre d'artisans soigneux. Au-dessus, des estives rases. Par contraste. Je suis au pays des hommes fiers de la montagne, ce qui n'avait pas échappé à la sagacité native de Strabon.
Viens de parcourir près de deux mille kilomètres avec une seule idée en tête. Me mettre une fois de plus au carreau d'une fenêtre et relire mon ami géographe en édition bilingue. Une telle distance ? Oui, le plaisir n'a pas de prix.
J'aime l'Italie et ses folies avisées. J'aime l'Espagne et son chant profond qui parvient à se jouer des vacheries de l'histoire. Ici, l'écriture de la terre rejoint la déroute des rêves.
Recopié ces fragments au son des flots tumultueux :
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Des deux versants du Mont Pyréné, celui qui regarde l'Ibérie est couvert de belles forêts, composées d'arbres de toute espèce, notamment d'arbres toujours verts ; celui qui regarde la Celtique, au contraire, est entièrement nu et dépouillé. Quant aux parties centrales de la chaîne, elles contiennent des vallées parfaitement habitables : la plupart de ces vallées sont occupées par les Cerrétans, peuple de race ibérienne, dont on recherche les excellents jambons à l'égal de ceux de Cibyre, ce qui est une grande source de richesse pour le pays.
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Pour décrire maintenant le pays en détail, nous reprendrons du promontoire Sacré. Ce cap marque l'extrémité occidentale non seulement de l'Europe, mais de la terre habitée tout entière. Car, si la terre habitée finit au couchant avec les deux continents d'Europe et de Libye, avec l'Ibérie, extrémité de l'Europe, et avec la Maurusie, première terre de la Libye, la côte d'Ibérie au promontoire Sacré se trouve dépasser la côte opposée de 1500 stades environ. De là le nom de Cuneus, sous lequel on désigne toute la contrée attenante audit promontoire et qui, en latin, signifie un coin. Quant au promontoire même ou à la partie de la côte qui avance dans la mer, Artémidore, qui nous dit avoir été sur les lieux, en compare la forme à celle d'un navire ; quelque chose même, suivant lui, ajoute à la ressemblance, c'est la proximité de trois îlots placés de telle sorte, que l'un figure l'éperon, tandis que les deux autres, avec le double port passablement grand qu'ils renferment, figurent les épotides du navire.
Le même auteur nie formellement l'existence sur le promontoire Sacré d'un temple ou d'un autel quelconque dédié soit à Hercule, soit à telle autre divinité, et il traite Ephore de menteur pour avoir avancé le fait. Les seuls monuments qu'il y vit étaient des groupes épars de trois ou quatre pierres, que les visiteurs, pour obéir à une coutume locale, tournent dans un sens, puis dans l'autre, après avoir fait au-dessus certaines libations ; quant à des sacrifices en règle, il n'est pas permis d'en faire en ce lieu, non plus qu'il n'est permis de le visiter la nuit, les dieux, à ce qu'on croit, s'y donnant alors rendez-vous. Par conséquent, les visiteurs sont tenus de passer la nuit dans un bourg voisin et d'attendre le jour pour se rendre au cap Sacré, en ayant soin d'emporter de l'eau avec eux, vu que l'eau y manque absolument.
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II y a quelque chose de barbare aussi, à ce qu'il semble, dans la forme de certains ornements propres aux femmes d'Ibérie et que décrit Artémidore. Dans quelques cantons, par exemple, les femmes se mettent autour du cou des cercles de fer supportant des corbeaux ou baguettes en bec de corbin, qui forment un arc au-dessus de la tête et retombent bien en avant du front ; sur ces corbeaux elles peuvent, quand elles le veulent, abaisser leurs voiles qui, en s'étalant, leur ombragent le visage d'une façon très élégante à leur gré ; ailleurs, elles se coiffent d'une espèce de tympanium ou de petit tambour, parfaitement rond à l'endroit du chignon, et qui serre la tête jusque derrière les oreilles, pour se renverser ensuite en s'évasant par le haut. D'autres s'épilent le dessus de la tête, de manière à le rendre plus luisant que le front lui-même. Il y en a enfin qui s'ajustent sur la tête un petit style d'un pied de haut, autour duquel elles enroulent leurs cheveux et qu'elles recouvrent ensuite d'une mante noire. Indépendamment les détails qui précèdent sur les mœurs étranges de l'Ibérie, nous trouvons dans les historiens et dans les poètes maints détails plus étranges encore, je ne dis pas sur la bravoure, mais sur la férocité, sur la rage bestiale des Ibères, et en particulier de ceux du Nord.
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Joie farouche chez une Espagnole ? Oui, toujours, et comment !
(Strabon, Géographie, édition bilingue, Belles Lettres, 1971)